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Les attentats terroristes en Algérie et en Tunisie, les guerres civiles en Syrie, en Libye et au Yémen, le coup d’État militaire en Égypte, le maintien du système clientéliste bâti par les familles régnantes au Maroc, en Jordanie et à Bahreïn sont autant de constats qui sonnent le glas des espoirs révolutionnaires des soulèvements populaires survenus dans le monde arabe à partir de décembre 2010.

Ce livre a pour ambition d’apporter une réflexion sur le bilan de ces soulèvements. Comportant 11 chapitres, l’ouvrage est le fruit d’une collaboration entre professeurs, chercheurs et chroniqueurs spécialistes du Moyen-Orient. Après un chapitre éditorial, le volume passe en revue les mouvements populaires de neuf pays du Maghreb et du Moyen-Orient et conclut sur la position des États-Unis face au printemps arabe.

Les chapitres nationaux affichent la même structure. En premier, les auteurs présentent un bref aperçu des problèmes économiques, politiques et sociaux du pays. De façon générale, il se dégage un certain consensus sur l’échec dans la construction d’États nationaux. Cet échec peut se traduire sur les plans du déficit démocratique, de la faillite de la modernisation des sociétés, de la dépendance alimentaire ou de la paupérisation croissante des masses populaires. Deuxièmement, les auteurs décrivent les événements historiques qui ont mené à défier ou à renverser les régimes autoritaires. Le travail témoigne d’une importante recherche documentaire, car aucun événement et aucun acteur majeur ne semblent avoir été oubliés. Le bilan historique permet d’ailleurs une identification des principaux déterminants et des aboutissements du printemps arabe. Troisièmement, la conclusion des différents chapitres permet de déceler les similitudes et contrastes entre les différentes études de cas dans le cadre d’une analyse des changements sociaux au Maghreb et au Moyen-Orient.

Deux interprétations semblent se dégager de la lecture de la dynamique des soulèvements populaires du printemps arabe. Khader avance que le succès d’une révolution pacifique doit reposer sur un mouvement de masse suprapartisan de jeunes instruits et connectés s’appuyant sur la solidarité de l’armée nationale. Il se dégage de cette approche que les soulèvements populaires du printemps arabe ne correspondent pas à la constitution de mouvements de type révolutionnaire. Ces pays n’affichent pas de sociétés civiles fortes, autonomes et représentatives des intérêts de la société, capables de mobiliser les masses. Les partis politiques sont insignifiants et incapables de proposer un modèle économique, de société ou même de justice supérieure à ce qui existe ailleurs dans le monde. Selim et Selim suggèrent plutôt que l’échec des mouvements révolutionnaires du printemps arabe est le résultat du développement de nouvelles formes de contrôle social. Les élites du Maghreb et du Moyen-Orient peuvent être remarquablement aptes à mener les relations avec des acteurs externes et à manipuler différents intérêts entre ces acteurs pour contrer les menaces internes et externes sans s’engager à édifier des institutions étatiques fortes. En encourageant les acteurs externes à s’aligner avec leur réseau politique d’intérêts privés, les dirigeants maximisent les ressources disponibles pour leur coalition, renforcent leur capacité de contrôler la distribution de ressources et augmentent leur autorité politique.

Bien que les auteurs du volume posent un bon diagnostic, il est regrettable que les chapitres n’aient pas fait l’objet d’une présentation plus soignée. Tous les textes souffrent d’une faiblesse de l’analyse critique, notamment en raison d’une grande indigence sur le plan des références. Les auteurs ont une forte tendance à s’autociter et à s’appuyer sur des chroniques de presse. Il faudrait leur rappeler qu’un blog n’est pas une source scientifique. À l’évidence, tous les chapitres auraient grandement bénéficié de supports statistiques et cartographiques. Par ailleurs, les auteurs ont succombé à cette facilité qui consiste à appréhender les événements en fonction de leur ordre temporel d’occurrence. Pour l’essentiel, cette revue historique s’appuie sur le rôle et la fonction des principaux intervenants dont l’unité et la cohérence au sein d’une analyse des conflits ne sont pas assurées. Ce problème est particulièrement apparent dans le dernier chapitre du volume où l’on retrouve, pêle-mêle, les intérêts des États-Unis au Moyen-Orient, l’impact des guerres en Irak et en Afghanistan, le dossier israélo-palestinien, les discours du président Obama, les révélations de Wikileaks et les actions des dirigeants en Tunisie et en Égypte. Il existe d’importants problèmes de cohérence, de compréhension et de planification à long terme de la politique étrangère et militaire des États-Unis. À moins d’établir clairement les rapports et les influences mutuelles entre les principales parties prenantes dans l’espace et dans le temps, on voit mal comment un auteur peut expliquer l’évolution du positionnement stratégique des États-Unis dans la région.

Que faut-il retenir du bilan du printemps arabe ? La démocratie n’est pas l’inverse de la dictature. Le renversement de la dictature ne mène pas naturellement vers la démocratie. Les quelques élections survenues au lendemain des mouvements de contestation démontrent tout le jeu des alliances et des revendications religieuses. Alors qu’ailleurs perdure le chaos, des éléments de preuve démontrent que la tendance va vers l’ordre et la force et non vers la démocratie. Les révolutions demeurent inachevées. Dans ce contexte, le processus de changement repose encore sur la résilience et l’espoir d’une société civile organisée.