Thème 2 - Les défis théoriques et méthodologiques de la géographie

La complexité des phénomènes spatiaux[Record]

  • Mathieu Charron

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Mes intérêts de recherche portent sur la géographie urbaine en général et sur l’organisation spatiale du système économique en particulier. Mon attention porte tout particulièrement sur la répartition des aires de richesse et de pauvreté (la ségrégation économique) dans l’espace urbain et sur le navettage qui fait la connexion entre les lieux de travail et de résidence. Mes recherches exploitent les méthodes de l’analyse spatiale quantitative et le paradigme de la complexité. À grands traits, je décrirai d’abord l’évolution de la géographie quantitative. Deuxièmement, je montrerai comment cette évolution l’a conduite à adopter le paradigme de la complexité. Enfin, je décrirai mes principaux intérêts de recherche à la lumière de la pensée complexe. Comme en science en général, l’évolution de la géographie quantitative a été marquée par les changements de paradigmes et les progrès techniques. À partir des années 1950, tirant profit de l’ordinateur et s’appuyant sur le positivisme logique , la géographie connaît sa révolution quantitative. Les géographes laissent alors à leurs nouveaux outils informatiques, théoriquement neutre, le soin d’explorer l’espace et d’en faire ressortir les régularités et les relations de causalité qui le soustendent. Ils développent ainsi des méthodes toujours plus sophistiquées d’analyse spatiale, oubliant que des méthodes ne peuvent être en soi objectives. Ils assimilent les hommes et les femmes à des machines rationnelles et parfaitement informées (l’Homo Economicus), les inégalités économiques à des déséquilibres passagers, l’espace à une plaine homogène… Critiquée de toutes parts à cause de ces réductions abusives, la géographie quantitative a été marginalisée. La critique virulente de Harvey (1973) annonce le retour en force des études qualitatives et de la monographie qui culmine avec la géographie postmoderne, dans les années 1990. Contrairement à la géographie moderne , qui cherche à induire des lois à partir de l’observation des phénomènes, la géographie postmoderne tente de comprendre les processus à partir des comportements de leurs composantes élémentaires et à déconstruire les interprétations réductrices issues du précédent paradigme. Cette géographie valorise l’intersubjectivité, l’acceptation de tous les discours justifiée par l’originalité de chaque point de vue (Frémont, 1999). Les échecs cuisants des politiques s’appuyant sur des méga-modèles économétriques font prendre conscience aux géographes de la complexité du réel. Les généralisations apparaissent suspectes et tout doit être mis en contexte. Parallèlement à cette évolution des idées, les progrès remarquables de l’informatique ont significativement infléchi la pensée scientifique. Ils sont fondamentaux pour la compréhension des phénomènes complexes. Ils ont stimulé la réflexion sur les systèmes chaotiques, sur l’auto-organisation, sur l’importance des trajectoires historiques. Ces avancées remettent en question l’universalité des causalités simples et des relations linéaires qui n’expliquent qu’une mince partie de la réalité. En somme, dans la foulée du positivisme moderne et des premiers développements de l’informatique, la géographie quantitative a mis au point un nombre important d’outils méthodologiques toujours plus sophistiqués. Or, au lieu de réponses simples, ces nouveaux outils ont révélé l’existence d’une réalité plus complexes que prévue, faite de phénomènes peu visibles dans l’espace, à la base de relations multilatérales et de règles de fonctionnement mouvantes. Ces constats ont profondément marqué la géographie et ont stimulé la formulation de nouvelles théories et la reformulation de théories existantes. Plusieurs d’entre elles apparatiennent à ce que Morin (1990) appelle le paradigme de la complexité. Le paradigme de la complexité tire son origine de la déconstruction de la notion d’unité, suivant deux idées qui révolutionnèrent la physique de l’infiniment petit  et celle de l’infiniment grand  (Morin, 1990). Plus précisément, il veille à ne pas définir de frontières claires entre les concepts qu’il met en oeuvre. Car le paradigme de la complexité repose sur l’acceptation de l’incommensurabilité …

Appendices