Article body

Si l’étude de la relation entre patrimoine et tourisme était encore sacrilège il y a une dizaine d’années, elle fait aujourd’hui, couramment et heureusement, partie du champ des sciences sociales. Rassemblant des matériaux variés issus de lieux divers considérés par des auteurs aux horizons scientifiques différents, l’ouvrage dirigé par Bourdeau, Gravari-Barbas et Robinson, tout en ciblant particulièrement les sites du patrimoine mondial, s’inscrit dans cette dynamique. Les études qu’il regroupe sont thématisées en trois directions.

La première analyse l’« expérience » touristique à partir de quelques mots clés : l’habiter, l’authentique, l’expérience elle-même vue sous le prisme de ses différentes composantes, la beauté et, finalement, les rencontres et leurs éventuels conflits. La seconde traite des acteurs. L’Organisation des villes du patrimoine mondial, associant élites savantes et urbaines, est l’un d’eux. L’analyse du processus de classement de Porto permet de mettre en lumière les différents intervenants et leurs rôles. La part des chercheurs mérite aussi d’être soulignée, ce qui est fait à partir des exemples chinois décrits. L’importance des « communications » et, dans cette perspective, celle de l’adhésion, ou non, des populations locales est à prendre en considération. À propos de Rhodes, on comprend rapidement comment se constitue une mémoire officielle et comment les groupes sociaux « oubliés » peuvent aussi agir pour se donner une visibilité. Bien sûr, et enfin, l’Unesco méritait une analyse.

La troisième partie travaille le lien entre valeur universelle exceptionnelle et le label, s’il y en a, qui en découle. Cela passe par l’examen des relations entre mondial et local et les reformulations de critères qu’elles impliquent, avec leurs conséquences sur le tourisme. Il est encore possible de suivre les effets du classement sur le financement des programmes de mise en tourisme. L’usage de la « marque », voire du label, est fréquent, mais varie en fonction du temps d’obtention. Plus largement encore, le rôle du patrimoine mondial peut être envisagé du point de vue de son « écologie de la réconciliation », comme c’est le cas en Afrique du Sud où le Table Mountain National Parc est voulu comme outil d’intégration sociale. De son côté, le géotourisme associe le développement touristique au développement durable et fournit l’occasion de nouveaux regards et de nouvelles pratiques. L’analyse d’un programme spécifique, Destin’Action lancé au Lac Saint-Pierre, au Québec, en suggère d’autres encore.

Au total, le livre propose un changement de paradigme, en considérant le tourisme non d’un point de vue extérieur au patrimoine mondial mais comme (p. 12) « un phénomène qui émerge, de manière endogène, par la nature même du Patrimoine mondial ». En évoquant la possibilité du classement de Benidorm (p. 206), la boucle est-elle bouclée ? Et si le tourisme devenait « patrimonialisable » ? Les faits sont clairs. L’ouvrage le confirme, plus qu’il n’innove dans leur(s) interprétation(s)…