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Les Cahiers de géographie du Québec célèbrent cette année leur cinquantième anniversaire. Cinquante ans ! À ce compte, la durée de toute revue savante est synonyme de pertinence et d’endurance. Ces deux qualités méritant certainement le respect, honneur doit être rendu aux fondateurs de la revue, Fernand Grenier et Louis-Edmond Hamelin, et à leurs continuateurs qui, de près ou de loin, ont voulu et fait en sorte que notre revue remplisse la promesse de ses débuts, celle de devenir un organe de diffusion compétent et crédible au service de la géographie d’ici et d’ailleurs.

Le dévouement et la perspicacité des artisans qui ont donné vie aux Cahiers de géographie du Québec depuis cinq décennies inspirent notre reconnaissance. À nous maintenant de préserver l’héritage, de le faire fructifier et de le transmettre. La tâche n’est pas aisée. Car notre passé a beau offrir les meilleures garanties, le futur reste malgré tout incertain : le financement de la revue est un éternel recommencement ; le lectorat, dans un contexte de vive concurrence, est volatile ; la compétition pour le recrutement des meilleurs auteurs s’accentue ; le passage à l’édition électronique exige des ajustements organisationnels et administratifs qui secouent les habitudes ; etc. Mais par-dessus tout, le défi constant d’une revue comme la nôtre est de demeurer le porte-parole d’une recherche scientifique innovante et de haut niveau. C’est en effet la qualité même et la vigueur de la recherche géographique qu’elle diffuse qui constituent la meilleure assurance de son développement.

Comment s’assurer que ce qui suivra sera à la pleine mesure de ce qui fut accompli ? Voilà donc le véritable défi de cet anniversaire. C’est pourquoi nous avons pris le parti de commémorer la fondation des Cahiers de géographie du Québec en organisant un colloque consacré aux diverses initiatives de recherche qui aujourd’hui émergent en géographie et qui demain formeront le coeur de la discipline. Ces chantiers de la géographie, comme nous les appelons, sont, croyons-nous, une façon utile de servir un dynamisme scientifique qui, en retour, ne pourra que nous être bénéfique.

Les chantiers de la géographie

Les chantiers de la géographie ont lieu au moment où paraissent ces lignes, c’est-à-dire les 28 et 29 avril 2006. Ils se tiennent à l’Université Laval à Québec et accueillent des géographes – ou des amis de la géographie – de la nouvelle génération rattachés à plusieurs universités du Québec et d’ailleurs, ainsi que des étudiants au doctorat particulièrement prometteurs. Autrement dit, le colloque s’adresse à de jeunes universitaires qui, au Québec et dans le monde francophone, sont en train de prendre le relais de la recherche en géographie.

Le but de ce colloque anniversaire, dont les résultats paraîtront dans notre numéro de décembre 2006, est de mettre en relief et en débat les recherches actuellement en émergence au sein de la géographie. De ce tableau, où divergences et convergences se combinent, l’idée est de dégager, selon une double perspective disciplinaire et interdisciplinaire, les différents enjeux théoriques, méthodologiques et sociaux propres à la géographie qui s’annonce. En nouant un dialogue autour de ces enjeux, en prenant la mesure des doutes et des espoirs qu’ils suscitent, la géographie d’aujourd’hui et de demain n’en sera, selon nous, que mieux servie. De plus, cet exercice devrait aider à préciser la place qu’occupe la géographie dans le concert des sciences, la géographie se distinguant tout particulièrement, on le sait, par son ouverture à l’interdisciplinarité.

En agissant comme maître d’oeuvre de ce colloque, les Cahiers de géographie du Québec veulent aussi fournir aux nouveaux spécialistes de la géographie du monde francophone la chance de mieux se connaître. Une occasion leur est ainsi offerte d’entrevoir des collaborations fructueuses. Il n’est pas non plus à négliger qu’ils pourront dans la foulée réaliser à quel point une revue comme la nôtre constitue un avantageux outil pour communiquer les résultats de leurs recherches à la communauté scientifique internationale, communauté où la revue, autant par son lectorat que par ses auteurs, est très bien implantée.

Une revue savante

Le souci de l’avenir domine donc les fêtes du cinquantenaire des Cahiers de géographie du Québec. Ce choix se défend. On pourrait néanmoins nous reprocher de négliger notre devoir de mémoire. Ce serait un mauvais procès, car nous ne doutons pas que l’histoire de notre revue porte l’empreinte profonde de la motivation, de l’intelligence et de l’énergie de ceux qui, au fil des ans, l’ont animée. Plusieurs récits témoignent d’ailleurs de leurs actes, soulignent leurs mérites respectifs et inspirent notre reconnaissance [1]. Il faudrait, il est vrai, ajouter à ces récits encore fragmentaires une synthèse qui tracerait l’ensemble de la trajectoire suivie et qui dévoilerait toute l’ampleur du travail accompli. En attendant, nous prenons simplement la liberté, à partir d’une méditation sur le sens de la date de ce cinquantième anniversaire, de rappeler la mission fondamentale des Cahiers de géographie du Québec.

En octobre 1956, les Presses de l’Université Laval éditaient le premier numéro des Cahiers de géographie de Québec [2]. Faut-il en déduire que notre revue a maintenant, en 2006, cinquante ans et qu’elle a droit, par conséquent, au jubilé ? Question futile diriez-vous puisqu’un simple calcul prouve la légitimité de cet anniversaire. Il reste que l’arithmétique, aussi rigoureuse soit-elle, ne réussit pas toujours à exprimer les nuances de l’histoire. Car dans l’inventaire et l’interprétation des épisodes de l’aventure humaine, la clarté des nombres s’unit souvent à l’ombre des mots. N’est-ce pas ce que confirme l’expression « nouvelle série » qui coiffe la couverture du fameux numéro 1 ? Cette indication ne laisse-t-elle pas entendre que la nouveauté en question concernait peut-être davantage la forme que le fond, si bien que la substance de ce qui prit alors le nom de Cahiers de géographie de Québec existait déjà ? Il est vrai que rien ne naît du néant et qu’il y a toujours une cause qui, en précédant toute chose, devient indissociable de son effet. N’est-ce pas d’ailleurs cette logique que rappelle la note liminaire du dit numéro 1 ? N’y lit-on pas – en incipit de surcroît, position inaugurale qui n’était certainement pas sans signification – que « les Cahiers de géographie de Québec prolongent une tradition déjà ancienne de publications géographiques à Québec » ? Et la suite n’est-elle pas encore plus explicite en énumérant une liste des prédécesseurs où culminent les Cahiers de géographie et les Notes de géographie, deux séries de monographies publiées à partir de 1952 par l’Institut d’histoire et de géographie de l’Université Laval ? [3] Parce qu’elle marque le début de la publication en géographie à l’Université Laval, l’année 1952 semble avoir aux yeux du rédacteur de la note liminaire plus de poids que cette année 1956 qui correspond, non pas à une fondation, mais à un simple changement de formule. L’avant-dernier paragraphe, où se comprend toute la nuance entre nouvelle publication et une nouvelle série, n’autorise plus aucun doute à cet égard : « Dorénavant, l’Institut de géographie de l’Université Laval maintient une seule publication : les Cahiers de géographie de Québec, dont paraîtra deux numéros par année, en avril et en octobre » [4].

Ainsi, selon les fondateurs eux-mêmes, il serait possible de donner 1952 comme date de naissance des Cahiers de géographie du Québec. Leur argument ne fut d’ailleurs pas ignoré puisque l’on fêta le quarantième anniversaire de la revue le 23 octobre 1992 [5]. Soit ! Après tout, l’histoire a ses droits, dont celui d’être présentée avec toutes ses nuances. Il reste que ceux qui voudraient la commémorer sont alors condamnés au doute. Et leur tâche se complique davantage quand, position prise, ils doivent se justifier, surtout si leur choix s’écarte de celui des prédécesseurs. N’est-il pas en effet incongru, presque gênant, que l’on ait célébré le quarantième anniversaire des Cahiers de géographie du Québec en 1992 et que l’on ait attendu 2006 pour souligner son… cinquantième ? N’y a-t-il pas là une curieuse addition qui mérite explication ?

Pourquoi alors avoir laissé passer 14 ans pour vieillir de 10 ? Simple coquetterie ? Bien sûr que non, puisque les Cahiers de géographie du Québec sont, quoi qu’il en soit, une vieille revue. Vaut mieux du coup profiter le plus rapidement possible du respect qu’inspire la longévité. Est-ce plutôt le poids des circonstances qui nous a obligé à repousser ce qu’il aurait pourtant fallu faire ? Peut-être, mais une telle faute serait inavouable. Elle serait de surcroît inutile. Car comment ne pas voir que la naissance des Cahiers de géographie du Québec en 1956 marque la création d’un outil de diffusion radicalement différent de ce qui existait jusque-là à l’Université Laval ? Depuis 1952, on y avait publié, dans le champ de la géographie, quinze monographies au sein de deux séries. Une telle contribution à la publication savante n’avait évidemment rien de déshonorant. Au contraire, ce corpus témoignait de la grande vitalité de la jeune géographie lavaloise. Mais si l’édition de monographies est essentielle à la recherche scientifique, il est tout aussi indispensable à cette dernière de disposer de revues savantes qui, par une rigoureuse et systématique évaluation des manuscrits, assurent que ses résultats répondent aux plus hautes exigences intellectuelles, tout en les diffusant sur une base continue, régulière et élargie. Sans cette tribune, il est en fait impossible de constituer et d’animer, autour d’une thème ou d’une discipline, une communauté scientifique digne de ce nom. Or c’est là, à nos yeux, la contribution capitale des Cahiers de géographie du Québec, qui n’ont cessé d’être, depuis le début, un organe crédible et compétent de publication savante périodique. Et c’est à ce titre aussi qu’ils ont pu favoriser le développement de la géographie – et plus spécifiquement de la géographie humaine à partir de 1978 –, non seulement au Québec, mais aussi à l’échelle internationale, notamment en accueillant volontiers une géographie francophone qui, en France et ailleurs dans le monde, ne manque pas – faut-il le rappeler – de compétences géographiques pour rivaliser avec ce qui se fait de meilleur en cette matière ailleurs dans le monde.

Voilà donc d’après nous la signification de cette année 1956. À cette date apparut une revue savante à vocation internationale qui, en défendant une vision généreuse de la discipline – c’est-à-dire sans sectarismes – et en faisant confiance en l’évaluation collégiale de la recherche, est devenue une institution essentielle à la géographie humaine. Telle est notre compréhension du rôle historique des Cahiers de géographie du Québec et tel est notre engagement pour l’avenir.

La rédaction