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À partir des années 1840, les ménages les plus fortunés ont commencé à quitter le centre de Puebla au Mexique pour s’établir le long d’un axe routier reliant la ville à sa périphérie (Mendez, 1987 ; Monnet, 1994 ; Milián Ávila, 1994). Le mouvement s’est accéléré à partir des années 1940, quand un nouveau quartier fut construit à distance (Méndez, 1987). Le déclin économique du centre a eu un impact important sur le cadre bâti, qui s’est dégradé considérablement au fil des ans. Cependant, depuis les années 1980, l’État a investi des sommes importantes dans divers projets de revitalisation. Le plus imposant, qui eut lieu durant les années 1990, pourrait avoir favorisé la régénérescence sociorésidentielle (la gentrification) du centre ancien, grâce à sa (ré)appropriation par des ménages de classe professionnelle [1]. Identifié pour la première fois par Ruth Glass (1989) au début des années 1960 à Londres, on remarqua le même phénomène, quelques années plus tard, dans certaines villes nord-américaines et européennes (Smith, 1996 ; Dangschat et zum Felde, 1990 ; Ley, 1988 ; Rose, 1984 ; Rochefort, 1991). Dans certains cas, des actions gouvernementales ont favorisé la gentrification, comme dans le cas du projet Society Hill à Philadelphie (Smith, 1996). À l’opposé, d’autres types d’actions gouvernementales l’ont ralentie, comme le contrôle des loyers aux Pays-Bas (Rochefort, 1991). Or qu’en est-il à Puebla ? La dynamique sociorésidentielle des ménages poblanais (de Puebla), ces dix dernières années, montre‑t‑elle une gentrification du centre historique ou indique-t-elle la continuation du mouvement amorcé au XIXe siècle ?

Avant de présenter l’approche méthodologique choisie et les résultats obtenus, la prochaine section s’attardera, sans prétendre à une revue exhaustive des travaux, sur quelques méthodes d’analyse de la répartition sociorésidentielle des ménages utilisées plus spécifiquement sur le continent américain depuis les années 1920.

Structure et dynamique internes des villes

Les analystes de l’espace urbain s’intéressent depuis longtemps à la structure interne des villes, au processus d’expansion et à la mobilité sociorésidentielle des ménages, comme en fait foi l’abondance des écrits sur ces thèmes (voir entre autres Burgess, 1925 ; Hoyt, 1939 ; Harris et Ullman, 1945 ; Griffin et Ford, 1980 ; Bourne, 1989 et 1993). Il reste que les modèles classiques développés par Burgess (1925), par Hoyt (1939) et par Harris et Ullman (1945) font peu référence aux villes latino-américaines (figure 1). Doit-on en conclure que leur développement est similaire ? Griffin et Ford (1980), s’appuyant sur une revue des écrits et sur leur observation d’une centaine de villes latino-américaines durant les années 1970, ont proposé un modèle général, testé sur deux villes : Bogota (Colombie) et Tijuana (Mexique). La cartographie qu’ils font de la structure interne de ces deux villes est basée sur des analyses statistiques, des photos aériennes, de l’observation directe, des cartes d’utilisation du sol et sur des entrevues avec des informateurs clés. Une deuxième série d’entrevues a fourni des indications sur leur processus de croissance. Leur conclusion : les villes latino-américaines imitent certains aspects de leurs consoeurs du Nord, que l’on retrouve dans les modèles de Burgess et de Hoyt, tout en conservant certaines particularités (figure 1). Ainsi, selon Griffin et Ford, la population se distribue selon le modèle des cercles concentriques, mais inversés, c’est-à-dire qu’on assiste à une diminution du statut social avec l’augmentation de la distance par rapport au centre, en raison de l’absence d’infrastructures urbaines dans les périphéries. Les industries se localisent à proximité du centre des affaires, là où elles ont un accès rapide aux autoroutes. Elles engendrent circulation lourde et pollution qui laissent une impression de dégradation importante de ces secteurs. La zone de maturité, composée de quartiers bien pourvus en services urbains, entoure la zone centrale, suivie de la zone de croissance in situ qui tend à s’améliorer. Cette zone montre des signes modestes de maturation. Au-delà, ce sont les quartiers informels. En plus de cette particularité, l’expansion du centre des affaires suit un axe privilégié, à proximité duquel cherchent à s’installer les populations plus fortunées qui profitent de l’extension des services urbains. Le mouvement de relocalisation résidentielle est provoqué par l’augmentation de la congestion routière et l’augmentation des valeurs foncières.

Figure 1

Quelques modèles proposés

Quelques modèles proposés

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Les transformations sociales et économiques en cours dans la ville de Los Angeles ont amené Shevky et Bell (1955) à rejeter les modèles classiques développés durant les années 1920 et 1930. Les avancées technologiques de l’époque (l’ordinateur) leur ont permis d’utiliser une méthode de calcul complexe, l’analyse factorielle, dans leur analyse des aires sociales de San Francisco Bay. Cependant, plusieurs travaux ont démontré que les résultats peuvent varier considérablement selon la procédure suivie dans l’exécution de l’analyse (Davies, 1978 ; Hunter, 1972). Les résultats pourraient aussi varier considérablement selon les variables choisies, dont l’ajout de variables, non considérées à priori comme étant porteuses d’une dimension socioéconomique incluant le stock de logements existants, les modes de transport ou la symbolique du lieu (Davies, 1978 ; Palm et Caruso, 1972). Pourrait-il en être autrement avec d’autres outils d’analyse ? N’est-ce pas la disponibilité des variables ou leur fiabilité (ou leur constance) dans le temps qui souvent dicte les choix que font les chercheurs ?

C’est du moins ce qui ressort de plusieurs travaux, dont ceux de Bourne (1993) qui a seulement utilisé la variable du revenu comme variable de substitution du statut social dans son analyse de la structure interne des villes canadiennes de 1951 à 1986. La période couverte par l’étude ne lui permettait pas de construire un indice plus complexe, comme a pu le faire Ley (1988) dans son analyse du changement du statut social dans six villes canadiennes entre 1971 et 1981. L’indice du statut social de Ley (1988) est composé de la valeur moyenne de deux variables : la proportion des travailleurs dans le secteur tertiaire supérieur, qui comprend, entre autres, les professionnels, les gestionnaires et les administrateurs, ainsi que la proportion de la population ayant une scolarité universitaire. Ces variables seraient, selon Ley (1988 et 1996), plus sensibles à certains phénomènes, tels que l’installation des ménages de classe moyenne dans des quartiers ouvriers, qu’aux variables sur le revenu ou sur le logement. Le revenu des ménages lui a servi, tout comme les données sur le coût mensuel du logement, à valider ses résultats à l’aide d’un test de corrélation.

La ville de Mexico

MacLachlan (1998), à l’instar de Bourne (1993), utilise les données sur le revenu dans son évaluation de la répartition des inégalités sociales dans l’aire métropolitaine de Mexico. Face aux contraintes de la publication partielle des données sur le revenu par aire géostatistique de base (AGEB : la plus petite unité de dénombrement publiée dans le recensement mexicain) [2] et face aux changements de définition des classes qui rendent les comparaisons presque impossibles, l’auteur opte pour une autre échelle géographique. Il analyse les seize délégations du district fédéral (D.F.) et les vingt-sept municipalités formant l’aire métropolitaine de Mexico, unités géographiques pour lesquelles toutes les données des recensements sont publiées. La cartographie des résultats de Maclachlan (1998) pour 1990 montre peu de ressemblances avec le modèle de Griffin et Ford (1980). Avec seulement 43 unités de dénombrement pour une population importante (plus de huit millions, seulement dans le district fédéral), il ne faut pas s’étonner que plusieurs aires concentrent à la fois les revenus les plus élevés et les revenus les plus faibles. Pour MacLachlan (1998), là où se concentre la population la plus fortunée se concentre aussi une population à revenu plus modeste, composée entre autres des employés des familles les mieux nanties. À cette explication de la relative mixité sociorésidentielle, il ajoute, à la suite de son observation de la population mexicaine, que les ménages en ascension sociale ne quittent pas systématiquement leur lieu de résidence pour se tourner vers un quartier (délégation, municipalité) correspondant à leur nouveau statut.

Cette observation de MacLachlan laisse supposer que le lien entre la mobilité sociale et la mobilité résidentielle n’est pas automatique au Mexique. Il est vrai que l’attachement à la famille est un aspect particulièrement marqué de la culture mexicaine (Lomnitz et Pérez-Lizaur, 1991 ; MacLachlan, 1998). Il est vrai également que l’accès au crédit hypothécaire y est difficile et onéreux, ce qui ne favorise pas la fluidité du marché immobilier (Schteingart, 1989 ; Gilbert et Varley, 1990). À ces particularités locales s’ajoutent les programmes de revitalisation qui pourraient orienter la dynamique résidentielle (Strassman, 1990).

La ville de Puebla au Mexique

Ville coloniale de 1,3 million d’habitants dont l’économie se tertiarise, capitale de l’État du même nom, Puebla est un centre régional localisé à l’ombre de la ville de Mexico (distante d’environ 130 km). Ses qualités architecturales lui valurent la reconnaissance comme Ville du patrimoine mondial par l’UNESCO en 1987. Dans bon nombre de villes latino-américaines, ce fut autour des années 1950 que les activités de services commencèrent à suivre la population aisée vers certains quartiers à la périphérie (Monnet, 1994). Le quartier La Paz à Puebla vit le jour dans les années 1940 (figure 2). Ce fut le premier projet de lotissement d’envergure mené par un promoteur immobilier et destiné aux strates socioéconomiques supérieures. Le site choisi, sur un monticule, était alors éloigné du centre (Milián Ávila, 1994 ; Méndez, 1987). Durant les années 1960 et 1970, les anciennes maisons bourgeoises dans l’axe de l’avenue Juarez, menant du centre historique au quartier La Paz, changèrent de fonction pour abriter des commerces, banques, services professionnels et autres. Ce même phénomène se produisit en direction de l’Université autonome de Puebla, à la suite cette fois de la construction du centre commercial Plaza Dorada en 1979 (figure 2).

La première étude recensée sur la répartition sociorésidentielle des ménages poblanais semble confirmer, pour 1970, le déplacement des populations plus fortunées sur ces deux axes. Gormsen (1980) utilise des sources diverses dans son analyse des changements de la répartition sociorésidentielle de la population : des archives municipales, des données cadastrales, des relevés de la typologie résidentielle et des données non publiées du recensement de 1970 sur le revenu moyen des personnes et sur la densité de la population. Parmi cette variété de données, c’est le revenu qui lui sert de variable de substitution au statut social. Ses résultats montrent que les zones à statut social élevé se localisent dans le quartier La Paz ainsi que dans le secteur de la Plaza Dorada en direction de l’Université autonome de Puebla (figure 2).

À l’opposé de Gormsen, Germain et Polèse (1995), voulant vérifier si Puebla reproduit le modèle de Burgess ou de Hoyt, n’utilisent pas de variables sur le revenu, qu’ils considèrent peu fiables. C’est seulement la variable sur le niveau de scolarité universitaire qui sert de variable de substitution au statut social. Les résultats, qui confirment ceux de Gormsen, ne sont pas sans rappeler le modèle de la ville latino-américaine de Griffin et Ford, lui-même étant une adaptation des modèles de Burgess et de Hoyt : une répartition en cercles concentriques inversés, avec la présence des populations plus démunies dans les périphéries. Cependant, les quartiers à haut statut social ne suivent pas un, mais plutôt deux axes, le premier vers le quartier La Paz et le second en direction de l’Université autonome de Puebla (figure 2).

Figure 2

Répartition sociorésidentielle schématique, Puebla 1970 et 1990

Répartition sociorésidentielle schématique, Puebla 1970 et 1990

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La superposition des résultats de Gormsen à ceux de Germain et Polèse illustre bien, malgré l’utilisation de variables différentes et un décalage de vingt ans entre les deux études, que l’expansion des aires à haut statut social semble suivre des trajets prévisibles (figure 2). Le premier axe, vers l’ouest, suit l’avenue Juarez en direction du quartier La Paz. Le deuxième axe, vers le sud, passe par le secteur Plaza Dorada en direction de l’Université autonome de Puebla. Reste la question de savoir si l’expansion de ces axes à haut statut social a progressé depuis 1990.

Puebla a connu plusieurs programmes de revitalisation depuis les années 1980. L’opération la plus importante fut, sans contredit, celle menée par le gouvernement de l’État de Puebla durant les années 1990. Dans le cadre de son Programma de desarrollo Angelópolis, l’État développa un projet de revitalisation de la friche industrielle du centre historique, le projet Paseo de San Francisco. En vertu d’un décret émis en 1993, l’État expropria vingt-sept îlots, ce qui toucha plus de 4500 personnes, principalement de la classe populaire (Téllez Morales, 1998). Il implanta sur six de ces îlots un projet de centre multifonctionnel incluant un centre des congrès. Les îlots restants furent vendus à des intérêts privés. Le projet Paseo de San Francisco pourrait avoir rendu attrayante une partie du centre historique auprès d’une population aux caractéristiques différentes de celles des résidents chassés. Un autre volet du programme consista en la construction d’une autoroute périphérique et en l’établissement d’un pôle de services, destiné aux strates moyennes et supérieures, à côté duquel de nouveaux quartiers huppés se sont formés. On peut s’interroger sur l’impact de tels projets sur la dynamique sociorésidentielle des ménages poblanais. Il est possible que ces actions aient perturbé, de façon notable, l’expansion des axes à haut statut social en favorisant deux nouveaux secteurs : le premier dans la partie est du centre historique, à proximité du centre des congrès ; le deuxième dans le secteur Angelópolis, aux environs du centre commercial du même nom (leur localisation correspond aux points 2 et 8 dans la figure 2). C’est ce que l’analyse par grappes tentera de démontrer.

Choix méthodologiques

Les variables

Les travaux sur la régénérescence sociorésidentielle des quartiers centraux, c’est-à-dire sur la gentrification, s’entendent en général sur certaines caractéristiques économiques et démographiques de la population (la classe professionnelle) qui se (ré)approprie les espaces centraux : une scolarité supérieure à la moyenne, un emploi dans la nouvelle économie, des ménages plus petits, des ménages à double revenu, des familles monoparentales, des couples homosexuels, etc. (Alonso, 1980 ; Ley, 1996 ; Dansereau et L’Écuyer, 1987). En nous basant sur ces travaux, nous avons tenté d’identifier les variables qui pourraient être utilisées. Cet examen a révélé que de nombreuses variables courantes dans les recensements canadiens et états-uniens n’existent pas dans le recensement mexicain. De plus, d’autres variables y changent de définition d’un recensement à l’autre, alors que certaines y ont peu de valeur. C’est le cas notamment de la variable sur le chômage, car il n’y a pas, au Mexique, de filet de protection sociale comme l’assurance-emploi.

La période étudiée a été imposée par la non-disponibilité des données publiées par AGEB avant le recensement de 1990. L’Institut national statistique mexicain (INEGI) a publié 71 variables selon les AGEB pour le recensement de 1990 et 170 pour celui de 2000. Seulement deux variables donnent de bonnes indications sur la composition des ménages : le nombre de personnes de moins de cinq ans et le nombre moyen de personnes par ménage. Pour la scolarité, la variable de la population de 18 ans et plus avec scolarité universitaire servira à déterminer si le niveau de scolarité est supérieur. À défaut d’une variable plus précise sur le secteur d’activité, la population occupée dans les activités tertiaires servira d’indicateur pour le travail dans les activités de services. Même si cette variable comporte du bruit, l’évolution de l’emploi tend à montrer une spécialisation vers des activités autres que commerciales, ce qui lui donne un certain intérêt. Le nombre moyen de personnes occupées dans les activités de services a connu une augmentation de 452 % entre 1980 et 1999 (INEGI, 1980 ; 1999). Durant cette période, la population poblanaise a connu une augmentation de 161 %. Pour ce qui est de la variable du revenu, seules les trois tranches inférieures du revenu sont publiées et leur utilisation est délicate, en raison de l’importance de l’économie informelle au Mexique. Les recenseurs administrent en personne le questionnaire à la population. Cette dernière n’a aucun intérêt à déclarer l’ensemble de ses revenus tirés d’activités informelles à une agence gouvernementale. Finalement, dans le contexte mexicain où de nombreux quartiers n’ont toujours pas accès aux infrastructures urbaines de base et où les ménages ne jouissent pas d’un niveau minimum de confort, deux variables permettront de pallier l’absence de variables sur la valeur des logements : les logements avec eau courante et les logements avec cuisine exclusive.

Le choix de l’outil de traitement statistique doit, quant à lui, permettre de créer une typologie sociorésidentielle des espaces. Malgré son utilisation fréquente, l’analyse factorielle a été rejetée, car le nombre de variables socioprofessionnelles discriminantes est relativement réduit dans les recensements mexicains précédant celui de 2000. L’intérêt d’utiliser une telle méthode pour tenter de réduire un grand nombre de variables en facteurs explicatifs, qui pourraient correspondre par exemple aux indicateurs proposés par Shevky et Bell, s’en trouve diminué. Avec seulement six variables indicatives du statut socioprofessionnel de la population, la technique de classification ascendante hiérarchique semble l’outil le plus approprié.

La standardisation géographique

Puebla comptait 258 AGEB en 1990 et 408 en 2000. La standardisation géographique s’avère nécessaire pour pouvoir comparer les deux périodes. En utilisant la période de 1990 comme référence, le découpage du territoire a été refait et neuf aires ont été exclues de l’analyse par grappes lorsqu’elles regroupaient une population inférieure à 200 (ainsi l’aire no 305-0, dont la population n’était que de 34 individus en 1990). La base cartographique finale comprend 196 aires de découpage identiques pour les deux périodes. Les données ont été agrégées afin de respecter ce nouveau découpage.

La classification ascendante hiérarchique

Considérée comme une méthode de classification des données, l’analyse par grappes utilise des algorithmes afin de regrouper des unités d’observation sur la base de propriétés communes. Dans le cas de la technique de classification ascendante hiérarchique, l’algorithme débute avec chaque objet (nos unités d’observation) formant son propre sous-groupe (grappe), puis les deux grappes les plus proches sont regroupées et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une seule grappe contienne tous les objets (Sanders, 1989). Le résultat obtenu n’est pas une partition en n grappes, mais plutôt une hiérarchie de partitions qui peut être représentée à l’aide d’un arbre (figure 3). L’outil doit permettre d’obtenir une typologie des espaces. Ainsi, la partition en n grappes qui sera obtenue devra représenter un continuum socioprofessionnel, dans lequel on pourra discerner des aires de concentration de la population ciblée : la classe professionnelle.

Figure 3

Exemple de répartition de six objets en deux grappes

Exemple de répartition de six objets en deux grappes

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L’algorithme mesure la distance entre les objets et procède aux regroupements sur la base de spécifications données par l’utilisateur. La mesure de distance utilisée est la distance euclidienne (ou distance géométrique) et la méthode de Ward sert à évaluer la distance entre les grappes. En tentant de minimiser la variance à l’intérieur d’une grappe et de la maximiser entre les grappes, cette méthode agrège deux grappes de façon à ce que l’inertie de la nouvelle grappe constituée augmente le moins possible (Lebart et al., 1995 ; Sanders, 1989). Le choix de l’algorithme de la classification ascendante hiérarchique, plutôt que celui du k-mean (technique d’agrégation autour des centres mobiles), s’explique par la nature même de ce dernier. Cette technique donne des résultats fort intéressants pour l’exploration de matrices comportant plusieurs milliers d’entrées, voire davantage. Cependant, dans le cas de matrices de plus petite taille (moins de 1000 entrées), comme c’est le cas présent, les résultats sont instables. Ils peuvent varier considérablement d’un essai à l’autre (Hartigan, 1975).

Les quotients de localisation ont été calculés pour chacune des variables choisies avant de procéder à la classification ascendante hiérarchique. Un quotient de localisation [3] est un double rapport qui permet de savoir si une population se distribue, dans chacune des unités de découpage, de façon identique à sa distribution dans l’ensemble du territoire. Si la population se distribue de façon similaire, les résultats se rapprochent de 1 ; dans le cas d’une sous-représentation, les résultats se situent près de 0 ; et dans le cas d’une surreprésentation, les résultats seront supérieurs à 1. Les quotients servent à valider les résultats de l’analyse par grappes.

Dynamique sociorésidentielle des ménages

Calcul des quotients de localisation

Le calcul des quotients de localisation a été effectué sur la matrice de 196 aires de découpage sur cinq des six variables sélectionnées (les quotients n’ayant pas été calculés pour le nombre moyen d’occupants par logement) et dix cartes thématiques ont été produites (figure 4). Une échelle unique de trois classes, qui facilite la lecture et la comparaison des figures, a servi dans la cartographie : une classe de sous-représentation (QL = moins de 0,9) une classe de représentation équivalente à l’ensemble du territoire (QL = 0,9 à 1,09) et une classe de surreprésentation (QL = 1,1 et plus).

La cartographie des quotients de localisation montre que l’étendue des zones de concentration varie de façon notable selon les variables et selon la période (figure 4). En 1990, la population de moins de cinq ans est sous-représentée dans une aire qui s’étire du quartier La Paz à l’ouest et englobe la presque totalité du centre historique. Elle s’étend ensuite au sud en direction de l’Université autonome de Puebla. La population bénéficiant d’une éducation supérieure tend à se concentrer là où les jeunes enfants sont sous-représentés, tout en étant moins présente dans le centre historique. Les travailleurs du secteur tertiaire sont nettement surreprésentés dans le centre de la ville, aux abords de l’Université autonome de Puebla et du quartier La Paz. Plus on s’éloigne du centre, plus leur importance diminue. À l’opposé, on ne note pas de surreprésentation des logements avec cuisine exclusive dans le centre historique, mais on les trouve plus à l’ouest. S’y ajoutent quelques secteurs dispersés. Finalement, le croissant qui part du quartier La Paz à l’ouest, passant au sud du centre historique et se dirigeant vers le sud jusqu’à l’Université autonome de Puebla, concentre une forte proportion de logements avec eau courante. Dix ans plus tard, la distribution ne diffère pas considérablement de celle de 1990, même si certaines caractéristiques semblent parfois se concentrer dans un nombre plus important d’aires de découpage (tel que l’éducation supérieure ou les logements avec eau courante) ou, à l’opposé, dans un nombre plus restreint (tel que les logements avec cuisine exclusive).

Malgré les différences observables, la cartographie des quotients de localisation montre que certaines caractéristiques de la population et du logement tendent à être surreprésentées ou sous-représentées dans des aires géographiques spécifiques. De plus, dans certains cas, ces aires forment des zones à l’intérieur desquelles se concentreraient plusieurs caractéristiques, à savoir : des ménages avec moins d’enfants, une scolarité universitaire, davantage de travail dans les activités de services et des logements mieux équipés avec accès aux infrastructures urbaines. Malgré quelques différences entre 1990 et 2000, il semble y avoir une typologie des espaces. Cela dit, les quotients ne permettent pas de dresser un portrait général plus précis et de tirer des conclusions sur la dynamique sociorésidentielle des ménages. La technique de classification ascendante hiérarchique devrait cependant pallier les limites de l’analyse des quotients de localisation.

La classification ascendante hiérarchique

La technique de classification ascendante hiérarchique a été appliquée sur la matrice de 196 aires de découpage par les six variables. Le degré de ressemblance a été mesuré par la distance euclidienne sur des variables centrées-réduites. La méthode de Ward, qui, faut-il le rappeler, minimise la variance intra-grappe et la maximise entre les grappes, a servi de critère d’agrégation.

Avec une variance intra-grappe assez faible (0,26 en 1990 et 0,25 en 2000) et une variance inter-grappe forte (0,74 en 1990 et 0,75 en 2000), la partition en quatre grappes semble donner les meilleurs résultats. En procédant à des regroupements supplémentaires, la distance observée entre les objets augmente considérablement. À l’opposé, avec un nombre plus élevé de grappes, l’observation des barycentres indique que seules les grappes représentant les classes moins fortunées étaient subdivisées, ce qui a peu d’intérêt ici tout en compliquant la lecture des figures.

Figure 4

Quotients de localisation pour cinq variables retenues

Quotients de localisation pour cinq variables retenues

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Le tableau 1 présente les barycentres des grappes sur les variables. Les grappes ont été réordonnées selon un continuum socioprofessionnel. Plus les valeurs des barycentres se rapprochent du 0, plus elles tendent vers des valeurs moyennes de la ville.Inversement, plus les valeurs sont éloignées du 0, plus la caractéristique se démarque du profil moyen. Si, dans un regroupement, une valeur est fortement positive, cela indique une concentration nettement plus importante. À l’opposé, si une valeur est fortement négative, la caractéristique est sous-représentée dans ce regroupement. Les résultats indiquent un continuum socioprofessionnel qui se présente en quatre grands types d’espaces : défavorisés, de classe populaire, de classes moyennes non professionnelles et de professionnels.

Tableau 1

Barycentres des grappes sur les variables

Barycentres des grappes sur les variables

1 non professionnelles

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Les espaces défavorisés (grappe 1) se reconnaissent par leurs ménages nombreux avec un nombre important de jeunes enfants. Peu d’adultes ont une scolarité universitaire. Une bonne part d’entre eux occupent des emplois dans les activités secondaires (les activités primaires étant quasi nulles). C’est là que l’on rencontre le plus de logements mal équipés et qui ne sont pas connectés au réseau d’aqueduc. Les deux autres catégories, les espaces de classe populaire et les espaces de classes moyennes non professionnelles (grappes 2 et 3), se rapprochent du profil moyen. Finalement, les espaces de professionnels (grappe 4) se caractérisent par des ménages qui ont un profil correspondant aux caractéristiques recherchées : des ménages plus petits avec moins d’enfants en bas âge, un niveau de scolarité universitaire, des emplois dans les activités de services, des logements bien équipés et bien connectés aux infrastructures urbaines.

Le tableau 2 présente les valeurs moyennes propres à chaque regroupement pour les deux périodes. En 1990, les espaces de professionnels sont constitués de 35 aires de découpage. En 2000, ce nombre passe à 31. Même si on se trouve en présence d’une relative stabilité, les caractéristiques semblent encore plus présentes en 2000. À quoi peut-on attribuer cette évolution ?

Tableau 2

Valeurs finales centrales des grappes (moyennes)

Valeurs finales centrales des grappes (moyennes)

1 non professionnelles

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Les différences entre les périodes semblent relever de l’évolution de la société poblanaise, évolution davantage marquée dans les espaces de professionnels. En effet, à Puebla, on assiste à une diminution de la taille des ménages et du nombre de jeunes enfants, à une augmentation de la proportion de personnes ayant une scolarité universitaire et des emplois dans les activités de services. On note également une amélioration de la qualité des logements et une meilleure desserte en infrastructures urbaines, mesurées à partir de la disponibilité d’une cuisine exclusive et de l’eau courante. Mais cette évolution n’est pas uniforme parmi les classes. Ainsi, les variables de population montrent une différence encore plus marquée dans les espaces de professionnels. Par exemple, 38 % de la population de 18 ans et plus avait une scolarité universitaire en 1990. Cette proportion passe à près de 48 % en 2000. Pour la ville, la proportion qui était de près de 18 % en 1990 a connu une augmentation non négligeable de 6 points, se situant à près de 24 % en 2000. Cependant, pour les grappes 1 et 2, les changements sont peu importants. Il est vrai que, pour les variables sur le logement, la différence est plus importante dans les grappes 1 à 3. Avec des taux assez élevés en 1990, il est possible que le degré de saturation soit presque atteint dans les espaces de professionnels.

Dans la cartographie des résultats, le continuum est illustré à partir d’une échelle de gris, le plus foncé étant appliqué dans les espaces de professionnels (figure 5). En 1990, ces espaces se concentrent à l’ouest du centre historique dans la zone du quartier La Paz et au sud, le long d’un axe ouest-est. Partant de l’extrémité ouest de la ville, une partie de ces espaces englobe ce qui deviendra le site de la Plaza Angelópolis, les quartiers au sud du centre historique, le secteur de la Plaza Dorada et le quartier San Manuel, qui borde l’Université autonome de Puebla. Un autre secteur s’ajoute à l’est, comprenant le quartier fermé Lomas del Marmol. Finalement, un petit secteur s’ajoute au nord du centre historique, à proximité d’un parc. En 2000, le nombre d’aires de découpage faisant partie des espaces de professionnels a diminué et quelques changements sont notables dans leur répartition spatiale. Le quartier La Paz fait toujours partie de ces espaces, comme bon nombre de quartiers au sud du centre historique et à proximité de l’université. Toutefois, les aires à l’extrémité ouest et les abords de la Plaza Angelópolis sont maintenant constituées d’espaces de classes moyennes non professionnelles. Pour ce qui est du secteur au nord du centre historique, il s’est étendu en direction de l’autoroute Mexico-Puebla.

Figure 5

Répartition sociorésidentielle de la population à partir d’une analyse en grappes (AG)

Répartition sociorésidentielle de la population à partir d’une analyse en grappes (AG)

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La dynamique sociorésidentielle des ménages, telle que montrée par cette classification ascendante hiérarchique, ne présente pas une extension des axes à haut statut social identifiés dans les précédents travaux (figure 5). Les extrémités de ces axes semblent plutôt accueillir une population de classes moyennes non professionnelles. En outre, ces dernières se sont considérablement étendues vers le sud, repoussant plus loin les aires les plus défavorisées, qui débordent peut-être des limites imposées par la standardisation géographique. Les abords de la Plaza Angelópolis semblent avoir attiré une population de classes moyennes non professionnelles. L’observation sur le terrain montre par ailleurs que de nouveaux développements résidentiels, destinés aux populations ouvrières et de classes moyennes, se sont ajoutés aux quartiers huppés de ce secteur. Finalement, à cette échelle, rien n’indique une augmentation du statut socioprofessionnel dans le centre historique, qui est demeuré stable. Il reste que le dernier recensement a eu lieu peu de temps après le projet Paseo de San Francisco, peut-être trop tôt pour rendre compte de son influence sur la localisation résidentielle des ménages.

Conclusion

La classification ascendante hiérarchique permet, à partir d’un ensemble de variables, de créer une typologie sociorésidentielle des espaces. Dans le travail présenté ici, l’outil devait permettre de faire ressortir les espaces où se concentrent les professionnels. La non-disponibilité de certaines variables, leurs changements de définition dans le temps et leur fiabilité nous ont obligé à faire certains compromis : le choix de variables substitutives pour certaines caractéristiques des professionnels. Ainsi, à l’aide de six variables (la population de moins de cinq ans, la moyenne d’occupants par logement, la population de dix-huit ans et plus avec scolarité universitaire, la population occupée dans le secteur tertiaire, les logements avec cuisine exclusive et les logements avec eau courante), nous sommes arrivée à présenter un continuum de quatre espaces sociorésidentiels différenciés pour les deux périodes : des espaces défavorisés, des espaces de classe populaire, des espaces de classes moyennes non professionnelles et des espaces de professionnels. Même si les quotients de localisation ne permettent pas de constituer un tel portrait, la comparaison des résultats montre que l’algorithme paraît avoir bien circonscrit les différents espaces.

Les résultats obtenus à partir de la classification ascendante hiérarchique comportent des ressemblances avec ceux présentés par Germain et Polèse (1995) pour l’année 1990. Il semble y avoir deux axes d’expansion, le premier vers l’ouest en direction de la proche banlieue Cholula, le deuxième vers le sud en direction de l’Université autonome de Puebla. Dix ans plus tard, nos résultats mettent en doute l’hypothèse d’expansion continue des axes à haut statut socioprofessionnel. Ce qui ressort, c’est plutôt la confirmation de secteurs bien établis, tels que les secteurs du quartier La Paz et du quartier El Mirador. L’analyse de la dynamique sociorésidentielle ne montre toutefois pas de changements significatifs dans le centre ancien, malgré les opérations de revitalisation qui s’y sont déroulées durant plus de vingt ans. Même l’éviction de plus de 4500 personnes de classe populaire de la partie est du centre historique, pour le projet Paseo de San Francisco, n’a pas été déterminante dans l’évolution du profil sociorésidentiel des ménages de ce secteur. Une explication de cette absence de changement notable serait que le projet était encore très récent et que les îlots expropriés n’avaient toujours pas trouvé preneurs sur le marché privé lors du recensement de 2000.

Pour Jones et Varley (1999) et pour Ward (1993), les conditions actuelles (physiques et sociales) dans lesquelles se trouvent le centre ancien expliquent pourquoi la demande en logement s’oriente davantage vers des quartiers, à la périphérie du centre ancien, qui sont plus récents et modernes. Ces conditions seraient le mauvais état des logements et des infrastructures, l’hétérogénéité sociale, la pollution et les problèmes de sécurité, qu’ils soient réels ou perçus. Il reste que plusieurs acteurs locaux estiment que la régénérescence sociorésidentielle du centre historique est inévitable (Bojalil Andrade, 2001 ; Duran Guzman, 2001). Cependant, le processus serait entravé par l’inaction des autorités municipales concernant le logement de qualité dans le centre. Ce constat n’est pas sans nous rappeler l’évaluation du décalage temporel de cinquante ans fait par Gormsen (1980) entre l’évolution du centre poblanais et certains centres européens.

En terminant, il est utile de mentionner que le découpage choisi pour cette analyse (AGEB) ne permet pas de distinguer des phénomènes à petite échelle qui ont pu être observés dans le centre historique. Cependant, les quelques signes rencontrés de régénérescence sociorésidentielle étaient trop marginaux pour être détectés dans les données des recensements. Même si les opérations urbanistiques ne semblaient pas avoir eu une incidence importante sur la répartition sociorésidentielle des ménages en 2000, il n’est pas exclu que les quelques signes physiques visibles soient annonciateurs d’un mouvement plus important.