Comptes rendus bibliographiques

GHORRA-GOBIN, Cynthia (2002) Los Angeles. Le mythe américain inachevé. Paris, CNRS Éditions (Coll. « CNRS Plus »), 312 p. (ISBN 2-271-05965-8)[Record]

  • Paul Villeneuve

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  • Paul Villeneuve
    Université Laval

Los Angeles, ville mythique? Peut-être, mais ville médiatisée, certes. Robert Fishman, dans Bourgeois Utopias. The Rise and Fall of Suburbia, nous dit que pendant les années 1920, alors que les sociologues de l’« École de Chicago » mettaient au point leur modèle de la ville industrielle radioconcentrique, avec la banlieue dans la dernière couronne, il se développait déjà à Los Angeles une forme urbaine qui contredisait ce modèle, une forme où des rues et boulevards à angle droit ne convergent vers aucun centre. Cynthia Ghorra-Gobin, qui a vécu et étudié à Los Angeles, nous offre une synthèse très documentée des interprétations de ce paysage urbain qui inspire maintenant, outre les films d’Hollywood, les thèses de l’« École de Los Angeles ». Elle fonde sa synthèse sur l’identification de cet « idéal pastoral » du XIXe siècle américain qui aurait mené à la banlieue comme compromis entre la complexité de la vie urbaine et la simplicité de la vie rurale, Los Angeles devenant l’ultime banlieue. Elle la développe ensuite en trois temps. La première partie de l’ouvrage retrace la rapide ascension de Los Angeles, maintenant deuxième ville des États-Unis et métropole de l’Ouest avec ses 15 millions d’habitants. Elle est développée, à partir de 1880, par des Américains de la deuxième génération, des Anglo-Américains ou WASPS (White Anglo-Saxons Protestants) qui la marquent de leurs valeurs puritaines. Le livre raconte bien la quête de l’eau et l’expansion territoriale, et montre comment le courant qui prônait la maison et le jardin comme cadre de vie idéal pour la famille américaine s’exprima davantage à Los Angeles qu’ailleurs, car ce n’est que plus tard que la ville devint fortement multi-ethnique. La deuxième partie montre comment on a tenté, historiquement, à Los Angeles, de fonder la paix sociale sur une valorisation de la sphère privée s’exprimant dans de faibles densités urbaines. C. Ghorra-Gobin rappelle que c’est avant la voiture que la ville étalée s’est développée, les lignes de chemin de fer et le tramway électrique permettant à la population de s’établir à la campagne et faisant de Los Angeles une ville horizontale plutôt qu’une ville de gratte-ciel et de taudis. La voiture a permis plus tard de maintenir et d’amplifier ce paysage urbain dominé par la maison et le jardin, un paysage que les habitants voulaient différent de celui des villes de la côte est, mais qui est maintenant dominé par un réseau autoroutier devenu, en pratique, le seul moyen de déplacement, l’épine dorsale de la culture du drive-in. L’ouvrage décrit bien cette culture et montre comment elle mène à la dévalorisation de l’espace public et, comme dans le reste de l’Amérique, à la ségrégation ethnique. La troisième partie identifie les limites du modèle créé à Los Angeles et montre d’abord comment cette grande ville serait maintenant une métropole en quête d’urbanité, comment l’internationalisation et le caractère multi-ethnique de plus en plus poussé de la ville posent dans toute son ampleur la question de la centralité urbaine dans sa dimension symbolique. Los Angeles est-elle une agglomération polynucléaire en voie de recentralisation? La création d’un CBD, mais aussi d’institutions culturelles, de musées, de salles de concert et d’un théâtre signés par de grands architectes le laisse croire. Cette recentralisation, qui reste quand même plus fonctionnelle que culturelle et symbolique, est hautement liée à la formation d’une élite internationale, dans une agglomération où les phénomènes de sécession territoriale faisant suite à des référendums et la privatisation de l’espace public sous forme de gated cities montre que cette quête d’urbanité est loin d’être achevée. En somme, une excellente monographie urbaine.