Note liminaire

Effets d’échelle et cohésion sociale[Record]

  • Paul Villeneuve

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Les courants de pensée qui, en Occident, ont voulu rendre compte de l’ordre social reposent souvent sur une combinaison particulière de trois composantes fondamentales. Il y a d’abord le libéralisme fondé sur la primauté de l’individu, sur la liberté individuelle et la propriété privée. Il y a ensuite le socialisme qui donne préséance à la société et à l’égalité entre ses membres, ainsi qu’à l’État et à la propriété étatique comme véhicule égalitaire. Enfin, un troisième courant, plus difficile à cerner, s’insère en quelque sorte entre les deux premiers. Il met l’accent sur la communauté et voit souvent la société comme étant composée, d’abord, de communautés plutôt que d’individus. C’est le cas du « solidarisme », mouvement dans lequel Durkheim fut actif, qui chercha en France, à la fin du XIXe siècle, à contrebalancer le libéralisme et le socialisme (Jenson, 1998). Ces grands courants d’idées sociopolitiques se fondent le plus souvent sur des théories sociales. Pour sa part, le solidarisme, ou communautarisme, s’appuie sur la notion de « cohésion sociale ». Pour Durkheim, la cohésion sociale était une « variable intervenante », c’est-à-dire le facteur non explicite dans une statistique, mais dont on pressent l’effet, et pour lequel il faut trouver un « indicateur révélateur mesurable » (Grawitz, 1981 : 108). Un siècle plus tard, la notion de cohésion sociale reste floue, ce qui n’empêche pas – certains pensent même le contraire – le discours politique d’y faire abondamment référence (Saint-Martin, 2000). Ceci est le cas d’un domaine de la politique qui concerne tout particulièrement la géographie, c’est-à-dire l’aménagement du territoire (Bodiguel et Fialaire, 2002). Par exemple, lors des Entretiens internationaux de l’aménagement et du développement des territoires, tenus à Paris en janvier 2003, on a voulu « approfondir l’analyse des partenariats qui fondent la cohésion d’un territoire et étudier le rôle de la région, en tant qu’intermédiaire entre l’État et le territoire local, dans la promotion des dynamiques de coopération entre les acteurs territoriaux ». L’idée de cohésion territoriale accompagne donc celles de partenariat et de coopération, deux pratiques associées à la cohésion sociale. Ceci ne rappelle-t-il pas un autre rapprochement, familier aux tenants de la géographie et de l’écologie humaine, entre « espace social » et « espace physique »? Le regain d’intérêt pour les villes et les régions, comme lieux où peut être mis en oeuvre un certain développement venant de la base, semble s’appuyer sur une supposition selon laquelle la cohésion sociale est plus facilement réalisable à cette échelle qu’à l’échelle nationale. Cette supposition est-elle fondée? Ou, au contraire, le volontarisme, aujourd’hui, du discours localiste et régionaliste ne réagit-il pas plutôt aux incertitudes que laisse planer la mondialisation sur la capacité des pays, des villes et des régions à tirer leur épingle du jeu? Ces questions sont à l’origine du présent numéro des Cahiers de géographie du Québec. En un certain sens, la notion de cohésion sociale interpelle ceux parmi les géographes qui mettent au centre de leurs préoccupations une autre notion aux contours flous, celle de « région ». Au terme d’une étude incisive sur la notion de région en géographie, Laurent Deshaies (1994 : 53) conclut, et encore de façon non définitive, qu’au moins, on s’entend pour admettre « qu’il y a des phénomènes régionaux, c’est-à-dire d’échelle moyenne ». Nous voici donc devant deux notions vagues, celles de cohésion sociale et de région. Comment avancer sur ce terrain mouvant? Il y a quelques décennies, la consigne aurait été  : définissez vos termes! Aujourd’hui, pour les adeptes d’une démarche relationnelle, la consigne est plutôt : explorez les liens entre vos termes! Les articles …

Appendices