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L’hétérogénéité des axes d’étude exposés dans cet ouvrage invite le lecteur à découvrir et à améliorer ses connaissances sur l’habitabilité des littoraux. Sous la direction de Samuel Robert et Hélène Melin, 54 auteurs alimentent 27 articles. Ces contributions proviennent des 26es journées de la Société d’écologie humaine (SEH), tenues à Marseille en octobre 2014 et intitulées : Habiter le littoral. Enjeux écologiques et humains contemporains. Les participants partaient du constat selon lequel les littoraux tendent à devenir de manière prégnante des enjeux économiques, sociaux, écologiques et politiques. Simultanément, ces lieux étaient conçus comment étant des zones de tensions et de conflits. L’objectif partagé par les intervenants était de rendre compte de l’habitabilité des espaces côtiers contemporains tout en mettant en relief les rapports entre les populations et le milieu littoral à travers l’acte « d’habiter ».

Densément illustré et étayé, l’ouvrage est structuré en cinq parties où sont imbriquées des lectures anthropologiques, juridiques, géographiques, psychologiques, historiques, sociologiques, biologiques, géomorphologiques et environnementales. La première partie nous positionne entre nature et culture pour habiter un lieu singulier. La seconde aborde les différentes manières d’être habitant. La troisième, l’action d’habiter ensemble, la gouvernance et les jeux des acteurs. La quatrième s’attache à « habiter malgré tout », où le littoral est vécu comme un milieu à risque. La cinquième partie met en exergue les liens entre les sciences et les sociétés par les contributions des scientifiques pour un meilleur « habiter ». Nous avons accès à une pluralité de réalités. Celles-ci rendent accessibles les littoraux dans leur complexité, leur interdépendance, leur fragilité et leurs attraits.

La contextualisation de l’habitabilité des littoraux nous fait voyager du nord du Québec à la Nouvelle Calédonie en passant par la Guyane, avec une évasion vers l’Asie et le Japon. La diversité des littoraux est augmentée avec des regards portés sur l’île de Sien, la ville de Nantes, diverses parcelles du littoral méditerranéen et des particularités ivoiriennes ainsi que de l’Afrique de l’Ouest. Les thèmes nous immergent au coeur de domaines aussi différents que les calanques marseillaises, le patrimoine du littoral, les types de pêche, les paysages, une cité épiscopale, les modes d’appropriation en fonction des activités professionnelles ou les tensions de cohabitation. Bien entendu, les recompositions territoriales, les orientations écologiques de nettoyage ou d’aménagement, les conséquences des implantations anarchiques ne sont pas occultées. Il en est de même de la vulnérabilité des littoraux, que ce soit aux raz-de-marée, aux glissements de terrain, à l’érosion, aux risques sanitaires, aux capacités d’accueil ou à la pression qui en résulte. Les mouvances contemporaines, portées par le développement durable, de conscientisation des conséquences des excès d’anthropisation des littoraux mettent en relief les besoins d’une gestion intégrée, la nécessité de prendre en considération les populations, ainsi que la pertinence de l’emploi d’un indice synthétique de la qualité de vie en zone littorale afin d’entrevoir des solutions pérennes.

À titre personnel, nous regrettons que la notion d’interface soit employée de manière aussi frileuse alors que les littoraux, dès lors qu’ils sont des supports à des activités anthropiques, sont des interfaces, au-delà du seul contact terrestre et aquatique, où des acteurs agissent sur des parcelles en fonction de potentialités pour parvenir à des objectifs. Cela nous plonge au coeur du concept d’interface humanité / espaces terrestres. Par ailleurs, le contexte d’interdisciplinarité est à notre sens un frein à toute pratique réellement pluridisciplinaire, puisque les frontières souvent hermétiques des domaines scientifiques sont préservées. Nous préférons la transdisciplinarité. Celle-ci impose aux acteurs de déposer leurs certitudes pour oeuvrer en synergie avec des sciences connexes sans pour cela partager des perspectives identiques d’analyse. Elle incite les actants, lors de l’étude d’un objet de recherche, à s’extraire des normalités méthodologiques d’une spécialité pour accepter et mettre en oeuvre la différence. Cette dynamique serait plus affirmée avec une insistance sur la notion de durabilité, laquelle va bien plus loin que le développement durable. En outre, l’acte d’habiter implique une relation au monde, à la parcelle conquise ou acquise. Cette relation est la géographicité. Elle se devine par l’intermédiaire de la territorialité ponctuellement employée, mais la notion de géographicité n’est pas utilisée. L’absence de ces quatre concepts démontre que les géographes, pour le moins, demeurent soudés à des conceptions de la compréhension du monde pour lesquelles la compilation, le commentaire et l’exposition demeurent les outils d’une légitimité vectrice de scientificité. C’est-à-dire que malgré la clarté des articles, il manque, à notre sens, les dimensions projectives et de responsabilisation bien que le texte Habiter le littoral français en 2040 (p. 315-325) nous ouvre des potentialités d’ici deux décennies.

Aucun ouvrage ne peut rendre accessible une réalité dans sa totalité. Cette incomplétude est indissociable des sciences humaines, ce dont de nombreuses critiques devraient avoir conscience. Pour cet ouvrage, les auteurs, dans leur pluralité d’axes d’approche de l’habitabilité des littoraux, rendent plus explicites et accessibles les dynamiques qui façonnent ces parcelles tellement convoitées, quel que soit le type d’activité. Ils nous informent au sujet de l’empreinte anthropique laissée par nos sociétés dans ces lieux souvent fragiles. Ils utilisent le prisme de facettes spécifiques pouvant être retrouvées par similitude en tout point du globe. Le lecteur – étudiant, enseignant, curieux ou chercheur – trouvera des éléments pouvant être partagés avec un grand nombre de domaines des sciences humaines sur le thème de l’habitabilité des littoraux. Cet ouvrage contribue à une meilleure perception de la complexité des littoraux afin que l’anthropisation, consciente et responsabilisée, de ces interfaces participe à la préservation de la richesse de la nature tout en permettant l’expansion raisonnée des habitats.