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Après un premier numéro sur « L’imaginaire géographique – Entre géographie, langue et littérature », la collection Spatialités, liée au Laboratoire Palois Société, Environnement, Territoire, nous propose son numéro 2, « De l’imaginaire géographique aux géographies de l’imaginaire », un thème en vogue ces récentes années comme en témoigne la 26e édition du Festival international de géographie sur le thème « Les territoires de l’imaginaire – Utopies, représentations, prospectives ». Issu de communications présentées lors d’un colloque à Pau, en 2013, ce volume est organisé en 10 chapitres consacrés à l’espace dans la littérature.

La présentation de Lionel Dupuy explique l’objectif : « Systémiser une réflexion scientifique sur les différentes formes que l’imaginaire géographique peut revêtir dans quelques grandes oeuvres romanesques » (p. 15). Exception faite du premier chapitre « Acquis et ouvertures de la géographie littéraire » par Marc Brosseau, qui dresse une synthèse des travaux géographiques sur la littérature, les autres chapitres ciblent une oeuvre ou un ouvrage : Los pasos perdidos d’Alyo Carpentier, Guyane-Guyanes d’Emmanuel Lézy, Cinq semaines en ballon de Jules Verne, Mistress Branican, livre un peu oublié de Jules Verne, Impresiones y paisages de Federico García Lorca, les oeuvres de Josep Pla, Algérie-El Djazaïr d’Armand Frémont, Les agneaux de l’abîme de Maria Luis Ribeiro et des fragments de textes de Richard Brautigan... On constate la variété et le caractère international des ouvrages choisis. Il ne s’agit donc pas d’un véritable livre, mais de la juxtaposition d’une série d’écrits de géographes sur l’imagination et l’imaginaire spatial.

Dommage que les éditeurs n’aient pas profité de ce recueil pour tenter une synthèse sur l’histoire et les apports de cette géographie à l’évolution de la discipline, de la géographie régionale à la géographie culturelle. En effet, face à la multitude d’approches de cette géographie foisonnante, on peut s’interroger, comme Jean-Yves Puyo dans sa conclusion, sur les causes du déclin de la géographie grand public. « Il faut reconnaître que la discipline est en perte de vitesse » (p. 166)... Mais les causes ne sont pas analysées, dans ce volume, sauf dans cette conclusion ou est émise l’idée que « l’excès d’images a porté un rude coup à l’imaginaire géographique » (p. 171). Il nous semble également que l’éclatement des thèmes et des méthodes, sans véritable référentiel conceptuel, en soit une autre cause. Tous les chapitres méritent notre attention, mais comment les intégrer dans une pensée structurée forte qui donnerait au lecteur une vision attrayante de la géographie postmoderne ?

La plupart des auteurs ne mentionnent pas les géographes de la fin du XXe siècle qui ont ouvert la voie à la géographie littéraire, humaniste et culturelle, exception faite des chapitres I et VIII. Ainsi, Armand Frémont échappe-t-il à l’oubli où sont tombés les Appleyard, Capel, Demageon, Gallais, Lowenthal, Saarinen et même Tuan, sans oublier les chercheurs des sciences sociales qui les ont influencés, Cauquelin, Sansot… Dans « La perception de l’espace urbain » (1977), j’avais tenté de systématiser la perception de la ville dans le roman du XIXe siècle (et dans le roman policier plus récent), à travers axes structurants, schémas logiques, repères, territoires, utilisant ainsi les apports de l’école de Cambridge (Mass.) et proposant des concepts pour la compréhension de la construction littéraire, fondés sur des approches behavioristes. Il semble que, à chaque génération, les chercheurs pensent réinventer une autre géographie, alors que les voies étaient déjà tracées... La redécouverte par l’équipe de Pau de la géographicité des oeuvres de Jules Verne constitue une étape fondamentale dans cette valorisation de notre histoire commune. Espérons qu’elle sera suivie par d’autres étapes pour bâtir une géographie qui puisse motiver les enseignants, les élèves et le grand public.