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La haie, définie comme un linéaire végétal en bordure de parcelle, et le bocage, défini comme un paysage dont la haie constitue la composante structurante, ont fait l’objet de synthèses classiques en France (Meynier, Flatrès) et en Grande-Bretagne (Hooper, Hopkins) sur des bases cartographiques et descriptives. Sans minimiser ces acquis, il convient d’apprécier à leur juste valeur les dix-huit approches coordonnées et synthétisées par J. Baudry et A. Jouin. Partant d’un inventaire très précis des formes observées dans trois grandes régions (Bretagne pour l’essentiel, mais aussi le Québec et le Champsaur alpin), l’ouvrage envisage, sur la base de méthodes quantitatives appliquées à l’échelle des parcelles et des exploitations, la composition végétale et animale de la haie et surtout ses multiples fonctions. La haie ne matérialise pas seulement une limite de parcelle ou de propriété, elle fournit également du bois d’oeuvre ou de chauffage, protège du vent les cultures et le bétail et porte parfois des fruits. À partir de la recension de ces usages, les auteurs évaluent ce que peut être la gestion des haies (composition végétale et densité) en fonction de la distance par rapport au siège de l’exploitation et de l’usage de la parcelle. Sur un autre plan, l’analyse met en évidence le rôle des haies tant pour le maintien ou l’enrichissement de la biodiversité que dans le filtrage des excès de nitrates ou de pesticides, la lutte contre l’érosion et la régulation des ruissellements diffus. Finalement, « la haie n’est plus une zone d’inculture… mais la bordure d’un champ, une unité gérée en relation avec le champ ». Portée à l’échelle du bocage, l’étude aborde les nouveaux concepts de corridor végétal, de grain paysager et, surtout, d’hétérogénéité, cette dernière caractéristique conditionnant à la fois la biodiversité, l’originalité des paysages et leur rôle dans l’identification des appartenances régionales.

Ce travail novateur a pour contre-partie un certain pointillisme et les auteurs admettent que « les travaux n’ont porté que sur quelques lieux » mais, ajoutent-ils, « les développements méthodologiques et conceptuels permettent d’entreprendre des travaux analogues dans d’autres situations », ces « autres situations » devant d’ailleurs faire l’objet d’un programme de recherche international.

Forts d’une certitude : « il faut aménager, c’est-à-dire penser collectivement le devenir des bocages… dans leur contexte agraire, c’est-à-dire paysage + agriculture + société locale », les auteurs ont produit un plaidoyer convaincant en faveur du maintien ou de la restauration bocagère sans trop insister sur le fait qu’entre 1960 et 1980, 600 000 kilomètres de haies ont été arasés en France, soit la moitié du linéaire total. À l’époque, la haie était accusée de porter trop d’ombre aux cultures, elle constituait un obstacle à la mécanisation et abritait une faune qui proliférait en parasitant les récoltes. On peut regretter qu’aucun de ces contre-arguments n’ait été traité, et que la question du coût du rebocagement n’ait pas fait l’objet d’évaluations. Ces questions ne sont pas neutres et il ne faut pas oublier que les haies du Midwest américain, implantées à l’époque du New Deal, ont pratiquement disparu au nom de la rationalité économique, tout comme disparaissent maintenant les « haies socialistes » de l’Europe de l’Est. Dans cette perspective, la gestion actuelle du bocage correspondrait à une éthique post-moderne soucieuse de développement durable, par opposition à l’éthique productiviste de la période précédente. Les arguments en faveur du bocage s’inscriraient donc dans une nouvelle approche des relations entre société et environnement. D’où l’on peut conclure que dans son évolution, le paysage est le produit du changement social et culturel.