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L’ouvrage est composé de quatre parties d’inégales longueurs. La première (15 p.) en expose les cadres théoriques. Les trois autres mettent en question le capitalisme libéral (37 p.), le déphasage supposé du système politique (au singulier) et la résilience des sociétés comme nouvel avenir, qui comptent respectivement 29 et 63 pages.

Disons-le d’emblée, la rédaction n’est guère soignée. Si les accidents orthographiques sont rares, le style n’est pas plaisant. L’abus permanent du futur historique et les trop fréquentes constructions lourdes ou défectueuses rendent la lecture fastidieuse (par exemple : « cette conférence s’est suivie de… » p. 8 ; phrase incohérente en haut de la page 71). Plus gênantes sont des erreurs qui peuvent confiner au ridicule. Passe encore de dater The limits to growth de 1987 (p. 7), quand le Club de Rome l’a publié en 1972, mais attribuer à l’abbé Sieyès un Discours du therminador an III (p. 99) – au lieu de thermidor – nous laisse sans voix. D’une manière générale, les auteurs fondamentaux sont évoqués en citant leurs commentateurs, comme le prouvent les abondantes notes de bas de page. On aurait préféré que Sarah Rodriguez-Perez s’imprègne des princeps, car le vernis culturel s’écaille vite : ainsi, écrire qu’en Grèce, l’otium était préféré au negotium (p. 41) ou, sans nuances, que la démocratie y « incarnait un idéal politique de liberté et d’égalité » (p. 80) ne rassure guère sur la profondeur des connaissances linguistiques ou historiques mises en oeuvre. C’est d’autant plus fâcheux que de trop nombreuses pages sont consacrées à des exposés paraphrastiques de théories économiques (p. 49 et suivantes) ou des redites peu débattues de rapports d’institutions internationales (p. 126 et suivantes).

Venons-en au thème du livre, c’est-à-dire au changement climatique et à la représentation de l’avenir, dont le grand intérêt m’a poussé à faire cette recension. Le premier terme est défini en trois pages (p. 38-40) qui se contentent de résumer le… « résumé à l’intention des décideurs » (GIEC, 2014). Il n’est donc pas étonnant que l’ignorance des réalités climatiques conduise ensuite à des affirmations surprenantes et plusieurs fois répétées sur « l’inertie et l’irréversibilité des tendances » (p. 143) : le réchauffement actuel mesuré est certes indiscutable, mais la notion de cycle pluriséculaire ou le rôle prééminent de la vapeur d’eau sont clairement inconnus, qui pourraient conduire à éviter des affirmations tranchées telles que « remédier au changement climatique est impossible » (p. 76). Pour cela, il aurait fallu lire les documents scientifiques du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui expliquent que « large uncertainties remain about how clouds might respond to global climate change. » (IPCC, 2007). D’ailleurs, à quoi serviraient les travaux du GIEC si l’avenir était irrémédiablement tracé ? La question des représentations d’avenir n’est pas plus travaillée (p. 107-108), alors qu’ont été publiés d’assez nombreux travaux (Guichard, 1993 ; Evola, 1996 ; Vidal, 2012) qu’il est aisé de consulter. Dans ces conditions, la fragilité des développements sur les « croyances modernes […] propositions auxquelles la plupart des gens adhèrent, car elles reposent sur l’autorité des experts » (p. 11) est évidente : ces propositions pourraient autant être issues des spécialistes du GIEC que de « l’idéologie économique du progrès » (p. 12). L’enquête très attendue sur la façon dont le réchauffement actuel influence la perception de l’avenir se réduit donc à des discours pédants sur le basculement de la « conscience de la finitude du monde à l’idée d’infini » (p. 85) que viendrait ultérieurement contrebalancer le « court-termisme » des démocraties représentatives (p. 65 et 103), plus désireuses de résilience et d’ingénierie que d’action sur les émissions de CO2 (p. 159).

Les exemples appuient d’autant moins une éventuelle démonstration qu’ils dénotent une faible connaissance des situations concrètes. Peut-on sérieusement dire que « la Chine, l’Inde et le Brésil agissent pour préserver le climat au travers de politiques climatiques d’atténuation » (p. 76) lorsqu’on a séjourné à Pékin et Shanghai ? Lorsque l’auteure évoque l’ensemencement de « particules de souffre [sic] dans la stratosphère pour refroidir l’atmosphère » (p. 27), songe-t-elle que le très polluant charbon chinois en émet des quantités considérables ? À moins qu’elle considère que les centrales électriques chinoises sont parties prenantes dans les politiques climatiques d’atténuation…

Le discours convenu sur la multiplication des catastrophes (p. 155) ignore manifestement les décomptes de Ryan N. Maue, prouvant qu’il n’y a eu aucun accroissement du nombre des cyclones entre 1970 et 2016. Il méconnaît aussi ceux du politologue Bruno Tertrais (2011) : plus que le rythme des accidents, c’est, à mesure de l’enrichissement des pays, leur coût qui grimpe et donc les événements réassurés enregistrés par les bases de données comme EM-DAT, de l’université de Louvain (CRED, 2009). Et si Katrina (et non Katarina, p. 123) a si durement frappé la Nouvelle-Orléans, ce n’est ni en raison de sa puissance (2 / 5 sur l’échelle de Saffir Simpson), ni « en raison de l’incapacité [de la ville] à se protéger d’un événement catastrophique » (p. 123), mais à cause de la réduction de 44 %, par l’administration Bush, des crédits fédéraux d’entretien des digues, redirigés vers les dépenses militaires en Irak. Sarah Rodriguez-Perez a raison au moins sur un point : « Le véritable obstacle à la réduction des émissions de CO2 est la croissance du niveau de vie et de la population » (p. 77). Effectivement, les pauvres peuvent aspirer à devenir moins pauvres et à vivre en paix en Afrique, où les guerres font plus de mal que l’élévation des températures. Sur ce continent, le scénario SRES A2 du GIEC n’est pas négatif : sauf au Maghreb, il couple le réchauffement à un utile accroissement des précipitations.

Nous n’irons pas plus loin. Je ne partage absolument pas l’autosatisfaction de l’auteure affirmant en conclusion (p. 186) qu’« au regard des résultats obtenus dans ce travail, [ses] hypothèses sont… validées ». En l’occurrence, citer de nombreux ouvrages ne suffit pas à asseoir une recherche personnelle approfondie exempte de propos convenus ; le travail universitaire est une longue patience.