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Introduction

Si le Québec rural connaît une profonde mutation depuis une cinquantaine d’années, il ne fait pas exception en Occident. C’est ce qui conduit l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) à évoquer la fragilité des milieux ruraux, caractérisés par le vieillissement de la population, la faible productivité de la main-d’oeuvre et une migration de la population qui compromet la masse critique requise pour assurer l’efficacité des services publics (OCDE, 2010).

Partout, dans l’ensemble de la population rurale, les producteurs agricoles sont devenus minoritaires. En conséquence, d’autres acteurs sont appelés à jouer un rôle dans ce qu’on désigne comme une nouvelle ruralité territorialisée. Ainsi, Domon et Ruiz (2008 : 5) évoquent des territoires ruraux devant répondre aux besoins rattachés aux productions traditionnelles, mais aussi à ceux liés à de nouvelles consommations (tourisme, villégiature, habitation) ainsi qu’à la conservation de l’espace rural. À leurs yeux, la viabilité des communautés rurales se trouve tributaire de la multifonctionnalité des territoires, à savoir la présence de différentes fonctions en un lieu donné. Une vision qu’on peut rapprocher de celle de Davezies et Talander (2014) pour qui les thèmes d’économie « résidentielle » ou « présentielle » auraient envahi récemment le paysage de l’analyse territoriale. Ces mutations démographiques ont un impact sur la façon de gérer les territoires. C’est pourquoi, après que l’expression « gouvernance locale » se soit répandue vers la fin des années 1990, on en arrive à parler de « gouvernance territoriale ». Selon Torre, cette gouvernance « ne peut se réduire au seul exercice du pouvoir local par les services déconcentrés de l’État, pas plus qu’aux actions entreprises par les collectivités locales ou territoriales ». En effet, toujours selon Torre, « elle est bien plus large, puisqu’elle implique à la fois la participation des populations à ce mécanisme de décision, par l’intermédiaire de différents groupes ou représentants, ainsi qu’une imbrication des niveaux de décision, du local vers le global » (2011 : 1). De façon similaire, le concept de développement local (Vachon, 1994 ; Joyal, 2002) a fait place à celui de développement territorial.

Dans cet article, nous ambitionnons de répondre à l’interrogation suivante : les politiques nationales de la ruralité (PNR pour la suite), telles qu’elles sont conçues, contribuent-elles à l’émergence d’une gouvernance synergique territoriale ? Pour cela nous allons aborder, dans un premier temps, les notions qui se rattachent à la gouvernance, à la synergie et aux capacités entrepreneuriales des milieux concernés par la mise en oeuvre des trois PNR. Suivra le portrait de ces trois politiques, dont nous tirerons les enseignements utiles selon leurs aspects positifs et négatifs.[1]

L’action gouvernementale

Dans la perspective d’en appeler à la participation et à l’engagement des acteurs dans le processus de développement de leur territoire, le gouvernement du Québec considère les milieux locaux, et particulièrement les milieux ruraux, comme les premiers responsables de leur développement. Ainsi, une première génération de la PNR a vu le jour en 2002, reconduite en 2007 et en 2014 (pour 10 ans). Ces trois générations d’une politique qu’on cherche à étaler sur une période de 20 ans nous rappellent, à la fois, la responsabilité de l’État envers les milieux ruraux et la volonté de leur laisser une certaine marge de manoeuvre dans l’élaboration de leur propre plan d’action concernant la gestion des fonds publics. Cela cadre jusqu’ici avec une volonté manifestée de faire émerger ce qu’on appelle une gouvernance territoriale.

Le Pacte rural sert de pierre angulaire à la PNR. Il vise, entre autres, à aider les collectivités rurales à se prendre en main et à se mobiliser pour faire face aux différents défis de leur développement. Le postulat de base qui légitime cette action gouvernementale prend son appui sur le fait que les collectivités territoriales revendiquent, depuis longtemps, davantage de moyens et d’autonomie décisionnelle pour assurer leur avenir. Nous présentons ici ce qui nous apparaît être la résultante de ce programme, en termes de développement des capacités entrepreneuriales tout au long des années 2002 à 2014. Ainsi, le principal questionnement qui s’impose consiste à déterminer dans quelle mesure le Pacte rural a favorisé l’émergence d’une culture entrepreneuriale porteuse d’un dynamisme nouveau dans les milieux concernés. Auparavant, un regard sur les années ayant précédé la première PNR s’avère utile.

L’action publique auprès des collectivités régionales, durant les années 1980-90, a été marquée par l’émergence d’une approche dite partenariale. On a alors assisté à la mise sur pied des municipalités régionales de comté (MRC), [2] des centres locaux de développement (CLD), des centres régionaux de développement et concertation (CRDC), des sociétés d’aide au développement des collectivités (SADC), etc. (El-Batal, 2015). Cette approche a conduit à situer l’acteur local au centre de l’action, en vue du partage de certaines responsabilités dans l’action territoriale.

On assista de la sorte à une redéfinition des politiques de développement régional et local. Ainsi, l’approche endogène de développement fit son apparition dans le débat et commença à s’enraciner dans les moeurs, en ouvrant la porte aux acteurs locaux (société civile, organismes intermédiaires, etc.). Ces acteurs furent invités à faire partie intégrale des stratégies de développement, autant sur les plans social, culturel et économique qu’entrepreneurial. Le gouvernement québécois en arriva à mettre sur pied la Politique de soutien au développement local et régional (projet de loi 171) en 1997. Cette politique a fait en sorte que les régions ont été placées sous la juridiction d’un ministère, tout en balisant la structure de gouvernance qui, désormais, incitait l’ensemble des parties prenantes à s’engager dans le développement de leurs régions et collectivités. Le temps d’une nouvelle gouvernance (dite territoriale) est apparu.

La gouvernance synergique

Le concept de la gouvernance s’impose en fait depuis les 30 dernières années. Se trouve ainsi privilégiée la primauté d’actions venant de la base sur les interventions imposées par l’État central et la recherche de consensus en cas de conflit. Le concept a le mérite de nourrir les réflexions sur la « manière de conduire » les « affaires de l’État » (Jessop, 1998). Comme l’indique Paquet (2010 : 6) la gouvernance comme expression était déjà utilisée en français au XIIIe siècle. À la fois appréhendée comme activité, processus et procédure, la gouvernance est aussi une manière de voir, un cadre d’analyse et un langage de définition et de solution aux problèmes d’un territoire donné. À travers elle s’établit un appareil d’examen clinique pour remonter à la source de la mauvaise performance et un outillage mental pour le « designer » organisationnel et l’architecte social. Torre (2014 : 118) voit dans la gouvernance un élément central de toute stratégie de développement local, basé sur l’interaction des acteurs concernés, impliquant les apprentissages et le développement des capacités (empowerment), et ce, dans un contexte de participation et de consultation. Mais rien ne doit être tenu pour acquis, le chemin vers la « bonne gouvernance » [3] étant parsemé d’embûches. Pour surmonter ces embûches, il importe que les parties prenantes fassent preuve d’ouverture d’esprit par l’acceptation des règles du jeu, en choisissant de façon opportune les acteurs appelés à les représenter (Torre, 2014 : 122).

Quant à la synergie, elle est vue par Capello (2014 : 163) comme une forme de relation de réseautage de la part des agents économiques en vue de favoriser une plus grande flexibilité dans les prises de décision. De son côté, Belotti (2005 : 13) la décrit à travers une image analogique : « En médecine tout comme en psychologie, le mot désigne l’action coordonnée de plusieurs organes, associations de plusieurs fonctions, de plusieurs facteurs qui concourent à une action unique et à un effet d’ensemble. » De cette explication, nous pouvons déduire que la synergie présume l’existence d’une « association » qui sous-tend la participation de plusieurs sous-ensembles. Elle suppose une « coopération » qui sous-tend à son tour la coordination, la collaboration, la régulation des moyens mis en oeuvre à l’intérieur de chaque sous-ensemble. Les concepts d’association et de coopération entre acteurs contribuent à la maximisation du résultat final ou de l’objectif recherché. Ce dernier peut être de nature économique, entrepreneuriale ou autre.

Au Québec, la notion de gouvernance territoriale a été mise de l’avant par les travaux du Centre de recherche en développement territorial (CRDT) [4] et de la Fondation canadienne pour la revitalisation rurale (FCRR). [5] Son essor coïncide avec celui du modèle de développement qualifié de néolibéral qui s’est généralisé dans les années 1980-90, dans l’ensemble de l’Occident. En résumé, le débat sur la gouvernance et son utilisation grandissante en gestion organisationnelle et dans les sciences politiques et sociales ont nourri différentes réflexions, notamment sur la coordination, la contractualisation, le partenariat, l’arrangement et la participation à la gestion des actions collectives mettant en présence l’État, le secteur privé et la société civile. La gouvernance renvoie donc à « des réalités qui se manifestent à l’échelle locale comme mondiale » (Boucher, 1998 : 62). De ce fait, l’État se sent obligé de céder une partie de son pouvoir décisionnel au profit d’une approche de gestion axée sur l’interaction, l’équilibre et le partage des responsabilités.

Sur la base de ces prémisses, on peut donc considérer la gouvernance synergique territoriale comme « l’ensemble des facteurs politiques, sociaux et organisationnels qui sont stratégiquement planifiés par l’ensemble des parties prenantes d’une collectivité en vue d’étudier, d’analyser et de concevoir des mécanismes visant à mieux gérer tout processus de développement territorial. Pour ce faire, il faudrait agir plutôt sur les mécanismes dits de pré-gouvernance synergique, à savoir la concertation dans la cogestion des actions collectives, la démocratie participative, l’évaluation transversale, la gestion du pouvoir et la formation à la gouvernance » (El-Batal, 2012 : 25).

Le concept de gouvernance synergique territoriale nous aidera donc pour analyser et comparer le contenu évolutif des trois PNR tout en portant une attention particulière sur la manière dont l’État québécois souhaite favoriser, au sein des collectivités rurales, l’émergence d’une nouvelle façon d’aborder le développement territorial. La PNR vise à soutenir les milieux ruraux dans leurs démarches de renforcement des capacités entrepreneuriales et socioéconomiques afin d’atténuer les effets de la précarité et de la dévitalisation. Cette vision rejoint la position de Gasse (2014) lorsqu’il souligne que le potentiel entrepreneurial d’un milieu peut s’accroître grâce à une variété d’interventions et de changements environnementaux. Dans le même sens, la dernière édition du Golbal Entrepreneurship Monitor (GEM, 2014) précise que chaque société doit agir sur les conditions-cadres afin de dynamiser le potentiel entrepreneurial d’un milieu donné. Ces conditions peuvent être de nature politique, structurelle, environnementale, sociale. Nous sommes donc d’avis que la PNR devrait s’inscrire dans cette optique et agir directement sur les aptitudes des milieux pour stimuler l’entrepreneuriat collectif dans un esprit d’arrimage des intérêts et d’atténuation des divergences.

Le Pacte rural et le développement territorial

Au moment de l’élaboration de la PNR, comme le signale Alie (2008 : 88), la France mettait en branle et expérimentait une politique contractuelle similaire inspirée des Parcs naturels régionaux avec l’adoption de la Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT, dite loi Voynet, datant de 1999). Le développement d’une culture entrepreneuriale susceptible d’apporter un nouveau dynamisme aux divers milieux ruraux se trouvait dans la mire des autorités publiques. Or, une telle culture s’avère difficilement mesurable lorsqu’il est question de recenser un certain nombre d’actions prises par l’ensemble des parties prenantes d’une collectivité. Ainsi, à défaut de pouvoir bien évaluer sa teneur, nous faisons nôtre la remarque de Fortin (2010 : 10) que la culture entrepreneuriale a pour finalité de favoriser une société maîtresse de son destin. Cette vision se rapporte au principe de l’empowerment d’une collectivité désireuse de se prendre en main.

Dans sa version originale, le Pacte rural recommande fortement la participation effective de tous les acteurs dans l’adoption de projets appelés à être appuyés par les fonds associés au programme. Implicitement, l’idée de recourir à des principes tels la mobilisation et la consultation renvoie à une sorte de proximité qui prend la forme du triumvirat : gouvernance – entrepreneuriat – culture. Ainsi, par les intentions exprimées, le gouvernement québécois mise plutôt sur l’enracinement d’une approche dite globalisante ou plurielle afin d’inclure cette notion de culture entrepreneuriale au sein des collectivités rurales.

Parallèlement à la PNR, diverses actions gouvernementales ont vu le jour, depuis 2012, visant à soutenir et à stimuler les assises entrepreneuriales des milieux ruraux. À titre d’exemple, mentionnons le Défi de l’entrepreneuriat jeunesse de 2004, reconduit en 2007, les carrefours jeunesse-emploi (CJE) et les coopératives de développement régional (CDR). Ces programmes gouvernementaux permettent d’accompagner divers acteurs locaux pour les positionner sur la trajectoire de la réussite. Ils demeurent certes complémentaires à la PNR et à son Pacte rural, et des passerelles peuvent s’insérer entre ces programmes en concordance avec les mécanismes de prégouvernance synergique. Toutefois, la coïncidence des programmes publics avec les intérêts des acteurs locaux n’est jamais acquise, entre autres, à cause de la culture en silo [6] observée ici et là et à l’intérieur même de certaines institutions nationales, régionales et locales.

Pour ce qui suit, nous rappelons la question de recherche, qui consiste à nous interroger sur la capacité des différentes PNR de favoriser l’émergence d’une réelle gouvernance synergique territoriale. Pour cela, nous devons au préalable faire part de notre approche méthodologique.

Approche méthodologique

L’évaluation des trois PNR répond aux exigences se rapportant aux divers programmes publics dont l’évaluation, selon la Commission européenne (2002), doit reposer sur des données fiables en faisant appel à des analyses solides englobant l’ensemble des dimensions des dispositifs mis en place. Il s’agit ici de recourir à une évaluation ex post qui prend en compte un ensemble de facettes, comme le recommande Marceau (1992, 2001). On pense particulièrement aux acteurs impliqués dans la mise en opération du Pacte rural, lequel constitue l’épine dorsale de la PNR.

Smith (2002) distingue trois catégories de méthode servant à l’évaluation des programmes gouvernementaux. La première dite « expériences sociales » s’effectue sur la base d’un échantillonnage aléatoire des participants, ce qui s’accompagne souvent d’un biais. Le recours à des hypothèses aide à s’approcher des objectifs visés, sans toutefois offrir les garanties que tous les éléments importants à prendre en compte fassent l’objet de l’attention nécessaire. L’auteur signale que cette approche ne doit pas éviter le recours à la réflexion afin de compléter l’apport fourni par cette méthode expérimentale. La deuxième approche répertoriée se rapporte à une sélection de variables pouvant faire l’objet d’observations. Un échantillonnage aléatoire de participants ou d’acteurs sert d’assise à l’observation des faits. Enfin, une troisième approche prend son appui sur l’hypothèse que les informations disponibles permettent de mesurer les conséquences d’une implication ou d’une absence d’implication des acteurs concernés. Toutefois, il est communément admis que les participants consultés peuvent très souvent s’avérer de piètres évaluateurs des initiatives dans lesquelles ils sont engagés. Ce n’est donc pas à eux de faire l’évaluation en se faisant à la fois juges et parties.

Pour sa part, en relation avec l’expérience italienne où l’on a répertorié pas moins de 230 pactes pour l’emploi, Casavola (2002) signale que leur appréciation varie suivant le type d’observateurs. Certains parmi ces derniers peuvent être de féroces opposants à ces programmes, alors que d’autres y sont très favorables sans recourir à des évaluations menées de façon rigoureuse. En conséquence, l’auteur évoque la nécessité de prendre en compte les objectifs liés aux pactes territoriaux lorsqu’il s’agit d’en faire l’évaluation. Comme toute stratégie de développement territorial vise à favoriser le mieux-être d’une population d’un lieu donné, il s’agit de voir dans quelle mesure les initiatives issues d’un programme gouvernemental contribuent à générer des effets d’entraînement notables. Vient ensuite la prise en compte de l’existence ou non d’une plus grande cohésion sociale entre les principaux acteurs du territoire après la mise en oeuvre du plan d’action. Ce deuxième point s’avère déterminant, car il représente une condition sine qua non de réussite à moyen terme de toute stratégie de développement territorial.

Mais comment s’assurer de l’adéquation entre les causes et les effets quand on sait que de tels pactes comprennent un amalgame d’éléments parfois très disparates parmi lesquels il faut savoir discerner les plus importants ? Pour en arriver à savoir pourquoi certains pactes réussissent mieux que d’autres, Casavola (2002) recommande beaucoup de circonspection dans le choix de la méthode utilisée.

Sachant qu’une tentative de développement territorial a pour objet de susciter des impacts positifs, tant sur le plan économique que sur le plan social, les évaluateurs chargés de consulter les acteurs locaux impliqués doivent s’attendre à ce que ces derniers mettent en évidence des composantes telles que le bien-être des populations des territoires concernés, le niveau de la cohésion sociale et l’état des solidarités au sein de la collectivité, ce qui se résume par le niveau de qualité de vie d’un milieu donné. Observe-t-on un renforcement des liens d’appartenance au territoire donnant lieu à diverses initiatives conduisant à la création ou au maintien d’emplois durables et de qualité ? Peut-on évoquer une meilleure accessibilité en biens et services de tout ordre ? Pour répondre à ces interrogations, Marceau (2004) en soulève d’autres. En quoi l’évaluation peut être utile ? Que veut-on évaluer ? À qui sert l’évaluation (aux décideurs, aux acteurs locaux, aux partenaires) ? Répondre à ces questions exige la définition d’indicateurs pertinents afin d’en référer de façon adéquate à divers acteurs tels, entre autres, les agents de mise en oeuvre d’un programme, les bénéficiaires, voire les victimes.

En relation avec le programme Leader + , [7] les lignes directrices pour une évaluation distinguent les indicateurs de programme, à savoir ceux qui s’appliquent à une partie du territoire ou d’une population ciblée par le programme et les indicateurs de contexte, qui concernent l’ensemble d’un territoire ou d’une population. Ainsi, en relation avec le développement d’activités touristiques dans les zones rurales, les indicateurs de programme se rapportent aux réalisations (nombre d’investissements faits par les bénéficiaires et nombre des bénéficiaires), aux résultats (nombre de nouvelles activités touristiques par les bénéficiaires) et finalement à l’impact (proportion de l’emploi généré par le tourisme dans la zone assistée). Pour leur part, les indicateurs de contexte en relation avec les réalisations, les résultats et l’impact peuvent être, respectivement, le nombre de bénéficiaires potentiels, le nombre de nouvelles activités touristiques développées dans la région, la proportion de l’emploi dans le secteur touristique dans la région (Célestin, 2004 ; Leader +, 2004).

Sur la base de ces prémisses, une première évaluation de la PNR a privilégié deux acteurs-clés : les préfets et les agents de développement rural de chacune des cinq MRC du Centre-du-Québec. Les informations recueillies par ces répondants ont permis de dégager une vision de l’ensemble de la démarche du Pacte rural. L’objectif visé était de vérifier à quel point les grands principes généralement reconnus du développement territorial sont respectés. Les données recueillies servent à formuler des questions de recherche en vue d’études ultérieures. Dans le cas présent, il s’agissait d’approfondir nos connaissances sur différents projets et de tenter de percevoir les stratégies de développement mises en oeuvre.

La PRN n’ayant, à l’époque, été adoptée que depuis peu, elle n’avait donné lieu à aucune évaluation. Une seconde évaluation de la première PNR a fait appel à diverses sources d’information, à savoir la consultation des documents internes de 12 MRC échantillonnées à partir de la banque de données tenue par le ministère des Affaires municipales et des régions (MAMR) et la construction de deux questionnaires. Envoyé à 45 répondants, le premier a servi à faire un lien entre le dispositif du Pacte rural et ses retombées alors que le second a porté sur 36 projets ayant pu être identifiés. Le profil des répondants se présente comme suit : 15 gestionnaires responsables du Pacte rural (CLD, MRC), 18 élus municipaux (maire, conseillers) et 12 agents de développement.

Pour savoir si la méthode de recherche utilisée permettait de répondre à la question posée, nous avons utilisé le principe de la validation des résultats selon les approches reconnues. Pour ce qui est de la validation interne, nous avons retenu le principe de la triangulation, le plus souvent utilisé en recherche qualitative (Denzin et Lincoln, 1994). Cinq modèles de triangulation peuvent contribuer à la validation interne, dont la triangulation par sources de données, qui a été retenue dans le cadre de cette étude. Ce modèle consiste à comparer et à vérifier la logique des informations recueillies en des périodes différentes et par des moyens différents (Patton, 1990). Yin (2009) affirme qu’il est le plus pertinent dans une étude de cas.

La Polique nationale de la ruralité (2002-07) : quelle évaluation ?

Les attentes suscitées par la première PNR ont été satisfaites, si l’on en juge par le fait qu’elle a été renouvelée par la nouvelle administration québécoise, qui a accordé à la deuxième un montant de 250 M $, soit près de trois fois plus que pour la précédente. Nous avons mentionné plus haut avoir débuté par l’évaluation des faits auprès de cinq MRC du Centre-du-Québec en interrogeant deux acteurs-clés : les préfets et les agents de développement rural de chacune de ces MRC. En plus, nous avons considéré les plans d’action de chacune des MRC à la base du Pacte rural. L’agent de développement rural, en tant qu’organisateur et intermédiaire, offre une vision globale de la procédure. De son côté, le préfet, en tant qu’élu choisi par les maires de sa MRC, présente une vision de décideur, en plus d’une vision globale comme leader principal de la démarche.

Quelques dimensions ont retenu l’attention.

  • Les mécanismes de fonctionnement : chaque MRC s’est conformée aux exigences de la PRN en respectant ses propres structures organisationnelles. Ainsi, un comité de mise en oeuvre a été créé au sein de chacune, avec le mandat d’élaborer des critères de sélection des projets devant faire partie du Pacte rural.

  • Le rôle de l’agent de développement : acteur majeur dans la démarche, l’agent de développement s’engage dès les premières étapes de planification, jusqu’à la réalisation des projets. Il siège au comité organisationnel du Pacte rural et contribue ainsi à l’élaboration du plan de travail, des mécanismes de la démarche, de la vision, des objectifs, des critères de sélection, etc.

  • La volonté d’agir versus la capacité d’agir : selon les répondants, dans la plupart des municipalités, les élus se sont montrés conscientisés et impliqués dans la démarche et ont mis en place des dispositifs pour adopter le Pacte rural.

  • Le leadership bien en place : les projets demeurent sous la responsabilité du conseil municipal, qui doit cependant reconnaître la place revenant à la population locale dans le processus décisionnel conduisant à leur adoption. Le conseil est le porteur de dossier afin que tout projet soit soutenu financièrement ou techniquement. De ce fait, l’élu de chaque municipalité a souvent le dernier mot quant à l’acceptation ou l’orientation des projets.

  • Les forces de la démarche : certains élus et agents de développement rural voient, dans le Pacte rural, une première étape vers la décentralisation du pouvoir décisionnel. La démarche est généralement définie comme étant très démocratique et ouverte. En effet, les résidants des municipalités qui s’impliquent dans des comités locaux ont le droit de décider et de voter pour les projets de leur municipalité.

Pour les cinq MRC étudiées, un des objectifs atteints se rapporte à la conscientisation de la nécessité de réaliser des projets afin d’augmenter la qualité de vie et, ainsi, éviter l’exode de la population. Plusieurs municipalités ont proposé ou élaboré des projets ayant trait au loisir, au social, au culturel ou au communautaire : garderies, aménagement d’un parc municipal, infrastructures communautaires, pistes cyclables, infrastructures de loisir pour les jeunes, etc. Bien sûr, ces seules initiatives ne suffisent pas pour dynamiser un territoire. Des projets touchant l’économie et l’environnement doivent être entrepris afin que le développement soit plus global et générateur de retombées véritables. Il faut donc plutôt songer à mieux former la population, tout en favorisant la diversification économique ; développer une culture entrepreneuriale demande du temps (Joyal, Pouquay, El-Batal, 2005).

L’évaluation d’un programme gouvernemental dépend des angles sous lesquels on l’aborde. Pour mieux cerner les multiples facettes que recouvre la gouvernance territoriale, il faut prendre en compte un grand nombre d’indicateurs. Dans une recherche subséquente, à partir de trois indicateurs reliés à la gouvernance territoriale, tel qu’indiqué supra, nous avons utilisé un échantillon comprenant cette fois 12 MRC dotées d’un indice de développement global fort, moyen et faible. Indépendamment de la catégorie de MRC, une forte majorité de répondants ont estimé que le dispositif du Pacte rural a facilité la préparation de projets au sein de leur MRC. Également, 36 des 45 répondants ont dit considérer que le Pacte rural a favorisé la mise en place d’un mécanisme de suivi des projets adoptés.

Cette dernière recherche a montré que deux grandes stratégies caractérisent le déroulement et la mise en application de la PNR : une stratégie de « renforcement des capacités », que nous désignons ici par l’expression « approche démocratique », et l’existence d’une stratégie de type « fonctionnel », qualifiée ici « d’approche autocratique ». Lorsque les principes particuliers au développement endogène (approche ascendante ou bottom-up) avaient été respectés, nous retrouvions l’approche démocratique. Au contraire, l’approche autocratique représente en fait une forme de développement « par le haut » (approche descendante ou top-down) en se situant au niveau d’une MRC. Sachant que les élus locaux exercent leur pleine influence pour faire accepter leurs priorités, il fallait s’attendre à ce qu’ils occupent parfois une place prépondérante.

La Politique nationale de la ruralité (2007-2014)

La deuxième PNR s’appuie sur quatre éléments fondamentaux qui s’inscrivent dans la démarche adoptée à la faveur de la politique précédente :

  • une approche dite « du bas vers le haut », en ce sens qu’elle privilégie une prise en charge du développement rural par les communautés locales ;

  • l’implication des institutions et des organisations locales sur la base des principes d’imputabilité et de reddition des comptes ;

  • la ruralité perçue comme un tout où l’ensemble des ressources humaines et naturelles du territoire est mis en valeur ;

  • une approche participative de la population, par laquelle les élus et les citoyens sont amenés à jouer un rôle déterminant.

Et, parmi les principes fondamentaux, nous soulignons celui se rapportant au développement de petites entreprises alimentaires par l’accès des produits régionaux et des produits de niche aux réseaux de distribution et par l’émergence d’appellations réservées (Gouvernement du Québec, 2007-2014 : 1-2). Même si ces activités ne dérivent pas directement de la PNR, puisqu’elles relèvent du secteur à but lucratif, elles peuvent être des émanations indirectes d’une synergie entrepreneuriale favorisée par la dite politique.

À la suite du démarrage des premiers pactes ruraux, le gouvernement dégage le constat suivant :

  • La mobilisation à grande échelle a atteint près de 35 000 personnes et, de ce nombre, plus de 7000 personnes ont participé comme bénévoles à 155 comités, 136 tables sectorielles de MRC et 462 comités locaux.

  • Plus de 3400 projets étaient en cours d’élaboration ou achevés, ce qui laisse croire qu’au terme des cinq ans des pactes ruraux, le nombre de projets dépassera les 4000, soit une moyenne de 4 projets par municipalité rurale. Par ailleurs, le coût moyen des projets a été de 122 993 $, et la contribution moyenne du Pacte est d’environ 18 500 $ par projet, ce qui représente près de 15 % des coûts.

  • Plus de 5700 emplois ont ainsi été créés, soit une moyenne de 1,6 emploi par projet.

  • Les 63,5 M $ provenant des pactes ont généré des investissements de près de 422 millions. Et, si la tendance se maintient, les 86,4 millions de dollars transférés aux pactes ruraux pourraient ainsi engendrer des retombées totales de près de 600 millions.

  • Ce sont les organismes sans but lucratif (OSBL) qui ont réalisé le plus de projets (55 %), suivis par le milieu municipal constitué des municipalités, MRC et organismes municipaux (38 %) (Gouvernement du Québec, 2007-2014 : 6).

Ce dernier constat met en évidence l’absence complète du secteur privé. Et, comme on le verra avec la PNR de 3e génération, il en sera toujours ainsi, seul l’entrepreneuriat collectif (c’est-à-dire sans but lucratif, qui relève de l’économie sociale) se trouve ici favorisé. Les entrepreneurs ayant un but lucratif ne manquent pas de programmes qui leur sont destinés en dehors de la PNR.

En s’intéressant à la PNR, on observe une évolution démographique qui se vérifie sous d’autres cieux, comme en France, aux États-Unis ou au Brésil : l’implantation en milieu rural de nouveaux résidants, jeunes familles et jeunes retraités vecteurs d’un dynamisme nouveau (Joyal, 2015). S’ajoute à ce phénomène démographique l’émergence d’une nouvelle forme d’entrepreneuriat rural mettant en valeur le patrimoine culturel, touristique et agroalimentaire (produits du terroir).

Sur ce point, tel que mentionné plus haut, même si on ne peut en imputer l’essor directement à la PNR, on évoque la nouvelle gamme de produits associés à ce qu’on désigne comme « produits du terroir » tels de nouveaux fromages, les boissons artisanales, les cultures et les élevages spécialisés, à quoi s’ajoutent les gîtes du passant, les tables champêtres, les auberges forestières, les nombreux festivals, etc. On parle ici des marques de commerce qui caractérisent la nouvelle ruralité québécoise (Gouvernement du Québec, 2007-2014 : 7). L’allusion aux produits du terroir permet de se rapporter à ce que Campagne et Pecqueur (2014) désignent comme une « rente territoriale » dégagée par la mise en valeur d’une ressource spécifique permettant à un territoire de se distinguer. Encore une fois, on se rapporte ici à une forme de synergie conduisant à des initiatives entrepreneuriales reliées à cette « rente territoriale ». Cette vision optimiste de la ruralité québécoise se trouve partagée par Espada (2013 : 7) qui évoque une identité territoriale marquée d’un sentiment d’appartenance ou de fierté ; une identité perçue ici comme étant à la base de la vitalité des territoires. Cela conduit l’auteur à brosser un tableau de l’entrepreneuriat territorial caractérisé par des acteurs locaux capables de réunir des ressources matérielles, humaines et financières en vue du développement de leur territoire.

On retrouve ici cette vision de la ruralité que cherche à favoriser la PNR. Cependant, la route conduisant à l’atteinte des aspirations à la base de cette politique s’avère longue et ardue. C’est ce que laisse voir l’évaluation par Mirindi (2011) de la PNR de la 2e génération, à partir d’une étude de cas effectuée, lorsque la Politique était en voie de réalisation au sein de la MRC des Chenaux du Centre du Québec. Avec la PNR, est-on en présence d’une décentralisation ou d’une déconcentration des interventions de l’État québécois ? se demande l’auteur. Face à un système politique où les institutions fonctionnent en silo, la réponse soulève la controverse selon ce chercheur, qui invite à la prudence devant les résultats observés. Cela le conduit à poursuivre son questionnement, à savoir si les deux premières PNR accordaient vraiment aux pouvoirs locaux les moyens requis en vue de stimuler et accélérer la mobilisation des collectivités en les rendant davantage responsables de leur développement.

Or, malgré l’existence d’une volonté implicite de décentralisation, avec la gestion du Pacte rural, les pouvoirs locaux demeurent, selon Mirindi (2011 : 53-57, 131), prisonniers d’une forme de déconcentration administrative. L’auteur est ainsi incité à évoquer ce qu’il qualifie de « mythe de la participation » alors que la PNR, en principe, repose sur la mobilisation de la population à travers l’engagement des différents partenaires ou acteurs sociaux. Les trois municipalités étudiées au sein de cette MRC révèlent que la participation et les interactions des acteurs du secteur privé, entre eux et avec les autres acteurs, s’avèrent très faibles et presque inexistantes. Ce qui amène l’auteur à affirmer que les PNR n’ont pas permis aux acteurs locaux de développer un cadre structurel et promotionnel susceptible de comprendre des projets liés aux orientations directes et aux objectifs définis (Mirindi, 2011 : 141).

Ceci étant admis, aux yeux de Mirindi (2011 : 129), le développement local et la démographie (vieillissement de la population) demeurent les parents pauvres du plan stratégique de la MRC étudiée. S’il est fait allusion de façon vague à un projet manufacturier non polluant, on mise, comme partout ailleurs, sur le développement touristique. Rien de neuf sous le soleil quand on sait que dans les années 1990, aux yeux de consultants en planification stratégique, la transformation des produits de la forêt et le tourisme étaient les deux mamelles du développement économique. Quant aux personnes âgées, sauront-elles se suffire des promesses de la construction de résidences adaptées à leurs besoins, contenue dans le plan d’action ?

Cette faiblesse dans les résultats s’explique-t-elle par un apprentissage de l’action collective que les acteurs locaux ne seraient toujours pas parvenus à compléter afin de remplir le mandat qui leur est confié ? Mirindi (2011 : 135) souligne le cas de trois élus consultés qui ont avoué avoir une idée plutôt vague de ce que représente la PNR. Par ailleurs, le Pacte rural, étant donné les montants d’argent impliqués, serait parvenu à susciter des projets, sans grande envergure toutefois. Reste à savoir si ces projets n’auraient pu voir le jour en l’absence du Pacte rural. Alors, que peut-on dire de la gouvernance territoriale ? Est-elle synergique ? Conduit-elle à entreprendre ? Dans le cadre de cette étude portant sur une seule MRC, il s’agissait ici de s’interroger sur les méthodes de consultation des acteurs locaux au sein de trois principales municipalités. Un premier constat apparaît : l’absence du secteur privé, qui ne sent pas concerné par la PNR. Quant au secteur communautaire, contrairement aux attentes, il se voit parfois laissé pour compte dans un contexte où le Pacte rural est qualifié de « micrototalitaire » par certains collectifs, comme en fait foi ce témoignage :

Les autorités municipales ne nous consultent pas, on est très peu reconnu par nos municipalités, surtout en matière de concertation. Elles décident des choses et ne demandent pas notre point de vue, et si cela arrive, elles nous disent : voici ce que nous allons faire, participez-vous oui ou non ?

Mirindi, 2011 : 139

En regard de ces constats soulevés ici et là, il est difficile de croire que les pactes ruraux auraient donné naissance à une réelle gouvernance synergique territoriale. L’objectif initial des PNR, telles que conçues, visait à amener les acteurs ruraux à cogérer leurs milieux dans un esprit de gouvernance synergique et durable. Force est de constater que l’absence d’implication du secteur privé dans les processus de prise de décision de la démarche enlève déjà un pied au trépied sur lequel repose le principe de la gouvernance territoriale.

La Politique nationale de la ruralité de 3e génération (2014-2024)

Sur la base des résultats des deux premières PNR, jugés satisfaisants, les responsables de la nouvelle politique, conçue cette fois pour une décennie, appuient celle-ci sur six principes directeurs :

  • Prendre appui sur les résultats des deux PRN précédentes ;

  • Miser sur une plus grande décentralisation ;

  • Promouvoir une approche multisectorielle et les initiatives de développement entre les milieux ruraux et urbains ;

  • Maintenir le respect de l’autonomie locale dans les choix d’actions ;

  • Encourager la participation citoyenne ;

  • Préconiser une approche équitable et solidaire sur le plan territorial (Gouvernement du Québec 2014 : 28).

Pour y parvenir, on évoque des moyens renforcés et une approche renouvelée, ceci à la faveur d’un montant de 470 M $ réparti sur une période de 10 ans entre les différents milieux, suivant leurs besoins. De cette somme, pas moins de 340 M $ seront versés au Pacte rural, dont un certain montant ira à des « Pactes plus » en relation avec des projets structurants issus d’expériences vécues lors de la PNR précédente. Il est bien précisé que chaque MRC sera appelée à travailler davantage de concert avec ses citoyens tout en ralliant les intervenants des divers secteurs de son territoire autour d’une vision commune (Gouvernement du Québec, 2014 : 15). Il est donc à nouveau fait référence à la gouvernance participative dans la recherche d’un point d’équilibre entre le leadership citoyen et le pouvoir politique local et territorial.

Concernant le Pacte rural, on précise que, de 2002 à 2014, plus de 15 000 projets ont bénéficié d’un appui financier. On a vu infra que ces projets n’avaient pas – de beaucoup s’en faudrait – une grande envergure.

Pour la 2e PNR, 91 pactes ont reçu un total de 161 M $ donnant lieu à des investissements, grâce à l’effet de levier, de plus de 160 G $ générant ou préservant ainsi plus de 11 000 emplois. On cite comme exemples : le démarrage d’une coopérative d’aide à domicile sur la Côte-Nord ; la mise en place d’un marché public au Centre-du-Québec ; le démarrage d’une coopérative de développement et de mise en marché de produits ligneux en Haute-Mauricie ; l’essor d’un projet de pommetiers décoratifs dans le Bas-Saint-Laurent ; la sauvegarde d’un bâtiment patrimonial en Gaspésie ; l’accueil aux immigrants en Montérégie. Comme on le voit, on montre davantage d’initiative, et surtout d’imagination, par rapport à ce qu’on observait lors de la première PNR. L’apprentissage se fait à travers l’expérience, faut-il le répéter. On souhaite donc continuer sur cette voie en simplifiant, et en respectant, le principe de la reddition des comptes, la capacité des milieux à définir eux-mêmes leurs priorités par la meilleure mobilisation de leurs citoyens et, enfin, en finançant des initiatives communautaires liées à l’économie sociale (et solidaire) (Gouvernement du Québec, 2014 : 33-34). Les entrepreneurs du privé n’auront qu’à recourir aux autres politiques mises en oeuvre ; la PNR ne serait pas pour eux, considérant les us et coutumes développés depuis plus d’une décennie en matière de gestion et de coordination de la Politique.

Pour s’assurer de parvenir au mieux aux objectifs définis, le gouvernement a décidé de confier aux MRC la responsabilité de conserver ou d’embaucher des agents de développement rural, qui étaient jusqu’à récemment sous l’égide des CLD.[8] Leur responsabilité consiste à faciliter l’adoption d’une vision par leur MRC tout en participant à la planification, à la mise en oeuvre et au suivi du Pacte rural. En d’autres mots, les MRC auront pour tâche de poursuivre le défi de la mise en place d’une gouvernance synergétique entourant la PNR.

La prochaine section expose les principaux résultats de comparaison entre les trois PNR, relatant des aspects positifs et négatifs, et ce selon le point de vue du directeur général de la MRC. Pour ce faire, nous avons utilisé le réseau de l’Association des directeurs généraux des municipalités régionales de comté comme moyen de communication. Ainsi, un message succinct et précis a été envoyé par les co-auteurs en vue de demander deux choses, sous forme de la question suivante : « Pourriez-vous nommer deux aspects positifs et négatifs des plus pertinents de chaque PNR ? ». Nous avons reçu et compilé 15 réponses pour en arriver finalement à une comparaison entre les 3 PNR.

Analayse comparative

Pour le côté jardin (aspects positifs), on trouve des éléments déjà signalés à la faveur de nos propres évaluations de la première PNR : sensibilisation à l’action collective et apprentissage de l’approche démocratique conduisant à l’adoption d’un plan de développement. Pour la deuxième, on constate la mise en oeuvre de projets davantage structurants, c’est-à-dire qui impliquent la création d’emplois durables. Enfin, avec la troisième PNR, on est mis en présence de « Pactes plus », ce qui signifie un apport financier davantage substantiel et la possibilité d’entreprendre des projets d’une plus grande envergure, et ce, toujours dans un contexte d’une approche démocratique du développement. À partir de ces faits, nous pourrions présager que les formes d’application des PNR associées à une certaine maturité vis-à-vis la gestion de ces programmes publics pourraient favoriser, dans le temps et l’espace, l’émergence de modèles de gouvernance synergique territoriale qui demeureront tributaires de la dynamique du milieu.

Pour le côté cour (aspects négatifs) les deux premières PNR ont montré que la priorité des acteurs locaux a été consacrée à leur communauté immédiate en l’absence d’une conscience territoriale. Chacun a tiré la couverture de son côté. La place consentie aux élus locaux dans le cadre de la troisième PNR fait craindre que ce problème persistera.[9]

Sur la base de ces constats à la fois positifs et négatifs, la PNR, par l’intermédiaire du Pacte rural, s’est façonnée, bonifiée et ajustée en devenant plus exigeante en termes de projets admissibles, de mécanismes de reddition des comptes, etc. Elle demeure tout aussi flexible par son soutien financier « facilement accessible » envers des projets qui devront être structurants (Pactes Plus) si possible prenant appui sur des dynamiques entrepreneuriales collectives. En contexte de gouvernance, les acteurs doivent apprendre à travailler ensemble afin de cibler les vrais enjeux. En conséquence, ils doivent arrimer leurs objectifs et lutter contre toute forme de conflits, inapparents ou apparents, susceptibles d’entraver l’émergence d’une réelle gouvernance synergique territoriale. Ainsi, l’État, l’élu, la société civile et le secteur privé doivent gérer les rapports de force pour en faire des « liens de synergie ».

Conclusion

Nous avons cherché à répondre à la question que nous rappelons ici : la PNR contribue-t-elle à l’émergence d’une gouvernance synergique territoriale ? Considérant que le gouvernement québécois est un acteur capital dans le système de gouvernance des collectivités territoriales, considérant également sa volonté de vouloir décentraliser certaines actions en vue de favoriser l’autonomie décisionnelle et responsabiliser les acteurs locaux, il nous est apparu pertinent de procéder à l’analyse intrinsèque des trois générations de la PNR en prenant en considération les pactes ruraux.

D’emblée, la gouvernance territoriale représente un mode de cogestion qui invite les parties prenantes à concevoir délibérément des arrimages institutionnels, organisationnels et territoriaux renouvelés et originaux afin de mieux conduire des actions publiques, que ce soit au niveau local, régional ou national (Jessop, 1998 ; Jean et Bisson, 2008). Il importe également de tenir compte du fait que cette gouvernance s’impose comme une exigence de la démocratie participative en favorisant la reterritorialisation de l’action publique et la recomposition de l’État. Ces tendances et dynamiques organisationnelles sociales et institutionnelles dans la coordination des actions collectives se rapportent, dans une certaine mesure, à un nouveau mode de cogestion des territoires et des collectivités basé sur le partage des ressources, des expertises et des actifs.

En effet, cette approche de cogestion rattachée à la question de la gouvernance territoriale s’est instituée à travers différents programmes et politiques publiques, dont font partie les pactes ruraux. Nous pensons que cette institutionnalisation ne se réalise vraiment que lorsque les parties prenantes s’engagent véritablement dans des actions reliées à des processus décisionnels collectifs. Et pour ce faire, il importe d’agir en amont, à savoir sur les conditions cadres de la synergie locale. Celle-ci repose sur la capacité des forces vives des milieux (État, secteur privé, société civile et organismes intermédiaires) à jouer leur plein rôle dans le système décisionnel local. De ce fait, la gouvernance synergique peut constituer alors un véritable catalyseur d’une culture entrepreneuriale.

En psychologie sociale et organisationnelle, c’est l’acteur qui doit déterminer son rôle afin de clarifier la façon et l’intention par laquelle il compte se comporter, s’engager, communiquer et soutenir son action dans son milieu de proximité (Torre, 2011). C’est donc par des initiatives individuelles et collectives qu’un territoire parvient à tirer profit de ses forces vives et, ainsi, à renforcer son identité, ses valeurs et ses actifs. L’atteinte d’une gouvernance synergique territoriale requiert un examen approfondi des comportements de tout un chacun, étant donné les influences mutuelles des acteurs et les divergences des intérêts en présence (imaginaires, tacites, explicites).

De manière plus globale et depuis 2003 à aujourd’hui, les gouvernements ont renouvelé et bonifié la PNR à titre d’acteurs engagés dans la gouvernance des collectivités. De leur côté, les milieux concernés se sont investis en vue de fixer des priorités et trouver un consensus dans la répartition des fonds mis à leur disposition. En conséquence, nous pourrions affirmer que les deux principaux acteurs, État et milieux, ont entretenu une forme de relation d’affaires pour mettre en application le Pacte rural.

La création de bases communicantes entre les différents programmes de développement territorial, la connaissance des intérêts du secteur privé, l’examen des ressources et des actifs entourant la gestion des pactes ruraux, etc., seraient autant de pistes futures de recherche à explorer dans l’optique de lever le voile sur d’autres aspects de la planification stratégique des politiques publiques.

En définitive, la PNR représente un véritable programme de soutien financier pour les collectivités dévitalisées. Par contre, beaucoup demeure à faire pour qu’on assiste à l’émergence d’une réelle gouvernance synergique territoriale. Certes, les rôles et responsabilités ont été assumés de part et d’autre selon le contrat convenu entre les milieux et le gouvernement. Cela, par ailleurs, n’est pas suffisant pour statuer sur un véritable chantier de mise sur pied des principes de la gouvernance synergique territoriale, ou même seulement pour l’évoquer.