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L’ouvrage collectif dirigé par Olazabal et Lévy prolonge avec bonheur le colloque qui s’est tenu en mai 2004 dans le cadre du Congrès de l’association francophone pour le savoir. À partir de travaux menés dans plusieurs régions du monde (Espagne, Bulgarie, Cameroun, Bolivie, Brésil, France, Nouvelle-Zélande et Québec) et en se référant à différentes périodes historiques, quinze chercheurs québécois et français abordent l’événement et ses interprétations dans le domaine spécifique de l’anthropologie. Ils s’emploient d’abord par touches successives à théoriser la notion (Lévy et Laplantine) et à en diversifier les approches pour mieux la mettre à l’épreuve. En faisant éclater toute perspective totalisatrice, l’événement remettrait en question les formes d’organisation préétablies et les fondements de la structure. Pour Laplantine qui interroge la preuve, la révélation et le scandale, il se présente même comme un facteur majeur de désorganisation des faits sociaux.

Cinq auteurs (Olazabal, Royet, Muller, Gagné et Saillant) montrent ensuite comment la dynamique et l’interprétation de l’événement se situent à la croisée de la conscience collective, de la mémoire historique et de l’action politique selon une stratégie qui vise à valider les notions contemporaines de solidarité ou d’éthique sociale. Le sauvetage des Juifs de Bulgarie pendant la guerre serait ainsi devenu une sorte de lieu de mémoire permettant d’entériner le principe de tolérance dans la conscience bulgare contemporaine (Royet). En partant d’un cas de non-respect des règles de circoncision suivi d’un feu de brousse chez les Dii du Cameroun septentrional, puis d’une crise dans les relations interpersonnelles chez les Maoris de Nouvelle-Zélande, Muller et Gagné arrivent à des conclusions identiques, mais en utilisant un mode plus descriptif. Le caractère imprévisible de l’événement dans l’action humanitaire est l’occasion pour Saillant d’analyser les effets des techniques télévisuelles et les liens sociaux qui naissent de la réception des images.

Dans la troisième partie consacrée à l’événement dans le monde médical, Guioux et Lasserre se penchent sur l’univers psychiatrique et la maîtrise de l’imprévu tandis que Thöer-Fabre, à partir d’une crise liée à la prescription d’un nouveau traitement, étudie les logiques d’acteurs dans la réinterprétation de l’événement. Si le temps ne peut se résumer à une vision linéaire, ni à une approche cyclique, la pensée de l’événement se situe dans l’interstice, entre la plénitude de l’instant et la régularité de la scansion temporelle.

Les articles qui suivent rendent compte de l’événement migratoire en partant de la rupture (Soarès) ou de diverses formes de recomposition dans un contexte urbain en Bolivie et au Québec (Robillard, Bédard). Enfin, la dernière partie interroge l’événement vécu lors de manifestations religieuses en s’appuyant sur des cultes de possession au Brésil (Frigault) et sur les itinéraires de vie des pratiquants (Deirdre Meintel).

Au total, si cet ouvrage s’appuie sur des terrains variés au risque de la dispersion, il complète fort à propos les travaux de Ricoeur, de Augé et de Nora. Conçu de fait comme une contribution à des débats déjà entamés, il propose une approche ouverte de l’événement perçu comme rupture de l’intelligibilité, entre structure et temps long. On regrettera cependant que cette publication s’achève sans qu’une synthèse générale ne soit tirée. Les débats engagés n’en sont pas moins passionnants.