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En 2004, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR) a lancé un appel à la coopération métropolitaine en France. Concrètement, cela voulait dire que les communes et agglomérations étaient appelées à se constituer en « aires métropolitaines » et à proposer un plan, ainsi que des objectifs, pour mener à bien un tel projet. Si ce mandat paraît vague, c’est parce qu’il l’est. C’est aussi parce que chaque territoire est différent, part de réalités économiques, géographiques, historiques et institutionnelles différentes, et envisage l’idée d’une aire métropolitaine de manière différente. Les raisons qui ont motivé l’État à lancer cet appel à la coopération sont de deux ordres : d’une part, l’importance pour les métropoles françaises de se positionner à l’échelle européenne, et donc de s’organiser à des échelles qui dépassent les niveaux administratifs ou statistiques habituels, afin de chercher la masse critique nécessaire à ces ambitions. D’autre part, les réalités vécues au jour le jour font que les espaces de vie dépassent ces anciens découpages : les migrations pendulaires sont plus longues, les déplacements de détente, de loisir et de commerce s’allongent aussi, et les enjeux sociaux – notamment ceux de l’habitat social –, économiques et de taxation s’articulent à des échelles dépassant les agglomérations traditionnelles.

Dans ce contexte, le collectif dirigé par Alain Motte s’articule en deux parties. La première partie relate dix études de cas (un chapitre par cas), dix exemples de territoires qui tentent de répondre à l’appel de la DATAR et à construire, chacun à leur manière, une aire métropolitaine. Ce sont donc dix histoires de territoires qui se construisent – ou qui tentent de se construire afin d’obtenir les subventions de la DATAR – par le truchement de réalités économiques, sociales et de mobilité, de structures politiques et administratives, et dans plusieurs cas, d’optimisme admirable. Ces chapitres sont à la fois fascinants, et parfois, difficiles à suivre tellement les enjeux et les réalités (et les acronymes – qui se multiplient dans le texte) diffèrent de territoire en territoire. Mais ils méritent d’être parcourus en détail car on y décèle toute la complexité inhérente aux concepts mêmes d’agglomération, de métropole et d’aire métropolitaine, tout en y décelant aussi le fil conducteur qu’est cet appel structurant de l’État.

La deuxième partie, qui comprend quatre chapitres et une brève conclusion, comprend quatre points de vue synthétiques et critiques sur les stratégies métropolitaines, les dynamiques institutionnelles, les politiques infra-métropolitaines et la compétitivité territoriale. Ces excellents chapitres dégagent une vue d’ensemble selon quatre thématiques et permettent de mieux placer les études de cas précédentes tout en abordant des thématiques et des débats plus généraux. Le fait qu’ils soient en deuxième partie fait que le lecteur sera bien informé de la complexité des enjeux locaux avant d’aborder les parties plus conceptuelles et critiques : il est d’ailleurs utile de faire un retour sur les études de cas après lecture de la deuxième partie, car une relecture nous permet de dégager des éléments nouveaux de ces études complexes et très bien faites.

Pour toute personne qui a vécu les impacts diviseurs et arbitraires des arrêtés de fusions municipales décrétés par les instances provinciales au Québec, ce livre met en avant une approche beaucoup plus rassembleuse de l’État envers la réorganisation métropolitaine. Loin d’imposer les choses, l’État français propose : il a proposé, en 1999, l’intercommunalité, et il propose, en 2004, le défi métropolitain. Cette approche qu’Alain Motte qualifie de post-moderne ne diminue pas les tensions et aspérités locales, mais lorsqu’elle fonctionne, amène les acteurs locaux – notamment les communes (c’est-à-dire les municipalités) – à forger une vision partagée et à se rendre compte des enjeux qui les unissent. De plus, cette approche met l’accent sur la construction de territoires métropolitains fonctionnels, et non d’agglomérations à moitié construites comme l’Île de Montréal amputée de ses banlieues. Bref, même si cet exercice de construction métropolitaine post-moderne n’en est qu’à ses débuts, et même si les quatre derniers chapitres portent à notre attention certaines limites de cette démarche, à travers ce livre, on voit poindre une approche tout à fait différente des rapports municipalité / État que celle que l’on connaît au Québec et au Canada.

En somme, c’est un excellent livre qui intéressera de prime abord les étudiants et chercheurs travaillant sur la gouvernance métropolitaine et sur les rapports muncipalité-État. Ce livre devrait aussi intéresser plus largement tout chercheur ou étudiant qui se sert du concept de métropole. Dans cet ouvrage, le concept est problématisé de manière exceptionnelle, et on se rend compte que les métropoles, comme tout territoire d’ailleurs, sont des entités construites et en constante mutation : la métropole serait un processus bien plus qu’un objet, et ce livre nous en révèle certains mécanismes, différents pour chaque métropole.