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L’individualisation des rapports sociaux, qui tend à croître au fur et à mesure que la modernité devient réflexive (Beck et Beck-Gernsheim, 2001), transforme en profondeur les modes d’intégration sociale des milieux de vie (Singly, 2003). Reposant sur une désintégration des certitudes qui fondaient la société industrielle, elle va de pair aussi avec un remplacement des valeurs de ce modèle de développement par de nouvelles exigences sociales, professionnelles autant qu’éthiques, pour les individus qui doivent, comme le souligne Ulrich Beck (1994: 191), «produire, organiser et composer» leur propre biographie (cf. aussi Gauchet, 1998). L’individualisation gagne en importance au fur et à mesure que s’approfondit l’expérience de la modernité. Elle met en scène les multiples dimensions de l’individu, que ce soit dans ses principales fonctions sociales ou dans les supports auxquels il a accès pour construire son identité (Martuccelli, 2002). À coup sûr, l’individualisation des rapports sociaux est révélatrice de l’importance accrue que revêtent l’identité et la subjectivité des individus dans l’analyse des faits sociaux.

Les processus habituellement associés à la modernité avancée ou réflexive ont un impact plus ou moins direct sur la ville, sur les conditions de cohabitation des citadins et sur les formes urbaines. C’est sans doute l’image et la réalité économique et sociale des métropoles – ici, on pense aux métropoles contemporaines et à leur configuration spatiale particulière évoluant à la faveur de la dispersion ou de l’étalement urbain – qui permettent le mieux d’appréhender les transformations survenues ces dernières années dans les rapports sociaux à l’espace et leurs conséquences tant pour les individus ou les ménages que pour les acteurs collectifs. Comment s’articulent à ce sujet choix individuels et choix collectifs? Quel est le rôle véritable des politiques urbaines, comme le demandait Monkkonen (1988) à la fin des années 1980? Dans quelle mesure la configuration spatiale qui caractérise les métropoles nord-américaines influe-t-elle sur le destin des modes d’habiter et les styles de vie de chacun? Jusqu’à quel point les nouvelles dynamiques économiques, sociales et culturelles qui alimentent le développement des métropoles contemporaines et leur forme étalée – voire dispersée – mettent-elles en péril l’urbanité qui caractérisait les métropoles modernes?

Loin de moi l’idée d’idéaliser la forme urbaine des villes modernes. Cependant, force est de reconnaître que depuis les années 1960, et davantage même au cours des trente dernières années, la physionomie des paysages urbains s’est grandement transformée (Ellin, 1996), révélant du même coup un certain nombre de changements tant dans les rapports sociaux que dans les rapports sociaux à l’espace.

Ce qui caractérise les métropoles aujourd’hui, c’est avant tout une transformation en profondeur des modes d’organisation de la ville et des processus qui les alimentent. La forme qu’emprunte l’urbanisation à l’intérieur des métropoles contemporaines découle du développement des modes de transport et de télécommunications conduisant à l’aménagement de milieux de vie qui se déploient sur un territoire étendu et dispersé (Ascher, 2003). Dans quelle mesure les forces et les tendances à l’oeuvre dans l’urbanisation sont différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient il y a un siècle demeure une question ouverte. Plusieurs des mécanismes qui ont contribué à produire la ville moderne réticulée de la fin du XIXe siècle continuent d’influencer les modes d’organisation et de production de l’espace, en particulier les moyens de transport et de communication, qui ont permis de redéfinir le rôle et la place de la centralité dans l’organisation de l’espace. Toutefois, depuis les années 1960, tant à cause des interventions publiques, des ressources dont disposent les ménages que des changements survenus dans le système de production et l’ensemble de l’économie – qu’il s’agisse notamment de la tertiarisation accrue de l’économie et du redéploiement industriel de plusieurs entreprises et usines en périphérie –, un changement d’échelle de la vie urbaine s’est opéré et de nouveaux modes de structuration socio-spatiale ont été mis en oeuvre (Dagorn, 2003). Non seulement la mobilité des individus et des ménages est-elle plus grande qu’auparavant, mais les déplacements et les modes de vie à l’intérieur de la ville empruntent des parcours inédits. L’espace du quartier, moins significatif parfois pour ceux qui vivent seuls peut être investi d’une nouvelle manière par certains qui y trouvent des services et des relations appropriés à leurs besoins. Il reste que les rapports sociaux à l’espace et à la ville – perçus et vécus de plus en plus en référence à la réalité métropolitaine – sont plus diversifiés que par le passé. En d’autres termes, la métropole contemporaine tend à acquérir une signification concrète pour les individus et les ménages. C’est là un trait distinctif important qui la différencie des métropoles modernes, dont l’existence retenait avant tout l’attention des grands décideurs publics et privés.

Le texte qui suit constitue une réflexion exploratoire sur les formes urbaines, leur transformation, les modes d’habiter, de même que les rapports sociaux à l’espace. Mon intention n’est pas pour l’instant de proposer un nouveau modèle d’aménagement ou de planification urbaine. Je tenterai plutôt de mieux cerner, à partir de quelques controverses – en fonction desquelles se joue le destin des métropoles contemporaines – les principaux facteurs qui influencent les choix publics en matière de développement et d’aménagement urbains.

À cette fin, le texte est subdivisé en trois parties. Dans un premier temps, j’évoque la forme et l’évolution des métropoles contemporaines, en particulier les tendances fondamentales qui alimentent leur transformation. Dans un deuxième temps, l’accent portera sur quelques-unes des controverses qui me semblent décisives par rapport à l’avenir des métropoles contemporaines et à celle de leur évolution dans le contexte nord-américain. Enfin, j’examine quelques implications politiques découlant de ces controverses, notamment en ce qui a trait à la démocratie locale.

Des métropoles en transformation

Les milieux urbains à l’intérieur desquels nous nous déplaçons sur une base quotidienne sont passablement différents de ceux à l’intérieur desquels nous vivions il y a dix, vingt ou trente ans. Janet Rothenberg Pack (2005) parle à ce sujet d’un nouveau développement métropolitain qui remonterait selon elle aux années 1990, constituant un véritable «virage paradigmatique» en matière de développement urbain. La principale composante de ce virage nous est très familière, puisqu’il s’agit de l’étalement urbain. Depuis la fin des années 1970, le gouvernement du Québec a d’ailleurs adopté diverses mesures destinées à l’endiguer, ou du moins à le contenir – comme le renforcement de la loi destinée à protéger les terres agricoles –, malgré le fait qu’un certain nombre d’autres mesures aient eu l’effet inverse, si nous pensons par exemple à la construction d’équipements dans le domaine de la santé et de l’éducation dans les couronnes nord et sud de la métropole montréalaise, pour ne considérer qu’un seul élément.

Janet Rothenberg Pack insiste sur le fait que la croissance métropolitaine repose sur une série de facteurs liés qui sont à la fois internes et externes aux milieux métropolitains. Ceux-ci mettent en cause autant des situations historiques particulières que des contraintes géographiques. Il existe des différences dans la croissance des régions métropolitaines et de leur population, qui reflètent les choix effectués par les États où elles sont situées autant que la géographie des grandes régions à l’intérieur desquelles elles s’inscrivent. On peut tenir compte des opportunités qui s’offrent à ces milieux, mais il faut considérer aussi les valeurs sociales et culturelles auxquelles adhèrent les populations locales.

Les tendances qui caractérisent le développement des agglomérations métropolitaines en Amérique du Nord s’observent dans des termes similaires en Europe, même si l’échelle n’est pas la même et que leurs conséquences sur la déstructuration des anciens centres urbains ne sont pas aussi forte. Comme le souligne Michel Bassand (2001), on peut traiter des métropoles contemporaines selon deux perspectives, la première concernant le processus interne de structuration sociale, la deuxième mettant plutôt l’accent sur le développement d’un système de métropoles dans le contexte de la mondialisation.

Le développement métropolitain résulte, dans une large mesure, du processus de métropolisation auquel plusieurs souscrivent pour rendre compte de la «forme contemporaine du processus d’urbanisation» (Ascher, 2003: 612). Il établit des relations avec des espaces et des milieux de vie qui étaient auparavant extérieurs ou trop éloignés de l’agglomération pour en faire partie. Les métropoles contemporaines obéissent à un modèle qui, selon certains, ne serait pas encore arrivé à maturité (Lévy cité par Dagorn, 2003: 609). En même temps que les formes urbaines, c’est l’urbanité qui change. Il reste que ce sont davantage les composantes géographiques et spatiales – incluant les relations existant entre les diverses instances territoriales – qui retiennent l’attention et permettent d’appréhender la spécificité des métropoles:

Les aires urbaines qui se façonnent sont plus ou moins peuplées, denses, polarisées. Mais elles présentent des caractéristiques identiques: les aires métropolitaines dilatent les agglomérations anciennes et s’étendent à plusieurs dizaines de kilomètres des grandes villes qui les ont suscitées; les densités urbaines globales diminuent, mais les zones périurbaines se densifient; le tissu urbain n’est plus continu mais fragmenté; les zones bâties sont éparses, parfois entrecoupées de zones rurales; les limites entre ville et campagne s’estompent; des polarisations périphériques nouvelles se constituent, qui diminuent le poids du système radioconcentrique assez caractéristique des villes européennes anciennes.

Ascher, 2003: 612-613

La métropolisation nous invite à revoir notre conception usuelle de l’aménagement urbain, définie en fonction d’une centralité unique, en faveur d’une centralité multiple, décentrée, voire d’une réalité polycentrique (Devisme, 2005). Ce sont aussi les rapports sociaux à l’espace qui changent en fonction d’une mobilité plus grande ou versatile, en fonction des lieux de résidence et des styles de vie. Il en résulte une transformation de la hiérarchie urbaine, tant en ce qui a trait aux relations entre les unités qui composent l’agglomération dans son ensemble qu’en ce qui concerne la place de l’agglomération dans la hiérarchie urbaine continentale ou mondiale.

Les logiques sociales, économiques, culturelles et politiques qui produisent les formes spatiales caractéristiques des métropoles contemporaines et leurs conséquences sur les rapports sociaux ne sont pourtant pas complètement étrangères aux traits spécifiques de la modernité. Lorsqu’ils décrivaient les métropoles modernes, les premiers sociologues – on peut penser à Weber ainsi qu’à Simmel?– insistaient sur un certain nombre de paradoxes qui furent repris par l’École de Chicago. La spécialisation des activités et la multiplication des professions ont donné naissance à l’émergence des «types professionnels» exigeant une plus grande différenciation, une plus grande singularité, tandis que maintes différences sociales passaient au second plan en fonction de l’égalitarisme propre aux sociétés démocratiques.

L’incertitude qui accompagnait les défis que devait relever l’homme moderne dans la grande ville au début du XXe siècle nourrissait une ambivalence qui n’a pas disparu aujourd’hui. C’est ce que Norbert Elias a bien compris. Alors que les aspirations des individus sont nourries par une «une multiplicité de destins possibles» (1987: 24) – étant donné que nous vivons en principe dans des sociétés égalitaires, chacun est en mesure de poursuivre ses ambitions –, en même temps ceux-ci sont limités par des structures, compte tenu notamment de leurs origines sociales et des positions occupées qui restreignent leurs «chances de réussite objective» (1987: 24). Pierre Bourdieu (1997) a repris cette analyse en parlant de la tension qui prévaut dans les sociétés modernes entre ce qu’il appelle, d’un côté, les «espérances subjectives» et, de l’autre, les «chances objectives». Les individus auraient tendance à «modérer» leurs aspirations en fonction des possibilités objectives qui s’offrent à eux en fonction de leur origine sociale, un effet de l’habitus de classe.

Cette tension n’empêche pas pour autant que s’accroisse l’individualisation des rapports sociaux. C’est ce que la réflexivité accrue, propre à la modernité avancée, favorise (Beck, Bonss et Lau, 2003). Dans ce contexte, les individus deviennent responsables de leur biographie à un degré qui n’a jamais existé auparavant. Les certitudes léguées par les sociétés industrielles ne tiennent plus. Il en découle que les individus doivent agir davantage en leur nom propre que par le passé, assumant des risques qui exigent de nouvelles connaissances, mais aussi de nouvelles formes de médiation et de négociation sur la scène politique (Beck, 1997). En ce sens les individus apparaissent en quelque sorte «condamnés à l’individualisation» (Beck, 1997: 96). Ils n’ont pas le choix, l’individualisation étant l’horizon sur lequel se déploient les sociétés modernes avancées.

La portée des transformations provoquées par l’individualisation se répercute dans toutes les sphères de l’activité sociale. Elle concerne aussi bien l’individu en tant que sujet (Touraine et Khosrokhavar, 2000; Kaufmann, 2004), que le couple ou la famille (Singly, 1996). En outre, cette individualisation ne se limite aucunement à la sphère privée. Elle se déploie sur la scène politique et en modifie le fonctionnement. Les individus ne se contentent plus d’assumer des rôles que les institutions leur destinent, comme cela était très souvent le cas dans la société industrielle classique. C’est plutôt l’inverse qui se produit. Ainsi les programmes institutionnels, à cause de leur fragilité, de leur incapacité à répondre aux nouvelles demandes sociales ou de leur difficulté à se reproduire, se redéfinissent à partir des individus et de leurs prérogatives (Beck, 1997: 98; Dubet, 2002).

Tous ces changements qui s’articulent à plus d’un titre à l’individualisation des rapports sociaux contribuent à définir une nouvelle place pour l’individu dans la ville et dans l’espace urbain. Comme le souligne Alain Bourdin (2005), mais comme l’avait déjà mentionné François Ascher (1998a), les processus d’individualisation – qui se traduisent également par une autonomie croissante des individus – entraînent une diversification, voire une segmentation des pratiques sociales, que les innovations technologiques sur le plan des communications et par rapport aux déplacements dans l’espace encouragent également (Ascher, 1998b). Ainsi, alors que le poids des facteurs de proximité en ce qui a trait à la qualité de l’urbanité décroissent, les libertés individuelles sont plus grandes, contribuant à l’émergence d’une «sociabilité élargie», même si elle peut s’avérer «discontinue ou épisodique» (Ascher, 1998b: 198).

Ces réalités et leurs répercussions sur les nouveaux modèles d’aménagement urbain ont été décrites d’une manière saisissante par Robert Fishman (1987) dans son ouvrage sur la montée et le déclin de la banlieue aux États-Unis. Pour Fishman, le paysage urbain des États-Unis s’est radicalement transformé à partir des années 1950, de telle sorte que le paysage urbain à l’intérieur duquel se déplacent de nos jours la majorité des ménages et des travailleurs n’a plus rien à voir avec la ville traditionnelle et les formes de centralité qui la caractérisaient. Ce paysage urbain a été redessiné en fonction des exigences de la technoburb[1], nouveau principe d’organisation de l’espace urbain qui repose sur la décentralisation, la diversité, la mobilité et le recours aux technologies avancées de communication. Cette technoburb et ses principes organisationnels sont si puissants qu’ils ont donné lieu à la fabrication d’une nouvelle réalité urbaine, la techno-city, qui a complètement transformé les villes centrales, modifiant la région métropolitaine dans son ensemble:

The techno-city is truly multicentered, along the pattern that Los Angeles first created. The technoburbs, which might stretch over seventy miles from the core in all directions, are often in more direct communication with one another–or with other techno-cities across the country–than they are with the core. The techno-city’s real structure is aptly expressed by the circular superhighways or beltways that serve so well to define the perimeters of the new city. The beltways put every part of the urban periphery in contact with every other part without passing through the central city at all.

Fishman, 1987: 185

Même si on peut reprocher à Fishman de trop mettre l’accent sur les changements technologiques pour expliquer l’évolution et la transformation de la forme urbaine, il n’en demeure pas moins que sa description met en lumière avec à-propos l’articulation des principales composantes de la nouvelle réalité des villes et métropoles contemporaines en Amérique du Nord. L’étalement urbain, le mode d’utilisation du sol qu’il entraîne, les nouvelles polarités qui en résultent sur le plan économique et social, les nouvelles relations établies entre les lieux de résidence et l’ensemble des activités urbaines sont autant d’éléments que les tenants de l’École de Los Angeles ont d’ailleurs récemment revendiqués pour souligner l’existence d’un véritable changement paradigmatique en matière d’urbanisme, d’urbanité et de développement urbain (Dear, 2002a). Pour eux, ce sont d’abord les conditions matérielles de production de la ville qui ont changé, incluant bien entendu la forme urbaine, les tendances démographiques, les modèles de croissance industrielle, le passage à une économie post-fordiste, ainsi que la multiplication des choix culturels et religieux qui entraîne une révision de la notion de citoyenneté (Dear, 2002b). Mais ce sont aussi les modèles de connaissance de la ville qui se sont transformés. Il s’agit de revoir les fondements de l’écologie urbaine de l’École de Chicago, soulignant du même coup le caractère éphémère et contingent de tout modèle de connaissance (Dear, 2002b).

On ne doit pas pour autant penser que de telles tendances ont pour effet d’estomper les clivages, les conflits ou les contradictions entre les divers intérêts économiques et financiers en jeu. Les coalitions de croissance qui se forment autour de différents quartiers urbains ou portions de territoire polarisent des rapports de pouvoir entre des élites qui tentent d’influencer les pouvoirs publics en leur faveur (Davis, 1992). À l’instar de ce qui a été observé à Las Vegas (Gottdiener, Collins et Dickens, 1999), à Los Angeles il n’y a pas d’intérêt supérieur unifié pour ces élites, même si le capital financier et sa disponibilité jouent un rôle prépondérant par rapport à un développement régional multicentre couplé à une fragmentation politique forte.

La forme urbaine étalée, mais aussi dans une grande mesure éclatée, évoquée d’une manière schématique dans les paragraphes qui précèdent pour décrire les nouvelles tendances du développement urbain à l’échelle des métropoles contemporaines, ne concerne pas uniquement les villes des États-Unis. Des tendances similaires sont aussi observées dans les grandes agglomérations canadiennes, même si Montréal, en partie à cause du rythme de développement plus lent que connaît la ville-région comparativement aux autres grandes métropoles du pays, conserve une forme urbaine un peu plus compacte. Pour la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’aux années 1970, une équipe de chercheurs rattachée à l’Université de Waterloo a comparé la distribution de la densité des trois plus grandes régions métropolitaines au Canada avec un échantillon de douze régions urbaines aux États-Unis. On a observé une différence entre les deux pays en matière de densité du développement urbain dans les villes-centres et dans les banlieues pour cette période, alors que ce n’est plus le cas par la suite. Au contraire, on assisterait à un mouvement de convergence sur le long terme à l’échelle continentale (Filion et al., 2004). Dès lors, on peut dire qu’en Amérique du Nord, en dépit de différences sociales et culturelles locales importantes, les dynamiques économiques et spatiales qui alimentent la forme urbaine dans les métropoles contemporaines sont similaires. Elles engendrent toutefois une série de controverses autour de choix publics en matière d’aménagement, d’environnement et de gouvernance qui, bien que similaires à beaucoup d’égards, donnent lieu à des compromis circonstanciels ou contingents en fonction de la configuration des pouvoirs locaux. C’est ce que je veux maintenant examiner de plus près.

Controverses et choix publics

Traditionnellement, en géographie, les métropoles ont été définies comme des lieux de commandement de vastes territoires. Parmi les critères qui permettent de les distinguer des autres agglomérations, les chercheurs ont fait appel à celui de la taille ainsi qu’au caractère international de leurs activités (Corade et Lacour, 1995). À cela on a ajouté l’efficacité économique et la qualité de vie, qu’il est de plus en plus difficile de séparer. Aujourd’hui, étant donné leur caractère international ou global, les métropoles peuvent être définies en référence à l’image de la ville globale (Sassen, 1991). Elles participent d’une transformation des rapports sociaux à l’espace allant de pair avec de nouvelles polarisations spatiales, une compétition renouvelée entre les milieux locaux et une redéfinition des échelles spatiales de gouvernance (Brenner, 2005).

Dans leur analyse, Corade et Lacour (1995) attirent l’attention sur le fait que la métropolisation entraîne des ajustements, voire des ruptures avec l’ordre passé, au moins à quatre niveaux. À l’échelle mondiale, on assiste à l’émergence d’une nouvelle hiérarchie prenant appui sur le rôle dynamique que jouent les métropoles. Bien qu’il soit encore difficile de reconnaître, comme certains le suggèrent (Castells, 2000), l’existence d’un principe organisationnel fondé exclusivement sur une société en réseau, force est d’admettre que les relations entre les métropoles reposent de plus en plus sur un modèle réticulé. À l’échelle nationale, c’est une concurrence accrue entre les villes qui se développe afin d’améliorer la position de chacune. À l’échelle régionale, c’est un processus de déstructuration et de restructuration des espaces régionaux qui est observé, avec en prime un renforcement des villes au sommet des hiérarchies urbaines. Enfin, à l’échelle interne des villes, ce sont de nombreuses fractures sociales qui surgissent des bouleversements que ne manque pas de provoquer la métropolisation. On ne peut s’empêcher ici de penser à l’analyse de Jacques Donzelot (1999) qui associe les problèmes reliés à la forme récente de l’urbanisation en France à une véritable «sécession» entre les classes sociales, les classes moyennes refusant de plus en plus d’être solidaires des problèmes que vivent les classes populaires et de contribuer à résoudre les problèmes auxquels elles font face. Mais il faudrait convoquer également les analyses urbaines ayant mis l’accent aux États-Unis sur les inégalités socio-spatiales ou sur les processus de ségrégation économique qui accompagnent le développement urbain (Dreier, Mollenkopf et Swanstrom, 2001).

On comprendra, à la suite des remarques qui précèdent, que la correspondance qui prévalait auparavant entre les intérêts des élites économiques et ceux des masses populaires à l’échelle locale se soit effritée. De nombreuses conséquences négatives pour les populations locales, en termes d’emploi par exemple, ont résulté des changements que la globalisation a provoqués par rapport aux décisions d’investissement des entreprises. De ce point de vue, une première controverse concerne le rôle que peuvent jouer les villes – et les espaces métropolitains qu’elles portent – à l’égard des restructurations économiques ou des transformations en cours. Deux positions contrastées s’affirment à ce sujet.

Les tenants de la première position pensent que la marge de manoeuvre des villes est très faible face aux forces du marché et aux tendances lourdes de l’économie qui se déploient à l’échelle mondiale, même si nous savons pertinemment que certaines villes – tant à cause de leur histoire, des ressources mises à leur disposition par les pouvoirs publics ou du dynamisme des entreprises et des acteurs économiques – sont en meilleure position que d’autres (Savitch et Kantor, 2002). À cet égard, les économies nationales demeurent le cadre le plus approprié pour penser l’accumulation et la production de richesses, de même que leur redistribution (Pahl, 2001).

Les tenants de la deuxième position soutiennent, au contraire, que ce sont les villes et les agglomérations urbaines qui sont à l’avant-plan de la création de la richesse des nations (Jacobs, 1992). Elles sont des acteurs stratégiques pour rebâtir les espaces économiques nationaux dans la conjoncture mondiale actuelle. À ce titre, il faut établir une distinction entre l’idéologie néolibérale et le néolibéralisme effectif. Dans les faits, on peut dire que le néolibéralisme tel qu’il se déploie dans l’espace économique – étant porteur de destruction créative – doit tenir compte des contextes locaux pour se matérialiser. En d’autres termes, les villes ne sont pas ou ne se résument jamais à être de simples arènes géographiques où se déploieraient des projets nationaux ou globaux de restructuration néolibérale (Brenner et Théodore, 2002). À cet égard, elles sont toujours appelées à jouer un rôle actif et qui déterminant pour leur avenir.

Cette controverse interpelle au premier chef les acteurs locaux, mais aussi les acteurs qui évoluent à l’échelle métropolitaine, ainsi que leurs partenaires. Elle invite également à considérer les formes de médiation et de recomposition sociale qu’il est possible de construire à l’échelle locale et métropolitaine. Comment aider les travailleurs qui perdent leur emploi? Comment leur venir en aide pour qu’ils puissent se réinsérer en toute dignité sur le marché du travail? À quelle échelle doivent se définir les politiques sociales ou d’aide à la création d’emplois? Quel type de soutien public est approprié afin d’encourager la modernisation ou le repositionnement des entreprises dans un marché en transformation? Quel rôle peuvent jouer le développement économique local et les organismes communautaires qui en font la promotion? Comment répartir les ressources publiques? Quel pourcentage doit être consacré au développement des villes et des métropoles? Dans quelle mesure faut-il repenser la répartition des pouvoirs, compte tenu du fait que l’espace national, dans sa capacité à contenir les processus économiques et sociaux, se fissure de plus en plus (Sassen, 2004)?

Même si ces questions ne sont pas exhaustives, elles permettent d’entrevoir la portée de cette controverse en ce qui a trait à la redéfinition des échelles de gouvernance urbaine dans le cadre de la mondialisation (Brenner, 2005). Il n’existe pas de réponse ou de solution toute faite face à cette controverse. Les positions qui s’affrontent évoluent au gré des rapports de pouvoir entre les acteurs en présence, compte tenu des transformations que d’aucuns associent à la mondialisation. Même si elle n’est pas toujours formulée explicitement, cette controverse n’alimente pas moins les positions que prennent les acteurs publics. Sa résolution dépendra des choix politiques que feront l’ensemble des acteurs concernés et ce à plusieurs échelles.

La deuxième controverse, qui n’est pas sans lien avec la première, concerne plus spécifiquement la forme urbaine. Elle résulte des choix passés et présents relatifs à la dispersion et à l’étalement urbains et met en cause les valeurs sociales et culturelles dont les milieux locaux et nationaux font la promotion. Cette deuxième controverse est aussi connue que la première. Elle a été ravivée ces dernières années aux États-Unis par le discours néorégionaliste (Orfield, 1997). Cette controverse est alimentée par deux positions fortement contrastées.

En référence à cette controverse, la première position est défendue par les promoteurs d’un modèle urbain flexible qui permet d’obéir aux forces du marché et de s’adapter à la liberté de choix des individus et des ménages. Les valeurs sur lesquelles repose le modèle d’aménagement urbain qui conforte cette position sont avant tout celles de la liberté et de la sécurité. Par opposition à cette vision libérale se dressent les tenants d’une planification et d’un contrôle public de l’aménagement et du développement urbains. Dans cette perspective, la localisation des activités, des infrastructures, des équipements et des services sur le territoire métropolitain ne peut obéir à de simples critères économiques en vertu des tendances qui alimentent les marchés. Des considérations sociales, publiques et environnementales doivent guider les choix des gouvernements et des municipalités.

La première position prend acte de la forme que revêt l’urbanisation contemporaine – avant tout la métropolisation – qui est fortement influencée par l’individualisation accrue des rapports sociaux et la mobilité plus grande des résidents grâce aux nouveaux moyens de communication. À cet égard, il devient impératif d’adapter les infrastructures et les services urbains aux demandes et aux comportements des entreprises et des résidents. Les contraintes traditionnelles – géographiques, celles découlant de la matérialité de la forme urbaine ou rattachées à l’histoire des lieux – sont ramenées à des variables contingentes qu’il suffit d’adapter en fonction des demandes et des tendances du développement. La distance par rapport au principe organisationnel de la ville compacte se creuse au profit d’une ville-région dont les frontières ne cessent de s’étendre.

Dans le cas de la deuxième position, il s’agit au contraire de contenir l’étalement urbain, en dépit du peu de succès des tentatives formulées en ce sens. En conséquence, les tenants de cette position sont préoccupés par le gaspillage des ressources publiques, mais aussi environnementales, qu’engendre le laisser-faire des tenants de la première position. Ils soutiennent leur position en faisant appel à la protection de l’environnement, au principe de la justice sociale et en invoquant une solidarité entre les classes et les groupes sociaux. Pour eux, le centre et la périphérie doivent se développer en harmonie plutôt qu’en opposition (l’un au détriment de l’autre). Enfin, on peut ajouter qu’il faut rattacher à cette deuxième position les propos de ceux qui parlent de réforme métropolitaine, formulant diverses solutions afin de contrer l’étalement urbain et réduire les inégalités sociales. C’est ce qui les conduit à suggérer l’instauration de mécanismes de régulation du développement urbain, faisant appel notamment à la gouvernance et à l’élaboration de nouveaux outils de planification, de coordination – entre diverses catégories d’acteurs et entre diverses échelles – et de gestion.

Cette deuxième controverse est présente dans le discours des planificateurs, des promoteurs immobiliers, des élus, mais aussi des résidents. Elle s’exprime sur la place publique autour des enjeux de développement et d’aménagement urbains, à l’occasion de la construction d’infrastructures ou d’équipements majeurs. Mais elle est présente aussi à une échelle microsociale lorsque les entreprises et les ménages font des choix d’investissement et de localisation. Elle s’inscrit enfin dans les orientations pour lesquelles optent les pouvoirs publics et que confortent les politiques urbaines.

Pour l’instant, les tenants de la première position ont le vent dans les voiles, en dépit du discours des urbanistes et des planificateurs dont les positions apparaissent de plus en plus marginales. La forme qu’emprunte le développement urbain correspond aux priorités du marché bien avant que de refléter un souci environnemental. Elle s’adapte aux besoins des entreprises et des ménages avant que de répondre à des principes de justice sociale ou de redistribution. A priori, il paraît difficile de concilier les deux positions que je viens d’évoquer. Quelle forme urbaine faut-il privilégier? Dans un contexte démocratique, quelle est la marge de manoeuvre des pouvoirs publics en ce qui a trait à l’orientation du développement urbain? Avec la montée en puissance du discours néolibéral, est-ce qu’il ne devient pas plus difficile d’imposer par le haut un modèle contraignant d’aménagement urbain? Quelles sont les valeurs dominantes en ce moment en matière d’urbanisme? Est-ce que la force de l’étalement urbain ne met pas en péril de manière irrévocable la ville compacte, ou du moins une vision différente de l’urbanité que celle qui est compatible avec la figure de la ville étalée? Quel est l’avenir des régions urbaines dans ce contexte? Est-ce qu’un compromis entre ces deux visions opposées de la forme urbaine est possible?

Ces questions soulèvent bien des débats. Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de fatalité en ce qui concerne l’avenir des agglomérations urbaines. Celui-ci dépend des tendances qui prévalent sur le plan économique, des valeurs auxquelles adhèrent les résidents des grandes agglomérations ainsi que des compromis qu’il sera possible de formuler et de mettre en oeuvre à la faveur des mécanismes de gouvernance urbaine. On doit cependant reconnaître que les deux controverses que je viens d’évoquer – c’est-à-dire à la fois celle au sujet de la forme urbaine et celle qui concerne la restructuration économique et le rôle des villes – invitent à considérer sous un nouveau jour l’évolution et la forme des métropoles contemporaines.

On peut certes déplorer le sort réservé aux villes-centres à la faveur des tendances à la métropolisation – voire celui des villes historiques qui servent encore de point d’ancrage, du moins sur un plan symbolique, aux grandes agglomérations urbaines –, mais rien ne sert de sombrer dans la nostalgie d’une «totalité en train de se défaire», pour reprendre l’image qu’utilise Jean Rémy (2002: 105) en référence à la métamorphose des villes contemporaines. Tandis que, sur le terrain politique, les séjours – tant économiques que sociaux font quotidiennement des choix qui influencent résolument l’avenir des métropoles, les orientations paraissent toujours plus incertaines. Or c’est pourtant sur ce terrain que les deux controverses majeures qui viennent d’être présentées méritent avant tout d’être traitées.

Démocratie locale et controverses

Les deux controverses que je viens d’évoquer ne sont pas les seules qui accompagnent la forme et le développement des métropoles. Par rapport à chacune des grandes fonctions urbaines – logement, transport, communication, santé, emploi, loisirs –, on peut trouver des oppositions semblables à celles qui viennent d’être mentionnées. Les thèmes de la restructuration économique et de la forme urbaine alimentent cependant des controverses plus fondamentales – plus compréhensives d’une certaine manière – par comparaison à celles relatives aux grandes fonctions urbaines. Dans une grande mesure, ces dernières font l’objet d’affrontements similaires et, jusqu’à un certain point, les arguments auxquels ont recours les protagonistes, que ce soit concernant les investissements publics pour ces fonctions ou leur impact sur le développement urbain, sont identiques à ceux relatifs aux enjeux liés au contenu et à la forme des métropoles.

Un certain nombre de questions surgissent à la suite de l’examen des controverses relatives au développement des villes et des métropoles contemporaines: dans quels termes est-il possible de définir la coopération entre les acteurs des scènes locales et métropolitaines si on pense en termes de compromis pour surmonter les conflits en cause? Spécifiquement, quel rôle peuvent jouer non seulement les municipalités, mais aussi les acteurs privés qui participent à la construction des régimes urbains? Si la société civile peut de moins en moins s’en remettre quasi exclusivement à l’État pour trancher les controverses à la source du développement des agglomérations urbaines – étant donné l’ascendant croissant des espaces transnationaux et sous-nationaux affaiblissant l’autorité des États à l’égard des territoires nationaux (Sassen, 2004: 651) –, qui devrait faire ces choix et sur quelle base?

L’étude des politiques urbaines a conduit les chercheurs à envisager diverses hypothèses – élitisme, pluralisme, corporatisme – pour expliquer la distribution du pouvoir sur la scène locale. Ces études ont récemment donné lieu à des analyses plus concrètes de la vie économique locale, prenant en compte la combinaison de la multiplicité de facteurs internes et externes par rapport au développement des villes (Savitch et Kantor, 2002). L’imbrication de l’économie dans les structures sociales et politiques est soulignée davantage que par le passé. Cela n’empêche pas que nous continuons d’assister à la construction de consensus forts, de la part des intérêts économiques dominants, en fonction de la croissance urbaine (Logan et Molotch, 1987). De tels consensus engendrent toutefois des oppositions et des tensions sociales avec les représentations de la ville en prise sur les usages, voire les valeurs d’usage.

Du point de vue des acteurs à l’origine de la formation des régimes urbains, la production de l’espace – incluant les décisions capables d’en orienter le contenu – découle de choix collectifs. La manière dont ceux-ci sont arbitrés dépend des forces en présence, de l’histoire du milieu autant que des opportunités qui s’offrent aux acteurs. C’est ce que reconnaissent les études récentes sur le développement urbain, le gouvernement et la gouvernance des villes (Le Galès, 2003).

Plusieurs de ces travaux reposent cependant sur un a priori implicite, à savoir que la «production de l’espace urbain est le résultat d’une action collective» (Fijalkow, 2002). Dans quelle mesure est-il possible effectivement d’assimiler la ville à un acteur collectif? Est-ce que cela ne conduit pas à accorder une position prépondérante aux acteurs et aux intérêts dominants? Comment d’ailleurs concilier cette vision d’une action collective avec la multiplicité des intérêts sociaux, économiques et culturels dans la ville ainsi que par rapport aux clivages qui alimentent une diversité de positions – tant sociales que culturelles – à l’égard du développement urbain? En outre, comment est-il possible d’articuler cette lecture de l’action collective à l’individualisation des rapports sociaux à l’espace dans les métropoles contemporaines?

Si les modes d’intégration sociale des milieux de vie ont changé, il est nécessaire d’en tenir compte dans les arrangements institutionnels chargés de représenter les valeurs sociales et culturelles et de prendre en charge les modes de régulation nécessaires au développement des villes et des métropoles. C’est ce que divers modèles de gouvernance ont exploré ces dernières années, en recourant à la coopération entre acteurs publics et acteurs privés, ou en ouvrant la porte au débat public et à la participation des citoyens à l’aménagement et à la planification urbaines. Cependant, si à plusieurs égards ces expériences ont contribué à moderniser la formulation des politiques urbaines, elles n’ont pas entraîné une véritable démocratisation de la gestion des villes. L’emprise des élites, nouvelles ou traditionnelles, demeure encore trop grande. C’est du moins ce que j’ai observé dans le cas de Montréal (Hamel, 2006).

Les controverses qui alimentent les choix individuels et collectifs par rapport aux villes et aux métropoles incitent à revoir les modèles de gouvernance du passé. Dans un contexte d’approfondissement de la démocratie et de son expérience, la référence à un principe de démocratisation de la planification et de la gestion du développement urbain participe d’une transformation de l’action publique (Rui, 2004). On peut y voir une condition essentielle pour définir les compromis sociaux et politiques susceptibles d’aider à surmonter les controverses qui hypothèquent pour l’instant l’avenir des métropoles contemporaines. Un tel principe permet non seulement d’évaluer sous un nouveau jour les expériences passées en matière de participation des citoyens à la production de l’espace et de la ville, mais aussi de proposer de nouvelles modalités d’action afin de surmonter les conflits qui paralysent les choix publics.

Il faut se placer ici sur le terrain politique de la démocratie locale, c’est-à-dire le champ des politiques urbaines tel que formulé par les pouvoirs publics à de multiples échelles, combinant à la fois le quartier, la municipalité, la ville-région et l’État. Pour résoudre les tensions et les conflits sous-jacents aux choix individuels et collectifs concernant la forme urbaine et l’évolution des métropoles, il est nécessaire d’inscrire ce débat dans l’espace politique, faute de quoi les intérêts dominants, en particulier ceux des entreprises et des promoteurs du développement, risquent d’être confondus avec l’intérêt général des régions métropolitaines (Keating, 2001). Dans un tel contexte, il devient indispensable de miser sur une participation accrue des citoyens à la gestion publique et sur une démocratisation des mécanismes de gestion (Bacqué, Rey et Sintomer, 2005).

Les discussions autour de la forme urbaine et de son développement cachent des conflits fondamentaux concernant des intérêts individuels et collectifs, de même que des divergences sur le plan des valeurs par rapport à l’aménagement urbain et à l’urbanité. Il est certain qu’il n’existe pas de «lien mécanique entre morphologie physique et vie sociale» (Rémy, 2002: 112). Cependant, la forme urbaine demeure un enjeu sous-estimé aux conséquences multiples sur la vie sociale. L’intention initiale de ce texte était d’explorer quelques-unes des controverses que renferment les tendances récentes du développement urbain et métropolitain. Plusieurs questions demeurent toutefois sans réponse. Comment surmonter le déficit démocratique qui est bien connu à l’échelon local? D’où peuvent venir les ressources publiques nécessaires à la mise en oeuvre des politiques et des programmes destinés à orienter le développement des villes et des métropoles? Comment cela peut-il se faire sans créer de nouvelles injustices? Comment instaurer des mécanismes de négociation opérationnels entre les diverses instances territoriales qui contribuent à la gestion de l’espace métropolitain? Est-ce qu’un modèle misant, comme le propose Iris Marion ou Young[2], sur des relations et des négociations entre les instances locales d’une même région à partir d’une vision horizontale plutôt que hiérarchique est viable? Au-delà de ces questions, il importe de reconnaître que l’avenir des métropoles contemporaines dépend des choix individuels et collectifs, et que ceux-ci doivent s’exprimer avant tout sur le terrain politique si on veut surmonter les tensions et les conflits qui leur sont sous-jacents. Tel est le principe qu’il s’agissait ici d’explorer dans ses prémisses et ses répercussions.