Comptes rendus bibliographiques

JAGLIN, Sylvy (2005) Services d’eau en Afrique saharienne. La fragmentation urbaine en question. Paris, CNRS, 256 p. (ISBN 2-271-06376-0)[Record]

  • Frédéric Lasserre

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  • Frédéric Lasserre
    Université Laval

En Afrique subsaharienne, les politiques de développement conduites dans les villes depuis les années 1980 mettent l’accent sur le lien entre infrastructures, développement économique et lutte contre la pauvreté. Elles accordent une place stratégique aux services en réseau (eau et assainissement, électricité, systèmes de transport, télécommunications), qui constituent l’ossature matérielle des agglomérations. Depuis la crise des modèles de développement en Afrique, précipités par la chute des cours des matières premières, le surendettement et la faillite des politiques économiques étatiques, les États ont dû se tourner vers les bailleurs de fonds occidentaux et consentir à des réformes structurelles, dans lesquelles décentralisation, libéralisation et privatisation tenaient une place fondamentale. L’ouvrage de Sylvy Jaglin aborde la question des effets de ces réformes sur la cohésion urbaine en Afrique subsaharienne. Pour les tenants de la fragmentation du territoire par les réseaux, ou splintering urbanism, thèse de Graham et Marvin (2001), ces réformes, en privilégiant l’efficacité et la performance économique, voire purement financière, ont aggravé les inégalités sociospatiales au sein des villes et fragilisé la cohésion urbaine. L’ouvrage souligne que l’avènement du secteur privé dans la gestion des services d’eau, s’il n’a pas tenu ses promesses d’étendre les réseaux de distribution d’eau aux plus démunis ou d’assurer l’entretien et la réfection des réseaux existants, a cependant permis des améliorations de la qualité du service, à la condition que les négociations avec l’entrepreneur aient été menées par des pouvoirs publics compétents, motivés et soucieux de conserver un droit de regard sur la gestion déléguée à l’entreprise privée. C’est là un apport intéressant de cet ouvrage, qui fait le bilan de plus de deux décennies d’expérimentation des partenariats public-privé dans le domaine de la gestion des services d’eau en Afrique subsaharienne, loin de tout dogmatisme libéral ou altermondialiste. Sylvy Jaglin poursuit en montrant, justement, qu’il est difficile de généraliser les leçons de cas particuliers, même relativement nombreux, à l’ensemble du continent. Chaque ville constitue un cas à part avec sa géographie des réseaux de services propres. Une solution à cette diversité et aux écarts de revenus très importants qui rendent très coûteuse toute politique d’extension des réseaux vers les plus pauvres, la différenciation accrue de l’offre de service semble une piste intéressante. Mais cette voie est aussi porteuse de risques socio-économiques : comment s’assurer que l’offre de service destinée aux plus démunis est durable et équitable ? Cette voie impose donc un engagement résolu des pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau local, afin d’encadrer la gestion différenciée de l’offre de service et de maintenir une certaine cohésion sociale. Une critique majeure que l’on pourrait formuler à l’endroit de l’approche retenue est que l’ouvrage, malgré ce qu’annonce le titre principal, semble plus s’intéresser aux services d’eau comme angle d’analyse de la cohésion urbaine, autrement dit comme simple outil de recherche, que comme objet central du discours. Si le livre de Sylvy Jaglin témoigne tout à la fois d’une excellente connaissance du terrain, de la problématique de la gestion des services d’eau et des aspects théoriques de celle-ci, on aurait aimé lire moins de théorie des espaces réticulés, de la territorialité urbaine, et plus d’analyse des contraintes et des politiques locales de gestion des services d’eau urbains, de même que plus d’analyses, appuyées par un corpus factuel étoffé, des facteurs de succès ou d’échec des expériences menées à ce jour. L’approche choisie par l’auteur laisse au lecteur le sentiment diffus que le propos sur les services d’eau n’est qu’un prétexte à une réflexion très théorique, habile il est vrai, sur le rôle des services urbains dans la cohésion sociale urbaine et, partant, dans la nécessaire refondation …