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Introduction

Les villes grandissent, s’étendent et s’étalent à l’échelle planétaire (Véron, 2008). La multiplicité des termes utilisés pour qualifier la croissance spatiale des villes (suburbanisation, rurbanisation, étalement urbain, etc.) souligne la difficulté d’appréhender le phénomène. La problématique de l’étalement urbain est au centre des débats sur les enjeux auxquels les villes du XXIe siècle sont confrontées. L’étalement urbain « entendu dans son sens essentiel d’extension de l’emprise territoriale des villes » (Zaninetti et al., 2007) continue de susciter l’intérêt de plusieurs auteurs, qui lui ont attribué plusieurs qualificatifs : la ville éparpillée (Bauer et Roux, 1976), la ville émiettée (Charmes, 2011), saut de mouton (Ewing, 1997 ; Galster et al., 2001 ; Arellano Ramos et Roca Cladera, 2012), la ville diffuse (Pinson et Thomann, 2002), processus incontrôlable (Djellouli et al., 2010), etc. Pumain considère l’étalement comme un « processus d’accroissement important des zones urbanisées en périphérie des villes, qui s’accompagne généralement d’un desserrement des populations et des activités urbaines » (Pumain et al., 2006). Dans le même ordre d’idée, Ritchot met en avant le caractère diffus de l’étalement en précisant que « l’urbain en tant que corps, c’est-à-dire en tant que forme matérielle localisée, dessine une tâche qui s’agrandit sur un substrat rural » [4] (Ritchot et al., 1994). Ce caractère diffus de l’urbain repousse progressivement et continuellement les limites de la ville. L’urbanisation déborde sur les périphéries, les bourgs se transforment en petites villes et les limites ville-campagne s’estompent (Allain, 2004). D’autres caractéristiques-clés apparaissent dans la littérature sur l’étalement urbain, telles que la baisse de densité, l’émergence de nouvelles polarités, le développement de nouvelles formes résidentielles, les problèmes liés à l’automobile, etc. (Galster et al., 2001 ; Torrens, 2008). L’étude de l’ensemble de ces caractéristiques reste indispensable pour diagnostiquer et comprendre le phénomène de l’étalement urbain. Toutefois, la complexité des approches et les spécificités du contexte géographique, politique et démo-économique de chaque ville rendent complexe la maîtrise de l’ensemble des contours de ce concept. En effet, l’ampleur de l’étalement est liée aux différentes forces endogènes et exogènes qui agissent directement ou indirectement sur le « développement du corps » [5] en changeant son affectation et sa taille. Ces forces sont nombreuses et agissent selon des mécanismes variables et des échelles spatiotemporelles différentes (Ewing, 1997 ; Guérois, 2003 ; Bavoux et al., 2005 ; Torrens, 2008).

Dans ce débat très riche sur les questions et les modalités de l’étalement urbain, la promotion administrative des agglomérations revêt un intérêt particulier, notamment pour les villes arabes et maghrébines (Denis, 2007 ; Kasdallah, 2013). À titre d’exemple, en Égypte, pour être une médina (ville), une localité doit être chef-lieu de muhafaza (gouvernorat) ou de markaz (canton) (Moriconi-Ebrard et Denis, 1995). Les travaux de Kasdallah ont mis en relief l’impact du rééquilibrage territorial, à travers la promotion des villes intermédiaires au Maghreb, qui ont façonné tous les systèmes urbains. Selon l’expression de Kasdallah, les « bataille[s] des chefs-lieux » (Kasdallah, 2013) sont des actions menées par l’État pour doter certaines agglomérations à caractère rural ou désertique d’un statut administratif leur permettant une mutation démo-économique et urbanistique.

Pour faire face à l’héritage colonial qui a accentué le déséquilibre territorial dans les pays africains, la promotion administrative au rang de chef-lieu a souvent été perçue comme un moyen pour retrouver un certain équilibre de l’armature urbaine, en encourageant la décentralisation. En Algérie, le découpage administratif a toujours été un élément incontournable dans la stratégie des pouvoirs publics pour réduire les distorsions régionales et locales. Juste après l’indépendance, en 1962, le territoire algérien était marqué par de graves disparités spatiales que l’État a tenté de résorber. Ceci s’est traduit par la reconsidération du maillage territorial, avec l’avènement de quatre découpages administratifs successifs (1963, 1974, 1984 et 1997) appliqués dans des contextes politiques et socioéconomiques différents. Les répercussions de cette politique sont souvent lourdes sur la croissance spatiale des villes, notamment dans un pays où l’urbanisation est souvent mal contrôlée et planifiée (Layeb, 1999 ; Chadli et Hadjiedj, 2003 ; Driss, 2013). En effet, chaque nouveau découpage administratif offrira un nouveau territoire d’action permettant d’exercer des projets d’aménagement du territoire et d’aménagement urbain, qui auront sans doute des répercussions directes sur la croissance spatiale des villes. Une réflexion sur le maillage administratif et les problèmes sous-jacents nous intéresse fortement dans la problématique de l’étalement urbain et dans la dynamique des agglomérations.

À l’instar des grandes métropoles maghrébines, la ville d’Alger déborde de ses limites fonctionnelles traditionnelles ; les dynamiques démographiques se font à l’avantage de la périphérie et au détriment du centre historique, polarisation et organisation fonctionnelle réticulaire, etc. En effet, cerner le processus de développement de la ville d’Alger impose une réflexion profonde sur l’évolution des agglomérations (changements de statut, émergence de nouvelles agglomérations, fusions entre les chefs-lieux et les agglomérations secondaires, etc.). Ce travail sera conjugué en parallèle aux résultats des différents Recensements généraux de la population et de l’habitat (RGPH). [6] Cette approche permet une meilleure lecture spatiotemporelle des mutations qu’ont subies les différentes agglomérations à Alger, de 1966 à ce jour, et une évaluation des conséquences sur la croissance de la tâche urbaine de la ville d’Alger.

On postule généralement l’existence d’un lien de cause à effet entre le maillage administratif et l’étalement urbain, notamment dans un pays où le mode de gouvernance est très centralisé et où le maillage administratif constitue le cadre d’intervention privilégié dans le domaine d’aménagement urbain.

L’étalement urbain au coeur des enjeux des villes contemporaines des pays en développement

L’ampleur de la diffusion du fait urbain est de plus en plus universelle. En 1990, seuls quatre pays disposent d’espace urbain correspondant à des agglomérations de plus de deux millions d’habitants (Londres, New York, Paris, Berlin). Un siècle plus tard, en l’an 2000, la planète compte 148 grandes villes dispersées dans une cinquantaine de pays différents (Dumont, 2000). La population urbaine est passée de 750 millions en 1950 à 2860 en 2000 ; elle représente plus de 50 % de la population mondiale (Arellano Ramos et Roca Cladera, 2012). Si la transition urbaine, désignant une période de croissance urbaine massive au cours de laquelle il y a eu un redéploiement majeur de la population autour des centres urbains et une transformation radicale dans la morphologie des villes durant la deuxième moitié du XXe siècle, est achevée dans les grandes métropoles et mégalopoles d’Europe et des États-Unis, elle se poursuit encore dans les pays en développement (Bretagnolle et al., 2007). Il s’agit d’une véritable « ville émergente » (Dubois-Taine et Chalas, 1997), qui prend de plus en plus de l’ampleur dans les pays africains, les pays d’Amérique du Sud et les pays arabes, sous l’effet de plusieurs forces motrices (évolution des modes de vie, croissance démographique, déséquilibre territorial, accès à la voiture, changement du mode économique, etc.). Tous ces facteurs ont provoqué une recomposition profonde des espaces urbains. Les villes bimillionnaires sont en prolifération remarquable : 15 villes en Afrique, 16 en Amérique du Sud, etc. (Dumont, 2000). Le rythme de croissance soutenu de l’urbanisation des grandes métropoles présente souvent l’image de villes macrocéphales. La rapidité de la croissance urbaine des pays émergents a profondément bouleversé les formes et les échelles des villes, et ce, quelle que soit leur position dans l’armature urbaine.

Il est clair que le rythme de croissance urbaine demeure très inégal entre les villes des pays de la rive sud de la Méditerranée, les villes africaines, les villes d’Amérique latine, etc., mais ces villes partagent pratiquement les mêmes problèmes majeurs : tendance lourde à la métropolisation, ségrégation des populations et des activités sociospatiales, bidonvilisation, recomposition des tissus urbains (centraux et péricentraux), généralisation des pratiques informelles, rôle accru des populations dans la production de l’urbain, précarité urbaine, crise du logement, gestion des déchets, etc. (Chesnais et Le Bras, 1976 ; Moriconi-Ebrard, 1993 ; Escallier, 1998 et 2002 ; Wackermann, 2000 ; Jalabert, 2001 ; Dureau, 2004). Néanmoins, ces problèmes sont relativement moins intenses dans les villes du monde arabe, vu l’absence de mégalopoles – à l’exception du Caire – et la présence d’importantes ressources financières pour les villes des monarchies du Golfe (Chaline, 1996 ; Souiah, 2005). Quant aux villes maghrébines, elles sont fortement marquées par l’héritage colonial, soit une forte concentration de l’urbanisation autour des capitales, une dualité entre la ville formelle et la ville informelle et une forte urbanisation sur le littoral (Troin et al., 2006). L’architecture du système urbain est hétérogène. À titre d’exemple, l’Algérie et le Maroc présentent une organisation polycéphale, tandis que celle de la Tunisie est macrocéphale (Rousseaux, 1999).

Il est à souligner que l’étalement urbain constitue une caractéristique marquante des villes contemporaines, mais l’enjeu actuel est de maîtriser la croissance spatiale des villes des pays en développement (Dureau, 2004). Si les pays développés ont éprouvé des difficultés à faire face aux externalités négatives de l’étalement, le problème est encore plus accentué dans les pays en développement, qui sont moins outillés sur les plans technique, législatif, financier, social et politique.

Maillage administratif et effets spatiaux sur l’urbanisation

Tout en étant confrontées aux défis de l’étalement, les villes d’Afrique, d’Amérique et d’Asie multiplient les approches afin d’apporter des réponses aux inégalités de leurs agglomérations et à la recherche d’une meilleure maîtrise de l’urbanisation. Le débat sur le maillage territorial apparaît comme un outil pour mettre en place une architecture cohérente et équilibrée de l’armature urbaine.

Au-delà d’un placage géométrique, envisager un maillage administratif implique une compréhension de la dimension spatiale et des rapports complexes au sein de la société. Le transfert d’un pouvoir décisionnel à l’occasion d’un découpage administratif, ou ce que Christophe Terrier qualifie de « zonage de pouvoir » (Terrier, 2005), peut être considéré comme un catalyseur de l’étalement urbain, notamment dans les aires métropolitaines des grandes villes. Un découpage administratif est toujours une occasion pour mettre en place un nouveau cadre de gestion institutionnelle ou politique afin de garantir une décentralisation dans le domaine de la gestion. Les nouvelles mailles ou « collectivités » deviennent alors le support de nombreuses opérations urbaines et d’appropriation de l’espace par les habitants locaux. Dans son livre La ville émiettée (Charmes, 2011), Charmes met en avant l’idée du « morcellement institutionnel » et ses éventuelles conséquences sur l’émiettement des extensions métropolitaines. Pour l’auteur, les prérogatives et les compétences territoriales du maire en matière d’urbanisme, en France, ne tiennent compte ni de la taille de la commune « petite ou grande » ni de son profil « urbain ou rural ». Ce constat montre clairement que l’émiettement communal engendre un émiettement des espaces urbanisés. Certains pays ont introduit le concept d’intercommunalité pour pouvoir fédérer le choix collectif de plusieurs collectivités locales et éviter des gestions fragmentées des territoires urbains.

La situation apparaît beaucoup plus complexe dans les pays en développement, qui ont un système administratif très centralisé, une idéologie socialiste où les villes capitales concentrent la majorité des activités de commandement, ainsi qu’un potentiel démographique considérable et jeune. Dès la création de nouvelles entités administratives, la population locale ne cesse de revendiquer aux nouveaux élus locaux l’amélioration du cadre de vie, en termes d’équipement, de logement, d’emploi, etc. Le nouveau « zonage du pouvoir » se trouve rapidement confronté à une réalité complexe : absence de ressources financières, qui sont distribuées par le pouvoir central, priorisation des espaces centraux en termes d’équipement au détriment des espaces périphériques, etc. Face à une situation de précarité urbaine, la population locale se substitue rapidement aux autorités afin de prendre en charge ses propres problèmes du quotidien (autoconstruction, commerce informel, spéculation foncière, etc.).

La mise en pratique d’un découpage administratif stipule une meilleure équité territoriale ; toutefois, ce découpage peut être perçu comme une forme d’inégalité (Bret, 1996) : inégalité dans le partage des ressources naturelles, financières et économiques, inégalité dans l’accès aux équipements et services, inégalités sociales, ethniques et culturelles. Toutes ces inégalités ont une dimension spatiale et peuvent provoquer un redéploiement démographique (renforcement du centre, rééquilibrage du territoire, etc.), notamment dans les villes en développement qui sont déjà dans une situation précaire.

En effet, chaque découpage administratif est aussi une occasion de revoir la distribution des ressources publiques. Les nouvelles entités territoriales deviennent de plus en plus attrayantes : leur pouvoir politique est renforcé grâce à la décentralisation, qui suppose un partage des pouvoirs entre l’État et les collectivités territoriales [7] (Lima, 2009), leur niveau d’équipement est augmenté, de nouvelles stratégies économiques sont engagées, etc. Cette redynamisation des espaces ne peut être appréhendée en dehors des nouveaux rapports qui seront établis entre le centre et la périphérie. Un centre qui a toujours un pouvoir structurant de forte concentration des biens et services et qui continue à se développer en structurant les noyaux urbains situés dans son aire d’influence directe. En parallèle, une périphérie qui continuera à subir les externalités positives et négatives du centre, tout en modifiant la configuration globale de la ville : développement de nouvelles polarités, une nouvelle morphologie, etc.

Méthodologie

L’approche méthodologique adoptée pour notre travail fait appel à la logique basée sur le principe de contagion, décrite par Enault (2003). C’est une approche qui met en évidence la capacité d’un centre principal, et même secondaire, à muter et convertir progressivement des espaces non urbains. Cette mutation n’est pas limitée dans le temps et dans l’espace. Les centres locaux qui ont été dynamisés par un centre principal, deviennent à leur tour des foyers émetteurs et agissent sur tout l’espace avoisinant. Les conséquences d’un développement accéléré de plusieurs noyaux urbains provoquent souvent une conurbation. Il s’agit de la jonction de plusieurs agglomérations ou villes distinctes, initialement séparées du fait de leur extension spatiale (Georges, 1960 ; Pumain et al., 2006).

Trois principaux points peuvent être retenus :

  • L’étalement urbain procède par contagion. On constate des mutations progressives de l’espace en contact direct avec les noyaux urbains principaux (foyers émetteurs). La distance du centre est un élément déterminant de cette dynamique surfacique.

  • Émergence d’une nouvelle configuration spatiale, sous forme d’agglomération ou de pôle, qui concentre un potentiel démographique et économique. L’affectation d’un nouveau statut administratif à ces agglomérations est vue comme un catalyseur qui provoque un repositionnement de ces agglomérations dans la hiérarchie urbaine.

  • Les mutations que provoque l’étalement urbain peuvent être observées essentiellement par l’évolution de la dynamique des agglomérations (émergence de nouvelles agglomérations, nouvelle hiérarchisation des agglomérations, nouvelle densité, nouveaux équipements, pôle d’emploi…).

Cette approche met en avant deux modalités essentielles du phénomène de l’étalement urbain :

  • La discontinuité des tâches urbaines, qui est l’élément marquant du processus de croissance spatiale des villes (Weber et Hirsch, 2000 ; Galster et al., 2001 ; Reux, 2013).

  • La dualité centre-périphérie (Huriot et al., 1995 ; Pumain et al., 2006). Il s’agit de rapports de force et des interactions qui s’installent durablement entre le centre et la périphérie. D’une part, le centre est considéré « comme l’âme qui met en mouvement la masse et lui communique la vie » (Paquot et Roncayolo, 1992). D’autre part, la périphérie dépendante, qui perd de sa substance au profit du centre, mais qui en reçoit cependant des retombées, tout en étant maintenue durablement en situation d’infériorité quantitative et qualitative (Pumain et al., 2006).

Afin de mieux observer les conséquences spatiales des différents découpages administratifs sur le développement de la ville d’Alger, nous examinerons l’évolution du découpage administratif sur le long terme (1960-1997) et nous nous intéresserons au niveau le plus fin du maillage administratif (la commune). Aussi, nous allons approcher le phénomène urbain à partir de la notion d’« agglomération », [8] qui représente l’unité urbaine de base.

Selon l’Office National des Statistiques (ONS), une agglomération est dite urbaine si elle abrite une population agglomérée d’au moins 5000 habitants. D’autres critères qualitatifs entrent en jeu pour définir l’unité urbaine, tels que 75 % des personnes actives travaillent hors agriculture, présence d’importants équipements collectifs, viabilisation et rang administratif de la localité. En fonction de ces critères, une stratification sera établie par la suite (ville, [9] ville moyenne, métropole urbaine, etc.).

Pour le cas d’Alger, le foyer émetteur principal correspond au centre traditionnel, composé essentiellement du tissu urbain dense de l’époque coloniale. Les autres foyers émetteurs peuvent correspondre aux agglomérations chefs-lieux de communes (ACL) qui disposent d’un potentiel démographique et d’un niveau d’équipement leur permettant de structurer l’espace avoisinant.

En nous basant sur les résultats des RGPH de 1966 à 2008, nous suivrons une démarche diachronique pour observer l’évolution, l’émergence et la disparition des agglomérations à Alger. Ce constat est un indicateur important qui reflète l’évolution des seuils démographiques et économiques au niveau spatial et, par conséquent, il explique l’émergence des centralités potentielles, notamment dans l’espace périphérique.

Par ailleurs, la traduction des changements spatiotemporels a été analysée par la mise en place d’un système d’information géographique (SIG) articulé sur la base des données des RGPH (1966, 1977, 1987, 1998 et 2008) et l’utilisation des fonds cartographiques (carte topographique et images satellitaires de Google Earth). Ceci nous a conduits, dans un premier temps, à localiser spatialement l’ensemble des agglomérations durant les cinq RGPH. Une base de données a été créée pour documenter toutes les agglomérations localisées (type d’agglomération [ACL, agglomération secondaire [AS], quartier chef-lieu [QCL], Grand Alger [GA]], population agglomérée, commune d’appartenance, wilaya d’appartenance, date de classement). En parallèle, une autre couche sous SIG a été créée ; elle est relative à l’évolution des limites administratives en fonction des quatre découpages qu’a connus Alger (1963, 1974, 1984 et 1997). Cette étape est indispensable pour une meilleure analyse du phénomène observé. Grâce à une superposition des couches, nous pouvons observer toutes les agglomérations nouvellement créées ou rattachées à Alger en fonction des découpages administratifs, ou fusionnées avec d’autres agglomérations, etc.

L’ensemble des résultats obtenus sera traduit sous forme de cartographies thématiques. Nous présenterons aussi des données statistiques pour mieux cerner cette question.

L’option d’un découpage administratif fin à Alger : une vitalité spatiale exceptionnelle des agglomérations

Une dichotomie urbaine / rurale relativement claire (1966-1977)

Après l’indépendance, la première décennie a été cruciale pour tracer les contours du système urbain algérois des 20 prochaines années (adoption du premier plan triennal, politique urbaine, rééquilibrage territorial, etc.) (Semmoud et Aït-Amirat, 2014 ; Zitoun, 2014). Le premier découpage administratif a eu lieu en 1963, [10] suivi par le premier RGPH de l’Algérie indépendante, en 1966. Alger était composée de 14 agglomérations (tableau 1), dont une agglomération principale appelée GA, [11] constituant un territoire aggloméré et fortement urbanisé. Cette zone se caractérise par une tache urbaine relativement dense et continue, avec une forte centralité, qui rayonne sur l’ensemble de la région, et même à l’échelle nationale (Hadjiedj, 1994).

Le découpage comprenait trois ACL et une AS (figure 1). Ces dernières sont considérées comme des territoires potentiellement mutables à cause de leur distance très proche du centre, d’une part, et en raison, d’autre part, du flux migratoire spectaculaire qu’a enregistré la ville d’Alger durant cette période. Le départ des colons, en 1962, avait libéré un patrimoine immobilier important appelé « biens vacants », qui avait été repris dans sa majorité par les Algériens. Le départ brusque de la population européenne avait ouvert les portes à un mouvement migratoire sans précédent dans le centre d’Alger, et même aux alentours de la ville. Entre 1954 et 1966, quelque 300 000 Européens ont quitté Alger, et 500 000 Algériens s’y sont installés (Sahli, 1993). Puis, de 1966 à 1977, le flux migratoire a connu un ralentissement, avec un taux d’accroissement avoisinant les 2,9 % par an. Cette situation était accentuée par la population des bidonvilles, alors évaluée à 140 000 personnes et qui se localisait essentiellement dans les alentours de la ville (Sahli, 1993).

Durant cette période, le GA était considéré comme l’espace urbain par excellence, capable de polariser, structurer et influencer toute la banlieue et les agglomérations limitrophes, même celles situées à l’extérieur des limites administratives d’Alger.

Il faut noter que plusieurs agglomérations (notamment les ACL) situées hors limites administratives de la wilaya d’Alger de 1966 avaient une forte dépendance à l’égard du centre d’Alger : mais, en même temps, elles structuraient d’autres AS comme Birtouta, Sidi Moussa, Rouïba, Mahelma, Chéraga, Staouali, … Les ACL et AS les plus proches du centre, telles Aïn Benian, Beni Messous, Birkhadem, etc., étaient sous l’influence directe du centre principal (figure 1). À noter que la majorité de ces ACL et quelques AS étaient des villages coloniaux qui s’étaient transformés progressivement en gros bourgs à partir de 1950 (Benazzouz-Belhaï, 2013).

Le deuxième découpage administratif a été effectué en 1974. [12] Selon les résultats du RGPH de 1977, le GA comprenait les 10 arrondissements de 1966 auxquels on a ajouté, en 1977, la commune de Baraki et deux arrondissements (Bouzareah et Kouba), pour une population agglomérée de 1 353 826 habitants (tableau 1).

Les agglomérations situées hors des limites administratives de la wilaya d’Alger commencent à se développer progressivement, notamment les AS situées près de la limite de l’agglomération algéroise, comme Oued Roumane, Sebala, Souidania, Baba Hassen, etc., ainsi que deux QCL, Bab Ezzouar et El Hamiz [13] (figure 1).

Certaines ACL se développent à une cadence remarquable grâce à la fusion des AS avec elles. [14] D’autres communes ont vu leurs AS se multiplier, à l’exemple de Sidi Moussa [15] et Mahelma. La figure 1 permet une première lecture spatiale comparative des RGPH de 1966 et 1977 ; elle montre clairement le déclenchement du processus de croissance spatiale, à un rythme relativement modéré.

L’amorce d’une dynamique de croissance accélérée 1977-1987

Le dernier découpage administratif date de 1984. L’option retenue était orientée vers un maillage plus fin du territoire national par une multiplication des centres de décision locaux à travers l’extension du réseau des collectivités locales, ainsi que la diffusion et l’amélioration des services et des équipements dans les zones les plus défavorisées (ONS, 2002). L’objectif principal était d’assurer un équilibre spatial, social et économique.

Selon le RGPH de 1987, 13 ACL ont été rattachées au GA, ce qui donne un total de 28 ACL avec une population agglomérée de 1 507 241 habitants (tableau 1). Cette nouvelle configuration renforce de plus en plus le potentiel structurant de l’agglomération algéroise (foyer émetteur), qui concentre déjà un potentiel démo-économique très important. À titre d’exemple, la commune de Beni Messous s’est transformée en ACL, l’ACL de Birkhadem a été fusionnée avec l’AS de Aïn Naadja, Bab Ezzouar est passé subitement du statut de QCL à celui d’ACL (figure 1).

En parallèle, dans l’espace périphérique, plusieurs AS hors limites administratives d’Alger ont été promues en ACL, telles que Baba Hassen, Ouled Fayet, Souïdania, Rahmania, Ouled Chebel, etc. D’autres communes qui disposaient d’une seule ACL en 1977 ont connu un développement rapide et une multiplication d’AS (notamment, Douera, Birtouta, Zeralda, Aïn Taya). D’autres encore, telles que Sidi Moussa, ont vu leurs AS fusionnées avec l’ACL (figure 1).

Tableau 1

Évolution des agglomérations d’Alger, 1966-1987

Évolution des agglomérations d’Alger, 1966-1987
Source : Collection statistique n° 38, ONS, 1992, p. 87

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Figure 1

Comparaison de la dynamique des agglomérations 1966-1998

Comparaison de la dynamique des agglomérations 1966-1998
Élaborée par l’auteur

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Une urbanisation accélérée où les ACL et AS de l’espace périphérique s’affirment davantage, 1987-1998

L’extension des limites de l’agglomération algéroise est mise en évidence, entre 1987 et 1998, par le nombre important d’agglomérations qui se sont développées dans la foulée de la promotion administrative de 1984. Cette situation a été accentuée avec le nouveau découpage de 1997. [16] On est passé de 35 agglomérations en 1987 à 117 en 1998, dont 60 sont des AS (tableau 2). Le principal motif de ce dernier découpage a été la contrainte foncière. L’État avait besoin de nouvelles potentialités foncières pour répondre aux besoins de la population en matière de logement, d’équipements, etc. Durant cette période de 1987 à 1998, la population agglomérée est passée de 1 678 615 habitants à 2 477 485, soit une augmentation de 65 %. Une nouvelle réalité sociospatiale s’est donc imposée dans la région algéroise (nouveaux pôles, nouvelle densité…). La dynamique des agglomérations dans l’espace périphérique s’est accélérée à un rythme très visible spatialement (figure 1). La situation d’Alger en 1998 montre clairement une dynamique importante du côté ouest et du côté sud-ouest (Staoueli, Zeralda, Baraki), et on constate une multiplication des AS, qui sont éparpillées sur l’ensemble du territoire communal.

Tableau 2

Évolution de la population agglomérée, 1966-1998

Évolution de la population agglomérée, 1966-1998
Source : Collection statistique n° 38 et n° 104, plus traitement de l’auteur

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Du côté est d’Alger, plusieurs ACL, comme Aïn Taya, Haraoua, Reghaïa et Rouïba, ont connu un développement remarquable, grâce à leur fusion avec quelques AS existantes. En parallèle, de nouvelles AS ont vu le jour. Ceci a donné une nouvelle ampleur aux chefs-lieux de ces communes en les transformant progressivement en centres secondaires (figure 1).

Plusieurs agglomérations sont devenues de plus en plus indépendantes sur certains aspects, vis-à-vis des ACL ou vis-à-vis du centre d’Alger. D’autres AS ont dépassé, par leur importance démographique ou économique, les ACL auxquelles elles sont rattachées.

Un phénomène de rurbanisation accentué en 2008

En 2008, l’espace périphérique devient le théâtre majeur de l’urbanisation. L’émiettement communal a renforcé une urbanisation en tache d’huile, qui s’accélère à un rythme alarmant. La dynamique des agglomérations s’affiche de plus en plus dans l’espace périphérique. Les résultats du dernier RGPH (2008) confirment clairement cette tendance (tableau 3). Plusieurs ACL ont connu des évolutions considérables des côtés est et ouest d’Alger, et cette évolution les a transformées en vrais foyers émetteurs de l’urbanisation. Elles polarisent, structurent et transforment tout l’espace avoisinant ; le nombre d’AS a encore évolué durant cette période. Ainsi, 16 nouvelles agglomérations urbaines sont apparues entre 1998 et 2008 (tableau 3). Les agglomérations les plus importantes sont Khraïssia, Souïdania et Hay Ghemidri, avec respectivement 17 126, 10 535 et 10 443 habitants. L’agglomération urbaine d’El Marsa s’est fusionnée avec l’agglomération urbaine intercommunale d’Alger. Selon le RGPH de 2008, 53 % des communes d’Alger sont classées totalement urbaines et 35 %, à dominance urbaine. Ces résultats démontrent l’ampleur de la croissance urbaine à Alger (figure 2).

La figure 2 illustre l’émergence d’un corridor de plusieurs agglomérations formant des pôles urbains, notamment autour des nouveaux axes routiers (2e rocade d’Alger). La tendance actuelle de la ville d’Alger est orientée vers une structure polycentrique, qui s’affirme de plus en plus. [17]

Tableau 3

Liste des agglomérations nouvellement urbaines en 2008

Liste des agglomérations nouvellement urbaines en 2008
Source : Collection statistique n° 163 / 2011, série S : Statistiques sociales

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Figure 2

Dynamique des agglomérations 2008

Dynamique des agglomérations 2008
Élaborée par l’auteur

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Des instruments d’urbanisme qui renforcent l’étalement urbain

Il faut rappeler qu’après l’indépendance, une politique urbaine a commencé à être définie pour Alger, avec une volonté de maîtrise globale de l’agglomération ; cette politique s’est traduite, en 1968, par la création du COMEDOR. [18] Une étude menée de 1970 à 1974 a abouti à l’approbation du POG, [19] qui devait agir comme un plan de développement à la fois économique et social, et en même temps, encadrer l’accroissement de l’agglomération algéroise à l’horizon 2000. Le POG a opté pour l’orientation de l’extension urbaine vers l’est. Le choix de cette direction a déjà été amorcé sous le plan de Constantine, durant l’époque coloniale. Une série d’opérations décidées par le COMEDOR ont été concrétisées, formant un front d’urbanisation continu de Staouéli à Boudouaou (Deluz, 1988) : Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene, viabilisation du quartier diplomatique (transformé en 1981 en zone d’habitat et d’équipement), zones industrielles Rouïba-Reghaïa, programme de 10 400 logements à l’est, programme de 15 000 logements et de zones d’activités le long de la rocade, parc zoologique et des loisirs, autoroute de l’Est, etc.

En 1979, une décision de gel de ce plan a été prise par le Conseil des ministres sous motif de la grande consommation des terres agricoles (plus de 15 000 ha) (Coté, 1983). Une nouvelle étude de la planification de la capitale a été mise en route ; il s’agit du Plan d’urbanisme directeur (PUD) finalisé en 1983. La stratégie du PUD a marqué une rupture totale avec le POG. L’orientation de l’extension de la ville est orientée vers l’ouest et le sud-ouest, dans un but de préservation des terres agricoles. On prévoit la création de 7 centres urbains de 200 000 habitants (Birkhadem, Shaoula, Khraïssia, Douera, El Achour, Ouled Fayet et Chéraga).

Un autre plan a été mis en place entre 1991 et 1993 : le PDAU. C’est un outil réglementaire qui a pour rôle l’affectation de l’usage du sol. À ce propos, Sidi Boumedienne considère le PDAU et le PUD comme des outils de régulation sociale et de distribution de la rente foncière (Sidi Boumedine, 2004). Malheureusement, le périmètre du PDAU était limité aux 33 communes issues du découpage de 1984. Quelque 24 communes ayant été rattachées à Alger après le découpage de 1997 ont évolué hors périmètre du PDAU (figure 3). Cet instrument est resté valable jusqu’en 2012, après quoi une étude d’actualisation du PDAU a été lancée. À ce propos, Hadjiedj note que « le changement trop répétitif de stratégie montre à quel point la cohérence urbaine fait défaut, alors que la ville continue à se développer sous la perturbation de mutation d’une stratégie à une autre et d’un instrument à un autre » (Hadjiedj, 2012).

Figure 3

Évolution des périmètres d’urbanisation en fonction des découpages administratifs

Évolution des périmètres d’urbanisation en fonction des découpages administratifs
Source : Berezowska-Azzag, 2001

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En effet, ce changement d’orientation de stratégie d’urbanisation d’Alger par les trois plans d’urbanisme POG, PUD, PDAU a eu des conséquences très visibles sur le plan spatial. Le poids de l’héritage de plus de 40 ans de planification urbaine pèse lourdement. L’ampleur constatée dans la prolifération des agglomérations traduit clairement les conséquences du changement du couloir de l’urbanisation (figure 3). Les côtés est et ouest d’Alger enregistrent une prolifération rapide de plusieurs agglomérations réparties d’une manière relativement homogène dans l’espace périphérique. Cette répartition spatiale des agglomérations (AS et ACL) traduit l’éclatement de la structure spatiale de la ville d’Alger, ainsi qu’une urbanisation non contrôlée.

L’étalement urbain à Alger : vers une dualité centre-périphérie

La mobilité résidentielle, moteur de la croissance des agglomérations à Alger

Le RGPH de 2008 a mis en évidence l’ampleur de l’extension des domaines urbanisés. Le processus de mobilité résidentielle entamé durant la décennie 1987-1998 se poursuit avec une ampleur accentuée. La figure 4 montre clairement l’amorce d’un exode urbain délibéré. La disponibilité du foncier et le développement d’une infrastructure routière d’un niveau de service élevé (2e rocade d’Alger, voie expresse…) ont stimulé davantage la délocalisation des ménages algérois du centre vers la périphérie. Ce flux migratoire du centre vers la périphérie touche presque l’ensemble des communes centrales (Zitoun, 2014). La zone centrale a perdu 141 632 habitants entre 1987 et1998. Les problèmes du centre (dégradation du cadre bâti, congestion…), ainsi que l’envie d’accession à la propriété d’une maison individuelle sont à l’origine de cette situation.

Nous constatons aussi des soldes migratoires négatifs dans quelques communes péricentrales telles que Bab El Oued, Hussein Dey et El Biar. L’ensemble de la zone péricentrale a perdu un potentiel démographique évalué à 25 045 habitants.

À l’opposé, l’espace périphérique continue d’être le lieu le plus convoité pour les nouvelles localisations résidentielles. Dans les périphéries proche et lointaine, nous constatons une forte augmentation démographique évaluée respectivement à 105 216 et 104 305 habitants, pour l’année 1998. À noter que, dans cette dynamique, deux communes constituent des cas particuliers : la commune de Sidi Moussa, à cause de la dégradation de la situation sécuritaire, et El Harrach, en raison de la dégradation de l’état du bâti dans sa zone centrale (figure 4).

Figure 4

Carte de l’évolution du solde migratoire entre 1987 et 2008

Carte de l’évolution du solde migratoire entre 1987 et 2008
Élaborée par l’auteur

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Vers une évolution morphologique

L’analyse de la répartition des densités pour l’année 2008 accentue le décalage est / ouest et nord / sud. L’écart se creuse entre les communes centrales et les communes péricentrales. Cette nouvelle logique de distribution de la population provoque un élargissement du périmètre de concentration des ménages.

La figure 5 laisse apparaître une grande diversité dans la répartition de la densité résidentielle, qui rend compte de la complexité du phénomène de mobilité résidentielle. Les principaux résultats qui ressortent de cette analyse sont les suivants :

  • La distance du centre reste un élément déterminant dans la décroissance de la densité ;

  • Les communes centrales enregistrent une baisse très sensible de la densité de population, qui décroît dans un rayon approximatif de 13 km, couvrant le centre historique et la totalité de la zone péricentrale ;

  • La forme de la courbe observée dans la figure 5 témoigne d’un certain contraste est / ouest et nord / sud ;

  • Les communes de la périphérie éloignée retrouvent un dynamisme démographique très important, résultat de la disponibilité du foncier, du prix du foncier, de l’amélioration de l’accessibilité et de l’absence de contraintes topographiques.

Figure 5

Synthèse de l’évolution de la densité à Alger de 1987 à 2008

Synthèse de l’évolution de la densité à Alger de 1987 à 2008

Élaborée par l’auteur

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Une mutation de la base économique

L’orientation économique de l’Algérie à la fin des années 1980, qui a visé une plus grande ouverture vers une économie de marché, a permis un changement progressif du paysage économique algérois. Après un processus de redéploiement de la population dans l’espace périphérique, qui a débuté en 1987 et qui continue jusqu’à ce jour, c’est au tour des activités économiques de subir les conséquences de ces changements. L’image négative des anciens faubourgs marqués par la présence d’une forte activité industrielle, des habitations à loyer modique (HLM), de l’habitat précaire ou qualifié de cités dortoirs, notamment pour les grands ensembles comme Bab Ezzouar, Aïn Naâdja, etc., a complètement changé. Au fil des années, on constate la réduction du rôle de l’activité industrielle et son remplacement progressif par des activités commerciales et de services. Ce sont des mutations d’ordre quantitatif et qualitatif. Le centre traditionnel était toujours le poumon économique des activités du tertiaire et du tertiaire supérieur. L’étalement urbain a changé la morphologie de la ville d’Alger et entraîné l’émergence de nouvelles centralités. L’espace périphérique est devenu un lieu potentiel de concentration des activités commerciales et de services.

Selon le recensement économique fait par l’ONS durant la période 2010-2011, nous constatons des résultats très intéressants. Alger est une métropole en voie de tertiarisation, l’activité commerciale et de services détient le monopole de l’activité économique à Alger, avec des taux de 56 % et 33 % respectivement, suivie par l’industrie et le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), avec des taux de 9 % et 1 % respectivement (tableau 4). Sur le plan spatial, la 1ère et la 2e couronnes d’Alger représentent la périphérie proche et lointaine. Dans le secteur du commerce et des services, la répartition est presque homogène entre les quatre entités spatiales, ce qui témoigne des mutations profondes dans le paysage économique de l’espace périphérique après plusieurs découpages consécutifs.

Tableau 4

Répartition des activités économiques par couronne à Alger

Répartition des activités économiques par couronne à Alger
Source : ONS, 2012

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Vers une stratification des agglomérations à Alger

Une des conséquences les plus marquantes du processus de croissance des agglomérations de 1966 à ce jour est l’étalement urbain de la ville d’Alger. Cet étalement se traduit spatialement par la croissance continue des limites de l’agglomération d’Alger. C’est le résultat d’une conurbation et de la fusion des différentes agglomérations durant presque 50 ans d’évolution.

Actuellement, les limites de l’agglomération s’étalent sur 45 communes avec un tissu urbain continu et une population de 2 364 230 habitants (RGPH, 2008). Alger est passée au rang de métropole urbaine, selon la classification de l’ONS en 2008, après avoir été classée en urbain supérieur en 1998. En parallèle, 19 agglomérations sont classées comme strates de l’urbain supérieur, ce qui renforce l’armature urbaine d’Alger (tableau 5).

Plusieurs facteurs ont favorisé cette situation : essentiellement une forte mobilité résidentielle, la disponibilité des réserves foncières dans les communes périphériques et un échec de la planification urbaine. La promotion administrative a souvent été l’élément stimulant de cette dynamique en conférant aux différentes agglomérations à vocation rurale un statut administratif leur permettant d’inscrire des programmes de logements, d’équipements, des périmètres d’urbanisations, etc.

Actuellement, le processus de croissance des agglomérations se réalise avec de nouveaux mécanismes de plus en plus complexes par rapport aux périodes précédentes. L’amélioration des services du réseau routier a chamboulé le rythme de croissance spatiale des agglomérations, notamment celles qui ont une bonne position par rapport aux grands axes de circulation (rocade, pénétrante…). Cette facilité d’accès au réseau routier express a offert de nouvelles occasions, notamment pour la localisation résidentielle. Les parties ouest et sud, autrefois mises à l’écart, retrouvent un certain dynamisme, avec l’émergence de plusieurs sites résidentiels d’un niveau de vie moyen à élevé, situés autour des rocades et des voies expresses.

Tableau 5

Liste des agglomérations classées urbaines en 2008 selon leurs strates d’appartenance

Liste des agglomérations classées urbaines en 2008 selon leurs strates d’appartenance
Source : Collection statistique n° 163/2011, série S : Statistiques sociales

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Conclusion

L’acte d’urbanisation est considéré comme le moteur de l’étalement urbain. Notre travail a mis en relief la pertinence de notre hypothèse de départ, qui postule l’existence d’une relation de cause à effet entre la promotion administrative et l’étalement urbain. La mise en place d’une base de données sous SIG, qui localise, hiérarchise et retrace l’évolution spatiale et temporelle des agglomérations de 1966 à 2008, conjointement à l’évolution du découpage administratif, montre clairement l’apport des politiques publiques en matière de promotion administrative, dans la stimulation de tout un processus d’étalement urbain.

En effet, le cas d’Alger nous renseigne sur quelques éléments importants dans l’étude de l’étalement urbain :

  • À l’image des autres villes capitales du Maghreb, les effets de la politique coloniale en matière de maillage territorial ont été rapidement ressentis après l’indépendance à Alger, qui concentre la majorité des biens et services. Cette inégalité spatiale dans la distribution territoriale des ressources économiques et des services, ce centralisme excessif, ont amorcé le début de la transition urbaine, avec un redéploiement massif de la population. Le premier maillage administratif de 1963 n’a pas pu apporter les réponses escomptées en matière de maîtrise des flux migratoires. Le centre traditionnel a absorbé le surplus démographique grâce à la libération des biens immobiliers à la suite du départ massif des colons. En parallèle, les communes nouvellement promues au statut d’ACL situées près de l’agglomération urbaine principale, le GA, sont déjà prédisposées à enclencher un processus d’urbanisation, vu leur présence dans le rayon d’influence directe du centre. Aussi, leurs nouveaux statuts administratifs leur donnent les prérogatives nécessaires en matière d’urbanisation (programme de logements, d’équipements, etc.).

  • L’émiettement institutionnel entamé par les quatre découpages de 1963, 1974, 1984 et 1997 vise un maillage de plus en plus fin pour une meilleure équité sociale et économique. Cette orientation nous a souvent conduits à une multiplication des centres de décision dans le domaine de la planification urbaine, ce qui a renforcé un étalement urbain en saut de mouton. Deux points importants sont à souligner pour le cas d’Alger. Premièrement, l’incohérence des limites de la planification de la ville et les limites administratives. Plusieurs communes ayant été rattachées à Alger évoluent indépendamment de la vision globale de la planification de la métropole. En effet, leurs rattachements visent uniquement à renforcer le portefeuille foncier d’Alger et à améliorer les ressources fiscales (présence de zones industrielles). Deuxièmement, les nouvelles forces motrices telles que l’amélioration de l’accessibilité routière au profit des espaces périphériques, la question du foncier, la saturation du centre, etc., ont sans doute donné l’occasion à des AS qui avaient un profil typiquement rural de grimper brusquement dans la hiérarchie urbaine algérienne. Ces deux facteurs ont contribué favorablement à inverser la dynamique démographique et à favoriser l’émergence de nouvelles polarités autour du corridor autoroutier. C’est une nouvelle morphologie urbaine basée sur une organisation polycentrique qui marque de plus en plus l’espace périphérique algérois.

  • L’émiettement de l’urbanisation stimulé par l’émiettement institutionnel, dans un pays où l’urbanisation est souvent mal maîtrisée, l’administration mal outillée, et où la satisfaction des revendications sociales constitue une priorité pour les gestionnaires, ont réussi à faire des différentes ACL et AS de véritables foyers émetteurs de l’urbanisation. L’analyse de la progression du nombre d’ACL et d’AS et leur positionnement dans la nouvelle hiérarchie urbaine témoigne d’une dynamique d’étalement urbain inquiétante. À partir de 2008, Alger affiche une nouvelle stratification de ces agglomérations. Les données du dernier RGPH de 2008 donnent les résultats suivants : une strate classée métropole urbaine, qui représente l’agglomération d’Alger avec 2 364 230 d’habitants, et 19 strates classées urbaines supérieures, la majorité de ces dernières ayant auparavant un statut d’AS ou d’ACL. L’extension continue des limites de l’agglomération d’Alger risque d’absorber de nouvelles agglomérations. Une conurbation plus importante est à prévoir si une politique de maîtrise de croissance spatiale de la ville d’Alger n’est pas mise en place le plus tôt possible.

Au regard de tout ce qui a été dit, la transition urbaine est amorcée sérieusement à Alger, et elle risque de ressembler à celle des grandes métropoles en développement. Étudier l’étalement urbain et la promotion administrative soulève également la question de savoir comment mettre en place les modes de gouvernance qui empêchent l’émiettement des espaces métropolitains. Quel sens donner au concept de décentralisation dans les villes en développement, et notamment maghrébines, pour une gestion urbaine cohérente et durable ?

Répondre à ces questions nécessite des approches appropriées et l’ouverture d’un débat aux différents acteurs de la ville et de la politique de l’aménagement du territoire.