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L’ouvrage de Yolande Berton-Ofouémé capitalise sur les résultats du Projet Agrisud international (1988-2004) réalisé dans trois régions géographiques (Afrique, Asie, Caraïbes) connues pour leur vulnérabilité au risque d’insécurité alimentaire et à la pauvreté. Il est issu d’un travail doctoral en géographie alimentaire soutenu par l’auteure en 1996. Il s’inscrit dans la thématique générale de la sécurité alimentaire, largement abordée dans la littérature francophone depuis le Sommet mondial sur l’alimentation (1996). Mentionnons, entre autres, Jean-Louis Chaléard (1996), Maurizio Aragrande et Stefano Farolfi (1997) et Nicole Stäuble Tercier et Beat Sottas (2000).

Le sujet traité est d’un grand intérêt et surtout d’actualité. L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde montre en effet que la faim gagne de nouveau du terrain. D’après les statistiques disponibles (FAO, 2017), le nombre de personnes sous-alimentées est croissant depuis 2014, notamment en Afrique et en Asie. Il s’élèverait à 815 millions en 2016. L’objet de l’analyse est de caractériser la demande alimentaire dans les grandes villes en vue de fournir des bases de connaissances pour l’amélioration de l’approvisionnement alimentaire des citadins, particulièrement des populations défavorisées.

L’urbanisation croissante dans les régions étudiées a constitué le point d’entrée de l’ouvrage, structuré en sept chapitres. L’usage des concepts récurrents depuis plusieurs décennies montre que la question de l’alimentation est particulièrement préoccupante (p. 18), et les résultats présentés sont dans l’ensemble bien justifiés en relation avec l’environnement des régions étudiées (p. 19). Le premier chapitre (p. 22-52) présente de façon exhaustive le cadre général des champs d’investigation en utilisant deux échelles spatiales : celle du pays et celle de la ville. Les caractéristiques de neuf villes sont présentées de façon détaillée. Le chapitre II (p. 53-84) situe le contexte, la justification, les cadres conceptuels et théoriques ainsi que les limites de l’étude. Le lien entre l’approvisionnement alimentaire des villes et la sécurité alimentaire est bien établi à travers une revue exhaustive de la littérature (p. 55-60). On retient également que les études sur les problèmes alimentaires font l’objet d’approches théoriques complexes qui impliquent, pour les chercheurs, de savoir exercer des arbitrages méthodologiques judicieux.

Le chapitre III (p. 85-112) décrit la nature et les formes de consommation de produits. Il met en évidence les facteurs d’extraversion et la dépendance croissante de l’alimentation urbaine principalement par rapport au riz, aux poissons et à la volaille. La caractérisation de la consommation alimentaire des neuf villes étudiées montre que les urbains consomment une gamme variée de produits végétaux et animaux. Mais pour Berton-Ofouémé, il n’y a pas lieu de conclure à une uniformisation de la consommation alimentaire (p. 105-106), car les facteurs socioculturels restent puissants, même si la mondialisation de l’alimentation peut être admise pour des produits bien déterminés (riz, blé, poulet). Le chapitre IV (p. 113-138) souligne l’importance des besoins alimentaires. On pourrait cependant s’interroger à savoir si les données d’estimation des besoins alimentaires obtenues sur des années différentes (tableau 1, p. 116) n’introduisent pas un biais dans la comparaison des disponibilités entre différentes villes. Certaines années peuvent être excédentaires ou déficitaires sous l’effet d’un ensemble de facteurs naturels (p. 130) ou anthropiques (l’exemple des crises sécuritaires en Angola).

La caractérisation des origines de l’offre alimentaire urbaine, au chapitre V (p. 139-158), relève deux faits majeurs : la massification des importations agricoles et l’intensification des échanges régionaux. L’auteure analyse, sur une cinquantaine de pages au chapitre VI (p. 159-208), les facteurs et les conséquences de l’inadéquation entre l’offre et la demande. Elle montre que la saisonnalité de l’offre alimentaire expliquée par plusieurs facteurs (catastrophes naturelles, changements climatiques, accès au foncier, conflits armés, échec des politiques publiques et faible pouvoir d’achat des ménages) constitue un élément significatif de cette inadéquation. Et comme corollaire, on note l’inégal accès aux produits alimentaires et de graves déséquilibres nutritionnels. Le dernier chapitre (p. 209-219) décrit les stratégies d’adaptation des ménages à l’inadéquation offre / demande (diminution du nombre de repas journaliers et des quantités de nourriture par repas, choix de produits plus accessibles, suppression des produits carnés, autoconsommation, restauration de rue).

Dans l’ensemble, l’ouvrage est agréable à lire et accessible à un public varié. L’exhaustivité des données statistiques, la caractérisation de la consommation des ménages et la connaissance de l’extraversion croissante de l’offre alimentaire urbaine interpellent les responsables de l’action publique sur la nécessité de saisir l’occasion qu’offre l’accroissement de la demande pour densifier les appuis au développement d’une production nationale (p. 140).

La lecture de ce livre suscite cependant quelques interrogations, notamment sur les critères du choix des villes (six en Afrique subsaharienne, deux en Asie et une dans les Caraïbes) au regard des disproportions tant du point de vue spatial que démographique. Ces disproportions mettent en question le terme « grandes villes » qui structure le titre principal de l’ouvrage. L’auteure privilégie-t-elle le statut de capitale politique ou économique ? L’étendue spatiale ou la taille de la population ? En outre, l’agriculture intra et périurbaine évoquée comme solution pour accroître l’offre locale (p. 62) pourrait faiblement constituer un levier d’approvisionnement urbain durable dans le contexte des pays du Sud (urbanisation non contrôlée, fragilité des politiques urbaines).

Du point de vue de la structure de l’ouvrage, le dernier chapitre (10 pages) aurait pu être développé au chapitre précédent dans le prolongement des conséquences de l’inadéquation offre / demande, même si l’on peut comprendre le souci d’équilibre. Ces interrogations et remarques n’enlèvent cependant rien à la pertinence et à la profondeur de l’analyse, au souci de détail de l’auteure. Le livre constitue une précieuse réflexion sur la question alimentaire dans les villes des pays du Sud et peut utilement servir d’outil d’aide à une action publique nationale et internationale mieux maîtrisée.