Thème 1 - La place de la géographie au sein de la science d’aujourd’hui

Pour une géographie de la modernité[Record]

  • Brice Gruet

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Bien des phénomènes actuels semblent difficiles à comprendre, sans relation les uns avec les autres ou difficiles à cerner. La complexité du monde peut apparaître pour certains comme un véritable défi à l’entendement. Le terrorisme mondialisé, les prétendus problèmes environnementaux, les conflits territoriaux de tous ordres alimentent des discours alarmistes et sont médiatisés souvent de piteuse manière, sans que l’on saisisse bien les enjeux présents sous la surface des faits et des événements. Dans ces débats du reste, la géographie savante demeure dramatiquement absente alors que son rôle scientifique devrait y être central. Or c’est à travers un corpus documentaire en rapport avec mes propres recherches que la notion de modernité m’est apparue comme une clef majeure de compréhension de notre actualité. Je ne me suis donc pas intéressé à cette notion par prédilection ou dogmatisme, mais par nécessité, car cette modernité représentait comme une sorte de gigantesque basculement pour tout l’Occident, un changement de civilisation qui apparaissait avec le Quattrocento italien pour se renforcer sans cesse jusqu’à maintenant. Et cette modernité éminemment occidentale se présente comme une sorte de centre absent autour duquel, pour ainsi dire, gravitent des phénomènes autrement incompréhensibles. Absent car la modernité semble une notion morte, supplantée par d’autres, comme celle de postmodernité. Cette postmodernité ne résiste guère à mon goût à une analyse un peu stricte des discours élaborés à son propos, dans le sens où ces discours informent davantage sur le statut de leurs propagateurs que sur la nature réelle de la notion. Comme l’a brillamment démontré Augustin Berque, la modernité reste l’un des principes fondamentaux de nos sociétés, même si la question de la tradition (entendue comme opposée à cette modernité) ne cesse au même moment de se poser avec acuité. En m’attachant au versant spatial d’une telle notion, j’espère dégager des motifs, ou encore avancer des explications plus pertinentes et plus systématiques des différents problèmes évoqués précédemment. Travailler aux effets de cette modernité, comme à ses excès, m’apparaît comme une nécessité éthique de premier ordre pour tenter de résoudre les défis de l’époque actuelle et aller de l’avant. Les thèmes de recherche en rapport avec cet engagement politique au sens fort sont de trois ordres : un travail sur les valeurs de cette modernité tardive qui est la nôtre, valeurs incarnées dans des paysages et des pratiques précises ; un travail sur la technologie en tant que vecteur de cette modernité et enfin l’étude des destins individuels en relation avec les espaces du quotidien. On passe ainsi de l’échelle la plus petite, celle de la planète ou de la région, à celle du corps, ultime frontière de l’investigation géographique. L’approche culturelle en géographie a montré en outre combien des choix purement pratiques en apparence trahissaient en fait autant de conceptions du monde qui ne sont guère interchangeables. On en revient ainsi au problème des valeurs, et il semble bien que la prise en compte de ces axiologies différenciées d’une culture à une autre s’avère plus que jamais indispensable dans le travail scientifique. Le dernier volet et le résultat paradoxal de l’affirmation des valeurs individuelles et de la technologie semblent être une forme de déterritorialisation du monde et une virtualisation des individus, mais il faut se départir des clichés comme des versions sensationnalistes de ces tendances. Finalement l’espace conserve ses droits et aurait même tendance à les renforcer, mais la domination sans partage de l’économie dans le domaine de la prospective et de la prise de décision nous maintient dans l’illusion que l’espace ne compte plus ou pas vraiment. Pourtant, c’est bien l’espace, compris comme instance de signification, qui porte la marque …