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Introduction

La mise en oeuvre des principes de durabilité dans nos systèmes alimentaires fait l’objet de fortes interrogations depuis quelques années (Gliessman, 2007). Si le système alimentaire « conventionnel » a fait la preuve de son efficacité productive dans un contexte de ressources pétrolières abondantes, sa fragilité économique et ses effets négatifs sur l’emploi et l’environnement sont aujourd’hui largement mis en question (Pretty, 1998 ; Hendrickson et Hefferman, 2002 ; Rastoin et Ghersi, 2010). De moins en moins régulé et de plus en plus financiarisé, il est peu résistant aux chocs conjoncturels. Intensif et concentré, il génère – comme le rappelle le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation des Nations Unies (De Schutter, 2010) – de multiples externalités environnementales (érosion des sols, pollution des eaux, pertes de biodiversité) et sociales (appauvrissement des agriculteurs, disparition des exploitations familiales, déstructuration des communautés villageoises).

Dans ce contexte, on observe un foisonnement d’initiatives autour des circuits courts alimentaires (Goodman, 2004 ; Wiskerke et van der Ploeg, 2004 ; Maye et al., 2007), circuits que nous nommerons ici « circuits de proximité », la proximité étant définie selon une double entrée : géographique et relationnelle (Praly et al., 2009). En France, ces circuits bénéficient d’une excellente image, la relation directe avec le producteur étant vécue comme une garantie de qualité, cela même en l’absence de tout signe officiel (Mundler, 2007 ; Maréchal, 2008).

Sur le plan scientifique, ces formes de distribution sont étudiées comme solutions de rechange aux modèles de production et de consommation de produits standard insérés dans des filières agroindustrielles et soutenus par les politiques agricoles (Hinrichs, 2000 ; Lyson, 2004 ; Watts et al., 2005 ; Maye et al., 2007). Même si cela reste très discuté (Ilbery et Maye, 2005), on prête à ces circuits de nombreux effets positifs en termes de durabilité : économiques grâce à une meilleure redistribution de la plus-value aux agriculteurs et la relocalisation des flux économiques (Chiffoleau, 2008 ; Maye, et al., 2007) ; sociaux par le développement de formes commerciales plus équitables permettant de renouveler les liens entre les villes et les campagnes (Lyson, 2004 ; Lamine, 2008 ; Chazoule et Lambert, 2011) ; environnementaux par leurs capacités à mieux préserver les ressources naturelles (Renting et al., 2003 ; Deverre et Lamine, 2010 ; Duram et Oberholtzer, 2010).

Sur le plan environnemental, les auteurs de nombreux travaux s’interrogent sur la contribution des circuits courts à la réduction de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES) (Pirog et al., 2001 ; Mariola, 2008 ; Redlingshöfer, 2008). En effet, leur performance varie en fonction des volumes de production, des kilomètres alimentaires parcourus, du trajet de retour à plein ou à vide et du type de carburant utilisé (Redlingshöfer, 2008). Sur ce point précis, les débats sont vifs. Si la plupart des auteurs s’accordent sur la nature des leviers d’optimisation possibles (Wallgren, 2006 ; Van Hauwermeiren et al., 2007), certains concluent que le bilan énergétique de la distribution des produits en circuit court est fortement pénalisé par une faible optimisation structurelle de la logistique (Schlich et Fleissner, 2005 ; Schlich et al., 2006 ; Edwards-Jones et al., 2008 ; Rizet et al., 2008 ; Coley et al., 2009), alors que d’autres considèrent que la réduction des distances de transport et du nombre d’intermédiaires permet de réduire considérablement les impacts environnementaux et les coûts qui leur sont associés (Jungbluth et Demmeler, 2005 ; Pretty et al., 2005 ; Jarosz, 2008 ; Pimentel et al., 2008).

De telles différences d’analyse peuvent-elles être expliquées ? La mesure des dépenses énergétiques des circuits de distribution alimentaire présente de nombreuses difficultés méthodologiques : quel périmètre d’observation, quelles unités de mesure, quelles dépenses énergétiques retenir ? Comment comparer des situations variées ? Selon les choix effectués, les résultats apparaîtront très différents, tantôt à l’avantage des circuits courts, tantôt en leur net désavantage.

Cet article a pour objectif d’éclairer la façon dont les questions relatives à l’efficacité énergétique des différents modes de distribution peuvent être analysées. Après une mise en perspective méthodologique des travaux disponibles sur cette question, nous montrerons que seule l’observation fine des comportements réels des acteurs, producteurs, intermédiaires et consommateurs permet d’appréhender les avantages et inconvénients de chaque mode de distribution. En nous appuyant sur une méthode mise au point par Rizet et al. (2008) et développée par Rumpus (2010), pour mesurer l’efficacité énergétique d’une forme spécifique de circuits courts (les systèmes de paniers), nous montrerons que les acteurs des circuits courts observés s’efforcent d’optimiser l’impact énergétique de leur approvisionnement alimentaire. Ces efforts d’organisation locaux ou à l’échelle de petits réseaux territoriaux améliorent sensiblement l’efficacité énergétique des circuits de proximité, mais ils restent ignorés des études reposant sur des moyennes qui ne tiennent pas compte des pratiques spatiales concrètes des acteurs [1].

Efficacité énergétique des circuits courts de distribution alimentaire. Approches méthodologiques

Le bilan de la littérature existante montre que cohabitent deux types de travaux concernant l’efficacité énergétique des circuits de distribution alimentaire. Les premiers postulent que la réduction des distances parcourues par les aliments entraîne mécaniquement une diminution de la dépense d’énergie attribuable aux transports. Les seconds reposent en revanche sur des études de cas : certains s’appuient sur des scénarios types, d’autres sur des mesures réelles ; certains étudient l’impact de la provenance du produit sans différencier les modes de commercialisation, d’autres se focalisent sur les modes de mise en marché.

Dans le premier groupe, un lien théorique est établi entre réduction des distances parcourues par les aliments et diminution de la dépense d’énergie attribuable aux transports (Gilg et Battershill, 2000 ; Jarosz, 2008 ; Pimentel et al., 2008). Les défenseurs d’une telle approche s’appuient souvent sur la notion de food miles, proposée notamment par Pirog (2004). Or, si ce dernier défend le potentiel d’illustration de cette notion auprès du consommateur concernant différentes qualités du produit (sa fraîcheur, son goût), il n’entend pas prouver par cet indicateur une moindre dépense énergétique des circuits locaux. En effet, comme le remarquent plusieurs auteurs (Saunders et al., 2006 ; Mila i Canals et al., 2007 ; Mariola, 2008), le nombre de kilomètres parcourus par les aliments ne permet pas de tenir compte du fait que le commerce local met sur les routes quantité de petits véhicules transportant peu de volume et dont le bilan carburant consommé  /  volume transporté n’est pas forcément bon. Par ailleurs, la distribution locale des produits a autant besoin des infrastructures de transport que la distribution sur longue distance.

Ces débats sont illustrés par les travaux du second groupe, qui aboutissent à des analyses contrastées traduisant le poids des choix méthodologiques concernant les mesures effectuées. Ainsi, certains auteurs mettent en avant la forte influence du dernier kilomètre, soit le trajet des consommateurs, sur l’efficacité énergétique (Van Hauwermeirn et al., 2007 ; Davis et Sonesson, 2008) tandis que d’autres, comparant des chaînes d’approvisionnement à différentes échelles (nationale, européenne ou internationale), concluent à l’importance des activités de transport, d’emballage et de stockage, dans le cas des chaînes d’approvisionnement internationales (Sim et al., 2007). De même, l’étude de Pretty et al. (2005), reposant sur la mesure de l’ensemble des externalités attribuables au Système alimentaire en Grande-Bretagne, conclut qu’une variété de mesures favorisant l’approvisionnement local permettrait de réduire les coûts environnementaux. Ces travaux conduisent donc à considérer que la réduction des kilomètres alimentaires (lors du transport en amont des points de distribution ou lors des trajets des consommateurs) permet l’amélioration de l’efficacité énergétique de la distribution et la réduction des émissions de GES.

Pourtant, d’autres travaux parviennent à des conclusions opposées et remettent en cause les bénéfices supposés de la proximité géographique. C’est notamment le cas des travaux conduits par Schlich et al. (2005, 2006) sur l’évaluation énergétique de l’approvisionnement alimentaire. Les auteurs y présentent des résultats concernant la consommation énergétique de trois produits alimentaires (jus de fruit, vin et viande d’agneau) en comparant, pour chacun, des chaînes d’approvisionnement régionales et mondiales. Cette recherche met en lumière l’influence positive qu’aurait la concentration (de la production, du transport) sur la moindre consommation d’énergie finale par unité produite ou transportée. Une analogie est ainsi faite avec les règles d’économie d’échelle pour mettre en avant le principe « d’écologie d’échelle », principe confirmé dans certaines analyses de cycle de vie (Poritosh et al., 2009). Les résultats sont sans appel : la consommation d’énergie finale spécifique est plus importante dans le cas des productions régionales à cause de l’efficacité respective de chaque mode de transport : camionnette (estimation de 200 kg transportés) versus transport maritime en porte-conteneurs et poids lourds transportant de grandes quantités (20 000 kg / conteneur et 1 conteneur / poids lourd). Ces travaux ont suscité de nombreux commentaires (Jungbluth et Demmeler, 2005). Leurs principales limites concernent la non-prise en compte du trajet du consommateur et l’adoption de standards pour chaque mode de transport qui ne tiennent pas compte des pratiques réelles des acteurs (des producteurs aux consommateurs en passant par tous les intervenants des chaînes logistiques).

Les études de Walgren (2006), de Van Hauwermeiren et al. (2007) et de Coley et al. (2009) apportent des éclairages complémentaires en montrant les conditions dans lesquelles les systèmes de distribution de masse sont moins énergivores que les systèmes de distribution plus locaux. Ces trois études comparent des systèmes de distribution locaux (marchés fermiers, vente à la ferme, fourniture de paniers) en s’appuyant soit sur des mesures issues d’enquêtes, soit sur des analyses de cycle de vie disponibles dans la littérature. Compte tenu des différences de méthodes, on ne peut guère comparer les résultats, mais il est possible de noter des convergences concernant la nécessité de réexaminer les avantages énergétiques supposés du « localisme » dans le secteur alimentaire, même si les auteurs soulignent par ailleurs la complexité de ces mesures et les potentiels d’amélioration des systèmes locaux de distribution alimentaire.

Citons enfin l’étude menée par Rizet et al. (2008) concernant l’analyse énergétique des chaînes logistiques dans divers systèmes de distribution de fruits et légumes (tomate et pomme). Les auteurs comparent différentes chaînes logistiques d’approvisionnement en tenant compte de l’origine des produits et des modes de distribution. Les chaînes logistiques sont reconstituées et diverses formes de distribution en circuits longs (hypermarchés, supermarchés, superettes) ou en circuits courts (vente à la ferme, marchés de plein air et paniers) sont étudiées en prenant en compte les trajets des consommateurs. Ces travaux montrent que les circuits courts sont pénalisés par les faibles quantités vendues malgré les petites distances parcourues.

Toutes ces études de cas convergent donc vers une remise en cause de l’avantage supposé de la proximité en termes d’efficacité énergétique de la distribution alimentaire. Il faut toutefois noter plusieurs limites à ces études. Hormis celle de Rizet et al. (2008), elles ne tiennent pas compte des motifs réels de déplacement des individus (que ceux-ci soient producteurs ou consommateurs) et négligent les pratiques spatiales concrètes des acteurs dans leurs déplacements.

Une étude de cas : les diverses formes de distribution de paniers en région Rhone-Alpes

Depuis quelques années, la vente au consommateur de paniers de produits agricoles s’est fortement développée en région Rhône-Alpes, comme dans le reste de la France. Parmi ces systèmes, les AMAP (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne) sont les plus connues. Une AMAP est une association dans laquelle, en début de saison, chaque consommateur s’engage par contrat, auprès d’un producteur à acheter une part de la production qui lui est livrée périodiquement à un prix constant. Les AMAP ont connu un développement spectaculaire en région Rhône-Alpes, passant de 4 AMAP à la fin de 2004 à 214 en octobre 2010. Elles représentent 10 700 familles et environ 300 agriculteurs partenaires (Mundler et Audras, 2010). Ces systèmes sont présents dans de nombreux pays : Teikei au Japon (Amemiya, 2007), Community Supported Agriculture (CSA) aux États-Unis (Cooley et Lass, 1998 ; Hinrichs, 2000), Agriculture soutenue par la communauté (ACS) au Canada (Hunter, 2000). On trouve également des mouvements comparables en Grande-Bretagne, en Suède, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou encore au Brésil.

Mais les AMAP ne sont pas les seules formes de vente par système de paniers en France. Les premiers ont été les jardins de Cocagne, associations d’insertion par le travail qui commercialisent des paniers en Rhône-Alpes depuis 1991. Par ailleurs, d’autres systèmes se sont développés au cours des dernières années : des systèmes coopératifs [2], comme la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Alter-Conso qui commercialise plus de 1800 paniers à 700 adhérents chaque semaine, distribués dans 14 lieux différents de la région lyonnaise, ainsi que des systèmes entrepreneuriaux, avec un intermédiaire qui achète aux agriculteurs et commercialise sous forme de paniers, avec ou sans abonnement.

Notre étude a porté sur des exemples représentant ces quatre systèmes de paniers : deux systèmes avec intermédiaire, l’un de type entreprise (les Paniers de Martin) et l’autre de type coopératif (Alter-Conso) ; un Jardin d’insertion (Jardin d’Avenir) et des AMAP urbaines et périurbaines (8 AMAP étudiées).

Évaluer l’efficacité énergétique de la distribution consiste à déterminer l’énergie dépensée en vue d’acheminer une unité de produit depuis la sortie des exploitations agricoles jusqu’au domicile des consommateurs. Notre approche se fonde donc sur la reconstitution de la circulation des produits au sein de chacun des systèmes de paniers étudiés. Pour chaque système étudié, nous avons conduit des enquêtes directes auprès des acteurs (producteurs, intermédiaires et consommateurs) afin de mesurer avec précision les dépenses énergétiques liées à l’acheminement des paniers. À noter que, dans le cas particulier de la SCIC Alter-Conso, un producteur est systématiquement présent à chaque distribution. Ces permanences engendrent des déplacements supplémentaires qu’il a également fallu prendre en considération dans le calcul de la dépense énergétique. Le tableau 1 présente pour chaque système les effectifs de producteurs, clients et salariés auprès de qui l’enquête a été effectuée afin de reconstituer les chaînes logistiques.

Tableau 1

Enquêtes réalisées pour chaque mode de distribution

Enquêtes réalisées pour chaque mode de distribution

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L’unité choisie pour mesurer l’efficacité énergétique (EE) est le gramme équivalent pétrole (gep) par euro de fruits et légumes (prix payé par le consommateur). Cette unité se traduit comme suit : acheminer un euro de produit depuis la sortie d’une exploitation jusqu’au domicile du consommateur représente une dépense d’énergie de tant de gep / euro. Des facteurs de conversion permettent de convertir les différentes formes d’énergie en gep. Trois postes ont été évalués :

  • Stockage entrepôt et magasin (dans le cas des systèmes avec intermédiaire). Ces dépenses liées au stockage correspondent aux consommations électriques et de chauffage annuelles d’une plateforme ou d’un point de vente. Pour effectuer ce calcul, nous avons utilisé la même méthode que celle utilisée par Rizet et al. (2008) : ces consommations ont été rapportées à la surface utilisée pour le stockage des fruits et légumes. Ces consommations ont ensuite été converties en gep (voir facteurs de conversion en annexe 1) puis rapportées au chiffre d’affaire annuel du point de vente ou de la plateforme.

  • Transport des produits de la sortie de l’exploitation jusqu’au consommateur. Le calcul de la consommation d’énergie a été réalisé sur la base de la consommation moyenne du type de véhicule utilisé (voiture citadine, fourgonnette, berline ou monocorps, 4x4 et fourgon), du carburant (essence ou diesel) ainsi que de la distance parcourue. À partir de valeurs moyennes de consommation et des distances parcourues (aller-retour), la consommation de carburant a été déterminée et convertie en gep. Nous avons par ailleurs pris en compte les différents motifs de déplacement, la consommation d’énergie étant divisée par le nombre de motifs si un motif n’apparaissait pas comme principal. Ainsi, lorsqu’un consommateur prend son panier sur son lieu de travail, nous avons considéré que le motif principal de déplacement était lié au déplacement professionnel. En revanche, lorsqu’il effectue différentes courses (dont le panier), toutes les raisons de se déplacer ont été prises en compte et la consommation globale du déplacement a été divisée par le nombre de motifs de déplacement.

  • La formule permettant d’expliciter le calcul de l’efficacité énergétique (EE), mesurée en gep / euro du transport est la suivante : EE= ((D*Cmoy*Fc) / V) / n, où :

    • D = distance parcourue, cette distance devant être déterminée en fonction de chaque cas (livraison + retour lorsqu’il y a retour à vide, détour effectué par le consommateur pour effectuer ses achats, etc.)

    • Cmoy = consommation moyenne du véhicule

    • Fc = facteur de conversion des carburants [3]

    • V = valeur totale du chargement (tous produits confondus)

    • n = nombre de motifs de déplacement

  • Trajets des consommateurs (selon les mêmes modalités que pour les producteurs).

Dans tous les cas, la consommation d’énergie des modes de transport doux (vélo ou transport en commun) a été considérée comme nulle.

La figure 1 présente, pour exemple [4], la reconstitution de la chaîne logistique de la SCIC Alter-Conso permettant d’acheminer les produits de la sortie des exploitations jusqu’aux points de distribution (trajets effectués par l’association pour collecter et livrer les produits, trajets des producteurs, jusqu’aux points de collecte, etc.). La fréquence des trajets (hebdomadaires ou non) a été prise en compte.

Figure 1

Organisation logistique hebdomadaire du système de distribution Alter-Conso

Organisation logistique hebdomadaire du système de distribution Alter-Conso

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Les résultats obtenus pour les quatre systèmes de paniers sont présentés au tableau 2. On constate que l’efficacité énergétique mesurée dans les différents systèmes de paniers reste assez homogène de 8,6 à 12,5 gep / euro. Les principales différences entre les systèmes de paniers étudiés ici s’expliquent par la localisation des lieux de distribution des paniers. Lorsque ceux-ci se situent en ville (cas des AMAP urbaines et pour une part d’Alter-Conso et des Paniers de Martin), ces lieux sont choisis afin de minimiser les déplacements dédiés. La dépense énergétique consentie en amont pour l’acheminement des livraisons sur les lieux de distribution) est un peu plus élevée, mais elle est plus que compensée par des trajets de consommateurs très réduits, ces derniers privilégiant d’autres modes de transport que la voiture. Dans le cas d’Alter-Conso, au transport des produits proprement dit, s’ajoutent les déplacements des producteurs pour participer à la distribution des paniers.

Tableau 2

Consommation énergétique de chaque mode de distribution étudié en gep/euro

Consommation énergétique de chaque mode de distribution étudié en gep/euro

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Si nous comparons nos résultats avec ceux présentés dans les deux autres études de référence ayant pris en compte les trajets des consommateurs (Rizet et al., 2008 ; Coley et al., 2009), nous constatons que les résultats montrent une bonne efficacité énergétique par rapport aux systèmes de distribution de masse (figure 2). Ils sont comparables à ceux obtenus pour les supermarchés en Île-de-France (produits originaires de France).

Figure 2

Comparaison entre divers systèmes de paniers

Comparaison entre divers systèmes de paniers

Note méthodologique : Afin de réaliser la comparaison des résultats obtenus pour nos études de cas avec ceux de Rizet et al. (2008) et de Coley et al. (2009), certaines adaptations ont été nécessaires:

Les travaux de Rizet et al. utilisent la même méthode de calcul que nous pour mesurer l’efficacité énergétique des déplacements des producteurs et des consommateurs. Pour la prise en compte des déplacements multiples, ils ont considéré qu’un tiers des consommateurs avaient un motif supplémentaire de déplacement. Pour les produits étudiés, ces auteurs ne se focalisent, pour chaque chaîne logistique étudiée, que sur un seul produit en utilisant le gep / kg. Les résultats présentés ici pour les supermarchés proviennent de l’étude de la distribution de tomates (origine Midi-Pyrénées) dans le Limousin et pour celle de tomates d’origine française ou marocaine en Île-de-France. Dans le cas du Panier paysan, les auteurs se sont aussi concentrés sur le cas de la tomate. Afin d’effectuer la conversion en gep / euro, nous avons considéré un prix de 2,5 euros / kg de tomates.

Les résultats de Coley et al. (2009) issus de l’étude d’un système de distribution de paniers de masse (Riverford Organics), s’expriment quant à eux en kWh / caisse de fruits et légumes. La conversion a donc porté dans un premier temps sur l’unité énergétique, en se fondant sur l’équivalence énergétique des kWh, électriques et non électriques, en gep. Puis, à partir des informations disponibles sur le site Internet du système de paniers étudié (13 paniers possibles allant de 6,95 à 22, 95 livres sterling), nous avons établi le prix moyen d’un panier à 15 euros. À noter que le mode de calcul des transports des consommateurs dans cette étude est théorique, puisque ces auteurs ont mesuré le trajet maximum que devraient faire les consommateurs en allant s’approvisionner en direct auprès d’un producteur pour que leur déplacement soit plus économe sur le plan énergétique que le système de distribution de masse. Dans ce cas, un seul motif de déplacement est postulé pour les consommateurs.

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Ces résultats s’expliquent pour différentes raisons. Il faut d’abord souligner que le système de paniers étudié par Rizet et al. (2008) se situe en milieu rural de faible densité. Les producteurs sont donc pénalisés par l’isolement géographique de leur exploitation. Pour le reste, nos résultats se caractérisent par le fait que, contrairement à la plupart des travaux qui concluent à la mauvaise performance des circuits de proximité, nous avons tenu compte des pratiques réelles des acteurs sur deux plans. Le premier concerne l’organisation des déplacements. De nombreux petits arrangements permis par la proximité relationnelle ont des impacts directs sur l’efficacité énergétique de la distribution des paniers : producteurs mutualisant certains trajets, consommateurs s’organisant pour récupérer les paniers à tour de rôle ou pratiquant le covoiturage, lieux de distribution choisis de façon à minimiser les transports, sélection des consommateurs (dans une AMAP) en fonction de la distance qui les sépare du lieu de distribution. Le second concerne les motifs réels de déplacement, qui ne sont pas pris en compte de manière précise dans les travaux cités. Or, là encore, l’observation des pratiques montre que les producteurs, comme les consommateurs, organisent quand ils le peuvent leurs déplacements de façon à ce qu’ils répondent à plusieurs objectifs de façon simultanée. La situation fréquemment rencontrée concerne les récupérations de paniers faites par les consommateurs sur le trajet domicile-travail (nous n’avons, dans ce cas, compté que les trajets correspondant à l’éventuel détour occasionné par la récupération des paniers). Les producteurs eux-mêmes peuvent avoir diverses activités sur leurs trajets de livraison (courses, visites de fournisseurs).

Conclusion

Une comparaison a été faite entre les dépenses énergétiques de plusieurs systèmes de paniers et la mesure de l’efficacité énergétique des systèmes de distribution alimentaire. Alors que plusieurs travaux récents remettent en cause la performance énergétique du « consommer local », du fait des faibles quantités transportées, notre recherche montre que les systèmes de distribution par paniers étudiés en région Rhône-Alpes obtiennent une efficacité énergétique équivalente, voire meilleure, que celle observée dans les systèmes de distribution de masse.

Les différences entre nos résultats et ceux obtenus dans les autres travaux ont principalement deux origines. La première – et cela est sans doute une limite de notre recherche – concerne le territoire sur lequel a été conduite l’étude. La ville de Lyon, capitale de la région Rhône-Alpes se caractérise par un habitat assez dense et une ceinture d’exploitations agricoles pratiquant la vente directe dans sa proximité géographique immédiate. Ce contexte est donc favorable à la distribution locale de produits alimentaires en circuits courts, et il serait intéressant de pouvoir conduire la même recherche dans une agglomération urbaine ne bénéficiant pas de cette proximité avec des zones agricoles. La seconde est méthodologique. L’observation fine des pratiques réelles des acteurs – producteurs ou consommateurs – montre différents arrangements (mutualisation des transports et pluralité des motifs de déplacement pour un même trajet) qui invitent à mieux analyser comment ces acteurs collaborent de façon à optimiser les dépenses énergétiques relatives à la distribution des produits alimentaires au sein de ces circuits de proximité.

Sur le plan méthodologique, d’autres paramètres devraient être pris en compte. Vendre en direct des fruits et légumes nécessite souvent d’avoir, sur l’exploitation agricole, des moyens de stockage frigorifique. Cette dépense énergétique n’est jamais prise en compte dans les études que nous avons analysées, ce qui explique que nous n’en n’avons pas tenu compte dans nos comparaisons. Nous avons toutefois récolté les données permettant de les intégrer dans nos mesures. La présence de chambres froides dans les exploitations agricoles augmente les gep / euro des produits livrés de 4,9 à 6,7 gep selon le système de paniers étudié. Cet écart peut monter jusqu’à 50 gep pour un producteur arboricole pris isolément.

Un autre point jamais pris en compte concerne les déplacements des salariés des structures intermédiaires de distribution. Cela pénalise directement les systèmes de vente directe dans lesquels les producteurs assument également la fonction commerciale (Van Hauwermeiren et al., 2007). Selon nos calculs, la prise en compte de ces déplacements augmente la dépense énergétique de 0 (cas de la SCIC Alter-Conso dans laquelle les salariés utilisent les transports en commun) à 3,5 gep / euro de fruits et légumes (cas des Paniers de Martin). Des travaux futurs devraient prendre en compte cette dimension, car nous pouvons postuler que les circuits plus longs, faisant circuler les produits d’un point de rassemblement à un autre avant d’être mis en rayon, entraînent de nombreux déplacements autour de chaque point (plate-forme, magasin) venant tempérer l’efficacité du transport des produits.

Il faut enfin souligner que l’efficacité énergétique de la distribution des produits alimentaires n’est pas le seul critère de durabilité que prennent en compte, en commun, les acteurs des circuits de proximité. La relation directe entre producteur et consommateur, la convivialité du mode de distribution, l’emploi créé et les pratiques agricoles induites par cette proximité sont autant de phénomènes qui comptent lorsque la durabilité est examinée dans sa globalité. On peut même évoquer, en clin d’oeil aux débats sur la multifonctionnalité des territoires, la multifonctionnalité de certaines pratiques d’achat. Ainsi, même si nous ne l’avons pas pris en compte comme un motif de déplacement supplémentaire, plusieurs consommateurs allant chercher leur panier directement au Jardin d’insertion ont souligné que ce déplacement est aussi pour eux l’occasion de visiter l’exploitation en famille et de rencontrer le personnel de la ferme qu’ils soutiennent par leurs achats.

L’inhumanité de la grande distribution et sa position dominante sur le plan économique sont de plus en plus souvent pointées (Moati, 2010). À cet égard, consommateurs et producteurs ont parfois à arbitrer entre différents coûts. Ainsi, comme nous l’avons rapidement expliqué, les acteurs de la SCIC Alter-Conso ont inscrit, dans leur mode de fonctionnement, la présence à chaque distribution d’au moins un producteur afin de favoriser les échanges entre consommateurs et agriculteurs. Ce choix induit des déplacements supplémentaires (qui représentent 2,4 gep / euro supplémentaires attribués ici aux transports du produit). S’ils pénalisent par conséquent l’efficacité énergétique de la distribution des paniers au sein d’Alter-Conso, ils améliorent sa durabilité économique et sociale en favorisant les échanges, ainsi que la fidélisation et l’investissement conjoint des acteurs dans le bon fonctionnement de la coopérative.