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Vingt-cinq articles sont réunis sous ce titre; cet ouvrage collectif a vu le jour après une longue gestation, notamment un atelier en 1993 sur la perception, la prévision et la manipulation du climat. Cette « anthropologie du climat » – pourquoi pas « ethnoclima-tologie », terme qui existe déjà – embrasse un vaste domaine qui s’étend des relations entre la météorologie empirique et scientifique jusqu’aux tentatives de maîtrise des éléments, en passant par les calendriers agroclimatiques traditionnels et la perception du climat.

Cette dernière débute par les sensations à la fois banales et singulières ressenties par tout enfant plongé dans un milieu dont le soleil, le vent, la pluie… font partie; cette relation qui l’a façonné ne s’oublie jamais; cependant, les nouveautés du monde technique actuel et les modifications de l’environnement, bien plus rapides que celles de la Nature, s’ajoutent aux effets de l’âge et font naître la croyance que « décidément, le climat n’est plus ce qu’il était ». S’ensuit une crainte que notre action ne change la Terre; elle se combine avec la peur toujours présente des extrêmes naturels; et la nécessité de les calmer ou de s’en protéger, serait-ce avec des incantations, est une des origines du développement des sciences et du prestige de ceux qui savent leur donner du pouvoir. D’où surgit une longue théorie de magiciens et de chamanes, suivis par les prêtres de l’Europe médiévale, les savants de la météorologie déterministe du XIXe siècle… et les experts internationaux du réchauffement climatique. Qu’il s’agisse de calmer la colère des dieux et les égarements des humains, la catastrophe présente ou future est toujours invoquée pour confier l’ordre du monde à « ceux qui savent ».

Déjà les philosophes grecs réservaient à leur pays la meilleure place climatique, le « plus meilleur pays du monde » en quelque sorte : ailleurs, chez les barbares, il faisait soit trop chaud, conditions débilitantes, soit trop froid, ce qui exige trop d’efforts pour survivre. Ces théories déterministes reprises périodiquement de Platon à Montesquieu et Huntingdon nous amènent à penser, en glissant de l’espace à la durée, que le climat actuel qui aurait favorisé nos civilisations serait le meilleur possible, la norme. Et que s’en écarter trop vite nous conduirait nécessairement vers de dangereux hasards et le Déluge.

L’exemple des « neiges en Margeride » témoigne de cet attachement à sa Nature, à ce patrimoine commun dans lequel les habitants des hauts plateaux du Massif central français se reconnaissent. Certes, c’est une épreuve que ce long hiver, mais quelle fierté d’y avoir survécu une année de plus et de pouvoir raconter les « tourmentes passées » ! Climat idéal que l’hiver au Québec? Ou patrimoine commun qu’on refuse d’échanger?

Ces « cultures météorologiques » ont été reconnues, façonnées, codifiées et popularisées par les almanachs issus des sociétés savantes; ils ont remplacé les « riches heures » de la Renaissance et sont construits à partir d’un mélange de traditions locales, puis ont progressivement accordé une place plus grande aux observations météorologiques continues dont l’idée n’a pas été acceptée d’emblée; car « accumuler (des données) pendant de longues années pour qu’il [l’observateur] puisse espérer savourer lui-même le fruit de ses labeurs… même si l’espoir que les générations futures sauront en tirer quelque profit fait toute sa joie », ne semblait pas très glorifiant. Que dire d’aujourd’hui où seules sont reconnues les publications rapides, style « Nature » ou les extrapolations informatiques sur le climat du prochain siècle, aux dépens des recherches qui exigent la durée?

Les calendriers climatiques existent dans la plupart des civilisations agraires rythmées par des pauses où coïncident saisons astronomiques, travail agricole et rites religieux. Un exemple amusant est celui de Saint-Gaudérique, protecteur contre les crues des rivières, fêté le 16 octobre dans les Pyrénées catalanes, date qui se situe au milieu d’une singularité climatique, à savoir un maximum d’orages à la mi-octobre.

La presse quotidienne est un bon indicateur de la perception des phénomènes par le public et des messages de changements qui lui sont livrés. Le seul article consacré aux attitudes contemporaines en face des avertissements planétaires de Rio à Kyoto parle de confusion, de scepticisme, de fatalisme des gens et de « manque de sophistication des mesures locales qui contraste avec les moyens de la recherche planétaire ». Dédain pour les lieux où vivent les gens.

Il est impossible de rendre compte de tous les articles qui figurent dans ce livre et les quelques lignes écrites plus haut ne donnent qu’une idée partielle et subjective du contenu. Beaucoup d’histoires passionnantes à lire avec plaisir, mais un regret. L’ethnoclimatologie semble se restreindre à l’analyse de sociétés traditionnelles plus ou moins en voie de disparition, alors que le champ immense des perceptions actuelles, en particulier leur évolution avec l’urbanisation et la diffusion de l’information, reste négligé. Le lecteur attend une suite à cet ouvrage, consacrée cette fois aux attitudes contemporaines.