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Mal aimé des aménageurs, le périurbain – et ses modes d’habiter la ville étalée – se retrouve pourtant au centre des préférences des habitants. L’ouvrage Habiter les espaces périurbains, proposé par Rodolphe Dodier et ses collaborateurs Laurent Cailly, Arnaud Gasnier et François Madoré, tente d’aller au-delà des préférences résidentielles pour approcher la complexité des périurbains.

Les auteurs proposent une problématique bien construite et pertinente, mais qui, en soi, offre peu d’innovation. Avec un questionnement théorique relativement simple, construit sur une littérature essentiellement française, ce qui apparaît étonnant vu la richesse de la thématique, l’ouvrage s’insère péniblement dans une perspective internationale, voire européenne. Or, la qualité de l’ouvrage nous pousse à aller au-delà de cette gêne.

Le périurbain est analysé à partir de ses impacts environnementaux, économiques et sociaux, (pré-)jugés comme des effets négatifs. Le déplacement de la focale vers une perspective plus complexe, plus relative, est évidemment plus constructif. À ce titre, l’ouvrage réussit de manière exemplaire à se positionner au-dessus du clivage pour ou contre le périurbain, pour plutôt explorer les logiques et les (ir)rationalités des choix résidentiels. La problématique d’une forme urbaine diffuse, tantôt en croissance, tantôt en renouvellement social, est finalement habilement posée. En outre, les logiques habitantes sont abordées à une échelle fine, de la commune, voire du lotissement. C’est bien le caractère polymorphe du périurbain que les auteurs mettent en exergue, soulignant les paradoxes que posent les habitus résidentiels des ménages menant à s’établir dans le périurbain, bassin de vie que plusieurs habitent depuis toujours.

En explorant l’évidente tension des navettes domicile-travail dans les zones périurbaines de la France de l’Ouest, tout comme les autres mobilités associées aux pratiques de consommation et de loisirs, c’est finalement la variété et la variabilité des modes d’habiter que les auteurs exposent. Il s’agit de perspectives permettant de dépasser les classiques oppositions de l’habiter au centre ou en périphérie et de comprendre plutôt les différentes formes d’attachement, les caractéristiques des identités et les rapports à l’urbanité et à l’altérité des périurbains. Comme dans tant d’autres ouvrages, on se retrouve donc bien loin du périurbain homogène et monotone.

Au centre des modes d’habiter les zones périurbaines réside un arbitrage parfois stratégique, parfois inconscient, ou encore lié aux opportunités ou aux affinités sociales. Si la limitation des coûts et la maximisation des espaces habitables sont au centre des choix résidentiels périurbains, comme ailleurs, les prix à payer ne sont pas uniquement économiques, mais également familiaux et sociaux. Le capital spatial apparaît ici fort important, plusieurs arbitrages reposant sur l’accès à la mobilité quotidienne et sur la maîtrise de cette mobilité. Si les modes d’habiter mis en lumière possèdent de multiples échelles et localisations, ils possèdent surtout des significations multiples. En ce sens, la proposition d’une typologie détaillée de ces modes d’habiter, plus ou moins bien positionnés dans l’espace social et spatial, est tout à fait fascinante, vu l’envergure du travail empirique, mais également pour le détail et la finesse de l’analyse. Trois figures – qualifiées – des modes d’habiter ressortent : figure de souffrance (reclus, repliés, captifs), figure équilibrée (villageois, navetteurs, périphériques), figure métapolitaine (multicompétents, hypermobiles, absents).

Au final, les auteurs explorent habilement un objet de recherche bien défini et maîtrisé, en outre en croisant l’analyse des mobilités résidentielle et quotidienne, ce qui est encore trop rare malgré quelques exceptions (Carpentier et Gerber, 2009). Mais c’est bien par la quantification que l’ouvrage se démarque. Comme le soulignent justement les auteurs, d’un côté, on se retrouve avec une compréhension très fine et particulièrement détaillée des processus et des mécanismes à l’oeuvre dans la construction des modes d’habiter le périurbain de la France de l’Ouest. D’un autre côté, ce travail scientifique solide ouvre la voie, vu sa portée empirique avec près de 1000 entretiens, à une sorte de modélisation de l’« habiter en périurbain ». Le travail effectué est remarquable et aurait le mérite fondamental de donner une nouvelle portée à plusieurs observations qualitatives ou de nature plus contextualisée effectuées ailleurs dans le monde, que ce soit en Europe (Pinson et Thomann, 2002 ; Berger, 2005) ou en Amérique du Nord (Fortin et al., 2002 et 2011 ; Crump, 2003).