Article body

André Torre (INRA) et Jean-Eudes Beuret (Agrocampus Ouest) font partie d’un courant de pensée né, au début des années 1990, de la rencontre entre des économistes régionaux intéressés par la mobilisation des outils de l’économie industrielle pour analyser le développement territorial et des économistes industriels intéressés par le caractère territorial des processus productifs. Ce groupe appelé « Dynamiques de proximité » s’est rapidement ouvert à des chercheurs d’autres disciplines (géographie, sociologie) qui ont apporté leur pierre à un édifice qui continue à se construire année après année.

La « proximité », dans cette perspective, est un concept à la fois relationnel et spatial. Il touche à l’économie et à la géographie et concerne ce qui éloigne ou rapproche des individus ou des collectifs dans la résolution d’un problème économique. Sa définition est sujette à débat au sein du groupe qui se répartit en deux courants : le courant dit institutionnaliste qui distingue trois types de proximité : géographique, organisationnelle et institutionnelle, ainsi que le courant dit interactionniste qui rassemble en une seule catégorie appelée « proximité organisée » les proximités organisationnelle et institutionnelle. Les deux courants partagent une conception de la proximité géographique qui traduit la distance kilométrique entre deux acteurs, pondérée par le temps ou le coût de transport, et par la perception qu’en ont les individus.

Les deux auteurs s’inscrivent dans la perspective interactionniste. Dans ce court ouvrage, ils choisissent d’éclairer le rôle joué par les proximités dans la gouvernance des territoires afin de rendre plus concrets les enseignements issus des développements théoriques réalisés au cours des deux dernières décennies.

Construit en six chapitres, l’ouvrage commence par un rappel clair des différentes dimensions respectives de la proximité géographique et de la proximité organisée. Concernant la proximité géographique, les auteurs notent qu’elle peut être recherchée ou subie et être par conséquent à l’origine d’externalités positives ou négatives. La proximité organisée, quant à elle, relève de deux logiques complémentaires : une logique d’appartenance (sous-entendu à une même organisation ou un même réseau) et une logique de similitude désignant un système commun de représentations, de valeurs, de croyances.

Les auteurs situent ensuite la question territoriale. Le postulat posé, au fond, est celui-ci : les territoires sont construits par la mobilisation que peuvent faire les acteurs des proximités géographique et organisée. On retrouve ici une conception du territoire, comme construit social, qui s’éloigne d’une conception du territoire comme découpage donné par la géographie et par les organisations administratives. Avec quelques exemples, les auteurs montrent comment les combinaisons de proximités peuvent s’articuler de manière variable, générer consensus ou conflits, fonder la gouvernance des territoires, mais aussi contribuer à leur éclatement lorsque les proximités se recomposent. Trois modalités d’évolution des proximités retiennent plus particulièrement leur attention :

  • celle des ajustements conventionnels : des règles tacites (conventions) déterminent les comportements, et ces règles s’inscrivent dans la proximité organisée ;

  • celle de la concertation, qui consiste à trouver un accord en construisant une proximité organisée entre acteurs dans ses deux logiques d’appartenance et de similitude ;

  • celle des conflits d’usage de l’espace, qui trouvent souvent leurs racines dans la proximité géographique et suscitent de la proximité organisée en favorisant la constitution de groupes qui, tout à la fois, s’opposent, apprennent de leurs différends et partagent parfois certains objectifs supérieurs (comme l’attachement au territoire).

Ils terminent en analysant, à l’aide d’une matrice croisant proximité géographique (recherchée ou subie) et proximité organisée (appartenance ou similitude), quelques situations types de gouvernance territoriale. L’intérêt des cas proposés est de rappeler deux phénomènes. D’une part, contrairement à une vision parfois idéalisée de la proximité, les proximités géographique et organisée sont neutres tant qu’elles ne sont pas mobilisées au service d’un objectif quelconque. D’autre part, dans les situations territoriales de conflictualité (notamment dans les situations où la proximité géographique est source d’effets externes négatifs pour certains acteurs), la construction de proximités organisées est un outil de gouvernance permettant de rapprocher les acteurs.

Au final, le pari de mêler dans cet ouvrage des travaux d’origines différentes pour montrer le rôle des proximités dans la gouvernance des territoires est dans l’ensemble réussi. Le lecteur novice sur ces approches y trouvera une utile mise à plat, alors que celui plus familier pourra enrichir sa réflexion.