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Comment et pourquoi nomme-t-on le territoire ? Comment les discours sur l’espace contribuent-ils à la construction des sociétés ? Telles sont quelques questions que pose cet ouvrage original qui sera utile aux chercheurs s’intéressant « aux dimensions spatiale et linguistique de la mémoire urbaine ». Résultant de la collaboration d’un sociolinguiste (T. Bulot) et d’un géographe (V. Veschambre), il s’inscrit dans les réflexions et les recherches sur la ville autour du marquage de l’espace, et vise à montrer que les rapports de pouvoir et les hiérarchies sociales qui découlent des formulations langagières doivent être décodés, analysés et mis en perspective.
Dès l’introduction, les directeurs de l’ouvrage soulignent l’intérêt d’intégrer la dimension spatiale en sociolinguistique et d’envisager l’espace comme langage et production discursive. Ils insistent sur les luttes de classement et les hiérarchies sociales qui sont en jeu dans l’appropriation de l’espace. En ce sens, l’ouvrage se situe bien dans les recherches de géographie sociale qui sont une des spécificités de l’UMR ESO du CNRS, mais son intérêt vient de la prise en compte de la sociolinguistique urbaine pour comprendre et analyser le « procès d’appropriation de l’espace ». Deux grands types de marquage sont identifiés : le marquage signalétique (enseignes, plaques commémoratives, inscriptions murales, panneaux, etc.) et le marquage langagier produit par des discours associés à des espaces particuliers.
Le livre est construit autour de neuf chapitres. Le premier (écrit par F. Ripoll) propose une approche théorique des rapports entre marquage et attribution (voire assignation) de l’espace qui permet de dégager la catégorisation et la hiérarchisation des espaces et celle des individus ou des groupes sociaux. Il offre des éléments utiles à la recherche comme ceux des différences idéal-typiques entre la trace et la marque, ou ceux liés à la dimension spatiale de la violence symbolique. Les autres chapitres sont centrés sur des analyses particulières concernant les discours de la politique de la ville en France (S. de Lafargues), les écrits-icônes urbains (B. Raoulx et G. Chourio), les discriminations liées au discours de fragmentation des villes (T. Bulot), à la ségrégation sociolangagière (A. Lounici), aux représentations de la ville d’Alger (T. Mefidene), à la construction mémorielle des espaces urbains à partir de l’exemple d’ATD quart-monde (V. Veschambre), au marquage des squats en Europe (D. Zeneidi) ou à l’analyse des rapports entre le populaire et la saleté (R. Séchet). Le livre se lit facilement ; bien introduit il fournit des éléments théoriques et des études de cas bien choisies et originales ; on peut regretter cependant l’absence d’un chapitre de conclusion qui aurait permis une ouverture à d’autres exemples, notamment à l’usage survalorisé de certains secteurs urbains, même si l’objectif du livre était de se centrer sur la catégorisation d’espaces défavorisés. À ce niveau, le pari est réussi et nous avons particulièrement apprécié le chapitre 8 concernant les squats en Europe et le chapitre 9 proposant une grille d’analyse sur les liens entre le populaire et la saleté et évoquant l’actualité en France d’un nettoyage au karcher.
Au total, l’ouvrage offre des perspectives novatrices, généralement peu prises en compte en géographie, qui montrent bien que « derrière les catégories spatiales, ce sont bien des catégories sociales qui sont à l’oeuvre », et que la mise en mots des espaces et des groupes sociaux qui y sont associés s’inscrit dans des logiques de valorisation ou de dévalorisation, c’est-à-dire dans des classements construits qui ne sont jamais neutres.