Article body

-> See the list of figures

Deux débats récurrents unissent cet ouvrage épais (446 pages), fruit des actes d’un colloque éponyme organisé en 2014 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, par l’Université des Antilles. Ils traversent les quatre grandes parties qui le composent, dont les titres sont explicites : Intercommunalité et réforme de l’État, Les enjeux immédiats de l’intercommunalité, L’intercommunalité à l’épreuve des territoires, L’intercommunalité à l’épreuve de l’exercice des compétences locales. Le premier débat porte sur les nouvelles relations juridiques, économiques, partenariales, empreintes ou non de conflictualité, qui s’établissent entre les nouvelles structures intercommunales s’étant renforcées en France lors des réformes territoriales les plus récentes et les communes constituantes. L’intérêt de pouvoir préserver le « cadre communal » est abondamment discuté au cours des 26 communications publiées dans ces actes, avec son cortège d’ambiguïtés : par exemple, ce sont parfois les mêmes acteurs élus qui vantent l’importance de la commune comme seul lieu d’épanouissement de la démocratie locale pour résister à une intercommunalité qui effacerait les identités communales, mais qui s’appuient en même temps, à bas bruit, sur les intercommunalités dont ils dépendent pour y transférer des charges de service leur incombant par suite des multiples pressions des habitants qui fréquentent ou qui habitent ces communes.

Le second débat tente d’éclaircir les relations entre décentralisation et développement local, en soulignant la différence entre les potentialités d’une intercommunalité « communaliste » et celles d’une intercommunalité « communautariste », qualifiée par plusieurs auteurs dans cet ouvrage « d’intercommunalité de projets » et qui serait plus favorable à la mise en oeuvre de politiques publiques locales de développement.

Cet ouvrage enrichit et confirme les analyses de la « nouvelle économie institutionnelle » en rappelant que la qualité du développement local est fortement liée à celle des institutions territoriales, dont le rôle – c’est rappelé dans l’ouvrage – est de réduire les « incertitudes » du monde contemporain. Il rappelle aussi que les ressources sur lesquelles peuvent se bâtir des stratégies de territoire ne sont pas qu’économiques, mais aussi patrimoniales, sociales, culturelles. Diverses analyses des dynamiques locales, en France métropolitaine et en Guadeloupe, parcourent l’ouvrage en montrant la nécessité, pour les acteurs locaux, d’articuler en permanence compétences, jeux d’acteurs, ressources humaines et finances publiques.

L’ouvrage fait la part belle aux disciplines juridiques, à l’origine du colloque dont il est issu, mais en ouvrant aussi aux sciences économiques et aux sciences de gestion pour aborder les relations qui s’instaurent aujourd’hui, à la faveur de la forte irruption de l’intercommunalité en France, entre collectivités et entre collectivités et État ou, plus fondamentalement encore, pour aborder les mutations de la décentralisation elle-même. En fait, l’expression du titre Mutation des communes permet aux auteurs d’aborder aussi les mutations de l’État dans son rôle juridique et administratif de coproduction des réformes évoquées, en soulignant également son rôle dans la réorganisation du territoire national et son effacement au niveau local.

Plusieurs communications s’attardent sur la question de la pertinence des périmètres administratifs, sur les coûts réels de ce que certains nomment la « municipalisation intercommunale » – pour regretter le manque d’ambition de certaines initiatives de regroupement communal –, sur l’efficacité de l’aide de l’État aujourd’hui, en matière de dotations financières, en direction à la fois des communes et des intercommunalités.

La richesse de cet ouvrage tient enfin à deux autres apports : d’abord l’ouverture, en fin d’ouvrage, d’un débat qui apparaît, à nos yeux, fondamental pour l’avenir. Les rapports de force n’en sont peut-être plus, en France, à conceptualiser entre communes et intercommunalités, mais entre (nouvelles) régions (fusionnées), ce que certains appellent le « rang supérieur », et le « bloc local » (communes et intercommunalités), au sein d’une Europe qui privilégierait le couple métropoles-grandes régions pour mieux s’inscrire dans la mondialisation. L’autre apport est lié à l’insistance de trouver rapidement des modalités d’apprentissage de travail collectif, de manière horizontale et verticale. L’urgence est peut-être là plutôt que de chercher l’articulation idéale entre les niveaux de décision publique.

Un regret, cependant : il est très peu fait mention de la position d’un maire dans un cadre intercommunal renforcé. Or, le rôle de ce magistrat va forcément évoluer. Sera-t-il, par exemple, le garant d’une proximité citoyenne au sein d’une structure – l’intercommunalité –, d’essence fondamentalement économiciste et développementaliste ?