Article body

-> See the list of figures

Les normes pour l’action territoriale dans leurs productions et leurs circulations s’annoncent comme un objet d’étude et de démonstration des plus complexes. Sous la direction collective de Philippe Bonnal (agroéconomiste), Pascal Chevalier (géographe), Marc Dedeire (aménageur) et Jean-Michel Sourisseau (socioéconomiste) membres de l’UMR 5281 ART-Dev, on propose au lecteur étudiant, curieux ou spécialiste, une approche interdisciplinaire. Les 40 auteurs s’approprient le processus contemporain de la production et de la circulation des normes pour l’action territoriale. Ils effectuent cette opération sur deux axes. Pour le premier, ils élargissent le champ des situations examinées avec l’objectif de faire comprendre la diversité des problématiques en prenant en compte un panel ouvert. Le second axe porte sur l’interdisciplinarité avec, pour objectif, de rapprocher les points de vue des différents domaines scientifiques regroupés, tout en traitant de l’action publique territoriale.

Les auteurs nous font voyager autour du globe afin de soutenir, par de nombreux exemples, la pluralité des modes d’imposition des normes, quels que soient l’échelle ou le domaine d’action des intervenants. L’intégration des normes au coeur des territoires est abordée selon des méthodes adaptées à la spécialité des auteurs ainsi qu’à leur domaine de recherche. L’analyse, la description, la chronologie, l’action locale, les implications intermédiaires et les politiques publiques globales sont positionnées en fonction de leur empreinte sur les réalités en mouvement et leurs conséquences dans les interactions avec les différents niveaux.

L’interdisciplinarité mise en oeuvre par ce collectif d’auteurs annonce la diversité des thématiques et des territoires présentés afin d’aider à mieux comprendre les actions publiques et privées, sources de normes qui façonnent partiellement les territoires sur lesquels elles sont appliquées. Il s’ensuit une mise en perspective des interventions de normalisation en interaction au sein d’une structure territoriale. Pour la première partie, les référentiels de l’action territoriale en discussion sont abordés par l’intermédiaire de trois textes. Ceux-ci mettent en avant l’action publique locale, les territoires des actions d’introduction de normes, ainsi que les hybridations institutionnelles qui en émergent. Les référentiels fixent les cadres d’intervention, les destinataires, les implications, les attentes. Ils sont associés à l’innovation du développement durable, à la recomposition territoriale, à une préservation des référentiels, à la densification des réseaux existants, tout en jouant des dimensions d’approche. Les bilans contrastés selon les orientations mettent en relief des cycles d’intervention avec lesquels les intervenants composent.

La deuxième partie aborde, avec sept chapitres, la production et les (ré)interprétations des normes. La fabrique territoriale contextuelle, l’émergence du quartier comme territoire d’intervention, une jachère au Mexique, l’intensification écologique dans l’Arganeraie marocaine, le développement des normes « agroécologiques » dans le cadre d’une riziculture intensive, la gouvernance et les interactions entre local et global et entre public et privé, sans omettre l’institutionnalisation d’un incubateur, donnent le corps à cette production de normes. À partir de ces textes, nous visualisons les processus institutionnels d’hybridation, les émergences locales, la gestion des réponses, les constructions spécifiques, les dynamiques d’aménagement, ainsi que la volonté de dépasser les incapacités constatées.

La troisième partie, elle aussi avec sept chapitres, traite de la circulation des normes – bricolage institutionnel, gouvernance territoriale. Elle nous emmène en Bulgarie, en Nouvelle-Calédonie, en Argentine, en Suisse avec l’exemple de cantons, au Mozambique et en Moldavie, en présentant des instaurations de normes dans multiples domaines. La diversité des thèmes et des territoires permet de mettre en exergue de multiples circulations des normes, des bricolages de gouvernance, des imbrications territoriales, des transformations des modèles originels accompagnées de transferts, d’adaptations et d’un pragmatisme affirmé par les intervenants.

À titre personnel : étant donné que cet ouvrage regroupe différents domaines scientifiques, l’interdisciplinarité devrait être remplacée par la transdisciplinarité. La porosité des approches permettrait d’offrir des lectures des faits plus pertinentes, adaptables, évolutives et intégrables dans diverses formations de nature multidisciplinaire. En outre, des passerelles récursives se constitueraient pour enrichir chaque spécialité sans la dénaturer, tout en limitant la présence des frontières entre les disciplines. La présentation des territoires entraîne, à notre sens, une juxtaposition des perspectives de problématisation d’un territoire, de ses territorialités et de l’interface produite en fonction des dynamiques qui l’animent. Cela nous relie, au plan épistémologique, à la notion de géographicité, nature de notre rapport au monde, qui aurait mérité une place particulière notamment avec les trop rares emplois des territorialités. Par l’intermédiaire de la géographicité, l’assimilation des normes pour tendre en direction d’objectifs partagés, voire imposés aux acteurs, serait plus réalisable pour chaque observateur, tout en affirmant les responsabilités individuelles quant à la gestion et aux actions entreprises dans un territoire.

Cependant, les dynamiques des normes pour l’action territoriale mettent à la disposition des lecteurs un ensemble de situations pour lesquelles la diversité des localisations contribue à une meilleure compréhension des constructions et des productions présentes dans un territoire. Les auteurs proposent des éclairages ponctuels sur des spécificités pour améliorer les investigations et les connaissances des phénomènes présentés. Par ailleurs, ils reconnaissent l’importance de la notion de territoire où s’imbriquent des niveaux de gouvernance pour lesquels le niveau local affirme son identité, bien que les modes de régulation tendent à l’hégémonie. Des similitudes opérationnelles se révèlent tout en produisant des normes avec des processus spécifiques d’adaptation. Les diversités, les oppositions et les hybridations sont autant de réponses qui peuvent être engoncées dans une bureaucratie asphyxiante. Les normes de production et de circulation sont intégrées, gérées, contraintes et digérées par les acteurs pour trouver des solutions optimales dans chaque territoire. Cet ouvrage se pose alors comme un jalon pour concevoir des lectures, des études, des interventions et des projets pour lesquels le territoire serait réellement l’entité matérielle d’une synergie transdisciplinaire. Cela démontre les potentialités de recherche et les perspectives de développement pour toutes les spécialités concernées.