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Quatorze textes de quatorze auteurs pour nous parler de géographie et de littérature. Pas tout à fait. Pour nous parler d’une possible rencontre entre la géographie et la littérature. La chose n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît au premier abord. La géographie, cela tient presque du sens commun, ce n’est pas de la littérature. Le géographe sérieux se sent d’ailleurs mal à l’aise lorsqu’il s’agit de parler de littérature qui, par définition, se nourrit d’imaginaire et porte l’étendard d’un souci esthétique. La vérité d’une oeuvre littéraire est avant tout dans sa beauté. Or, il n’y a rien d’imaginaire en géographie qui est une science se logeant, selon l’expression d’un géographe de l’entre-deux-guerres, « au ras des pâquerettes » (Georges Chabot). La géographie, selon l’assentiment général, consiste à recueillir des faits – ou de l’information – sur le monde, à ordonner ces faits de préférence sur des cartes et à rédiger un rapport. Les bons textes géographiques sont d’une écriture sobre, neutre, blanche, anonyme, asexuée. Dire qu’un géographe est un « littéraire » ou un « écrivain », c’est grandement nuire à sa carrière.

Quel cliché aussi réducteur que répandu! Le recueil de textes que nous avons entre les mains se veut justement une sorte de mise en tutelle – provisoire ou permanente? – de ce cliché par une ouverture au dialogue : « L’enjeu principal de ce recueil de textes, écrit-on en préface et en quatrième de couverture, est d’amorcer un dialogue entre géographes et littéraires, de mettre en place les conditions favorables à un échange interdisciplinaire ayant pour but d’explorer le rapport à l’espace et de permettre à deux perspectives tout à fait différentes de se croiser ». Il faut croire que le recrutement de littéraires désireux « d’amorcer un dialogue » avec les géographes a été plus facile que le recrutement des géographes brûlant d’envie d’ouvrir ce dialogue, puisque onze des quatorze participants à ce travail collectif se définissent comme des littéraires au sens large du terme. Est-là le signe inavouable d’un désintérêt chez les géographes envers la culture littéraire? Je n’ose pour l’instant envisager une hypothèse aussi spécieuse.

Il n’est pas question d’entreprendre ici une présentation et un examen critique de chacune des contributions de ce recueil. Je me contenterai de signaler quelques textes qui m’ont particulièrement intéressé et qui valent à eux seuls la fréquentation de l’ouvrage. Signalons d’abord le texte introductif de Marc Brosseau; il s’agit d’une synthèse admirable , qui nous donne une toile de fond pour juger des rapports entre la géographie et la littérature, qui expose les espoirs et les difficultés de tels rapports. Le texte de Jean Morisset, dont le double titre est quelque peu énigmatique, m’a littéralement ravi. Ce sont pour moi les pages les plus belles, les plus signifiantes et les plus pertinentes de tout le recueil. Moi, le sédentaire rabougri, qui ne connaît rien du Nord et guère plus du Sud, je me suis laissé transporté comme par magie par ce long poème géographique. C’est tout de même étrange que les plus belles pages de ce collectif aient été écrites par un géographe. En disant cela, je ne veux d’aucune manière déprécier les mérites intrinsèques des autres écrits, mais le texte de Morisset me semble celui qui réussit le mieux cette sorte de symbiose recherchée entre la littérature et la géographie. Il nous prouve en marchant la possibilité du mouvement.

Je souhaite en terminant saluer la belle présentation de l’ouvrage des Éditions Nota bene : la couverture cartonnée sobre et élégante, le blanc naturel des feuillets.