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L’identitaire se porte bien en librairie. En France, les Finkielkraut, Houellebecq et autres Zemmour ne manquent pas de lecteurs. Au Québec, Mathieu Bock-Coté ne laisse pas sa place pour défendre l’identité québécoise aux prises avec le multiculturalisme pancanadien. Les débats ne manquent pas de part et d’autre de l’Atlantique. J’en veux pour preuve la polémique entourant la question des signes religieux qui se font parfois, au goût du commun des mortels, trop ostentatoires. Évoquer un certain désarroi dans la quête d’un possible « vivre-ensemble » s’avère alors pertinent. C’est pourquoi l’auteur, en cherchant à mesurer toute la contingence, toute l’hybridité, toute la fluidité des identités territoriales, estime que « les sciences humaines et sociales doivent contribuer à désamorcer les interprétations essentialistes erronées du phénomène identitaire » (p. 200). Guy Di Méo, professeur émérite à l’Université de Bordeaux et l’un des fondateurs du courant de la géographie sociale française, met à profit une grande érudition pour répondre à une gamme de questions, dont celle-ci : comment être « Français » dans le contexte des inégalités ambiantes et des communautarismes religieux et culturels ?[1] En fait, traiter d’identité, selon l’auteur, c’est aborder une question qui soulève débats et controverse, le tout étant susceptible de dresser les uns contre les autres, comme si le sujet était tabou. En effet, on ne peut que lui donner raison. C’est ce qui justifie le titre de l’ouvrage, lequel contient dix chapitres dont cinq, à mon avis, se rapportent directement à ce qui fait l’objet du questionnement signalé. Ces chapitres, avec des titres tels que Spatialités et territorialités des identités collectives (ch. III) ou encore Le territoire de la nation : une échelle identitaire (ch. IV) intéresseront les géographes et autres spécialistes des questions territoriales. Chacun des chapitres se termine par une forme de synthèse visant à bien mettre en évidence la nature du désarroi qui s’y rattache, le terme désarroi étant pris ici dans le sens d’une confusion susceptible de conduire à un état de détresse.

À une époque où les médias traitent quotidiennement de faits reliés aux flux migratoires, surtout de la part de victimes de pays en situation de conflits armés, le lecteur trouvera intéressantes les allusions à la remise en cause de l’idée, grandement répandue, que la mobilité favoriserait l’éclatement de la cohésion sociospatiale, contrairement à l’attachement qui la stimulerait. Or, des travaux récents « envisagent la mobilité comme une forme de subordination à l’identité sociale et spatiale d’un individu ; son révélateur en quelque sorte. La mobilité traduirait une forme d’insertion et d’inscription, tant sociale que spatiale des individus » (p. 37).

Dans le chapitre II, Di Méo appuie les résultats de ses propres travaux dans les Pyrénées-Atlantiques sur les écrits de Lévi-Strauss pour dégager que la territorialité se combine au sentiment identitaire éprouvé par les individus et que ceux-ci partagent entre eux. C’est ce qui permettrait l’équivalence entre la territorialité et le rapport identitaire à l’espace. Le chapitre suivant plonge le lecteur en plein conflit Israël-Palestine, en passant par des allusions aux peuples catalan et sahraoui. En ce qui regarde Israël, l’obsession territoriale et identitaire affichée tant par les organisations politiques que religieuses conduit l’auteur à aborder l’État autoproclamé de Daesh (acronyme arabe pour l’État islamique). Ce dernier, comme on le sait, s’efforce de se doter d’un territoire lui permettant d’asseoir les bases de son identité et de sa reconnaissance. Quant à la Palestine, en conséquence de la Nakba (catastrophe) de 1948-49, les bases urbaines de son identité ont fait place à une appartenance rurale, connaissant ainsi une véritable inversion. Dans la synthèse de la fin de ce chapitre, on peut lire : « La région identitaire souhaite ardemment devenir État-nation territorial, y compris contre un État central sourd ou désemparé, à l’image de la Catalogne affrontant l’Espagne » (p. 82).

Dans le quatrième chapitre, portant sur le territoire de la nation, l’auteur cite une enquête de 2003 révélant qu’en France, la dimension nationale de l’identité arrive en troisième position, devancée par l’ancrage familial et l’identité professionnelle. Il fallait s’y attendre, la référence à l’incontournable Renan sert à définir la nation : « Une âme, un principe spirituel […] une grande solidarité, le désir de vie commune » (p. 90). L’espace et la société font l’objet du chapitre suivant où l’auteur, en se rapportant aux valeurs patrimoniales (les grands crus français, et pourquoi pas ? le crucifix au Québec), soulève diverses questions : que cache la quête d’identité ? Comment expliquer, ces quelque 50 dernières années, l’éclosion de nouvelles identités patrimoniales ? L’idée de postmodernité qui se concrétiserait par une déconstruction des valeurs anciennes sert ici de tentatives de réponses. Deux tendances apparemment contradictoires s’observeraient dans le comportement des gens : un retour à l’individualisme accompagné de l’esprit communautariste. Le viaduc de Millau offre un exemple auquel le lecteur montréalais pourra ajouter le futur pont Champlain. Mais c’est le quartier gai – dit « le village » – de Montréal que mentionne l’auteur dans un chapitre intitulé Genres, espace et identités, en l’associant au quartier Castro de San Francisco et à Greenwich village de New York. Il se réfère, à travers une gaytrification, à une identité offensive.

Alors qu’au Québec, certains préfèrent la laïcité ouverte à une laïcité sans adjectif, dans la conclusion de son ouvrage, l’auteur évoque des identités ouvertes : vecteurs d’innovation, de progrès social, de démocratie, de durabilité sociale et environnementale. Bien sûr, chacune exige de nouvelles recherches pour être approfondie. Ce livre, pas toujours d’une lecture aisée, transporte le lecteur autour du globe : Brésil, Mali, Cameroun et le pays bamikilé, Inde et ses multiples ethnies, Tunisie (et ses trois proximités), Rwanda et ses deux ethnies, Maroc avec le problème sarahoui, Espagne et son épine catalane ainsi que Pays basque, Israël et la quête palestinienne. Absolument rien sur la quête québécoise. C’est comme si, pour l’auteur, les Québécois ne se distinguaient en rien des Ontariens, des Manitobains et autres Albertains. Bizarre, voire décevant.