Pierre George, un géant de la géographie

Pierre George compagnon de route, une trajectoire d’engagement[Record]

  • Marie-Claude Maurel

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  • Marie-Claude Maurel
    Centre français de recherche en sciences sociales, Prague

En mars 1991, paraissait la huitième édition de la Géographie de l’URSS dans la collection Que sais-je ? La dédicace que Pierre George m’a alors adressée commençait par ces mots : « Quelle audace… que de publier en 1991 une nouvelle édition de cette Géographie de l’URSS ! ». L’enchaînement des évènements de cette mémorable année 1991 allait le confirmer et de quelle manière… Mais il ne fallait pas moins d’audace pour publier en 1947, la première grande étude géographique sur ce pays, dans les frontières issues du partage de Yalta (George, 1947). Quarante-cinq années séparent la date de la première publication de la dernière, presque un demi-siècle, au cours duquel, avant d’imploser, la puissance soviétique a constitué l’un des centres d’attraction d’un monde bipolaire. Les écrits de Pierre George ont contribué à fixer une représentation de ce moment historique singulier. Dans sa Chronique géographique du XXe siècle, publiée en 1994, Pierre George a souhaité revenir sur « un demi-siècle de dichotomie » et d’affrontement est-ouest. Il en donne une lecture bien différente de celle à laquelle ses grands ouvrages sur l’URSS et l’Europe centrale nous avaient habitués. Une rétrospective qui a, sinon valeur de repentance par rapport aux analyses antérieures, du moins qui en restitue le contexte pour en donner une vision distanciée et comme apaisée. Ce point d’aboutissement de la pensée de Pierre George, à sa manière une sorte de testament, a son importance et permet en quelque sorte de proposer une relecture de l’ensemble du parcours. Ce qui nous autorise à tenter cette entreprise, ce sont les échanges que nous avions eus, au sein du cercle des amis languedociens auxquels il avait consacré une longue journée ensoleillée, le 24 juin 1991, à Montpellier À travers le texte qu’il avait alors proposé à notre réflexion Cent ans de géographie (George, 1991) et les débats qui avaient suivi les interventions, le maître avait eu l’opportunité de revenir longuement sur les orientations qui avaient été les siennes, non pour les justifier, mais pour en éclairer le sens. C’est dans l’esprit de sérénité qui avait présidé à cette rencontre que cet article à sa mémoire a été rédigé. De l’engagement des années trente à la prise de distance des derniers temps, Pierre George a parcouru une trajectoire pratiquement sans rupture même si des évènements majeurs, telles l’insurrection hongroise, en octobre 1956, puis l’invasion de la Tchécoslovaquie, en août 1968, ont pesé pour dissiper les rêves évanouis d’une humanité heureuse. Rien dans la démarche des dernières décennies du géographe ne pourrait s’apparenter à du repentir, encore moins à un renoncement par rapport à des idéaux. Quelques mots glissés au détour d’une phrase, à propos « des réalisations habilement promues au rang de prouesses », ou encore quelques aveux formulés de manière indirecte laissent percer la désillusion et sans doute le regret d’avoir été berné : « Certains se sont laissé prendre, croyant voir réaliser le rêve du XIXe siècle, de la justice et de l’égalité et confondant prise de position politique et analyse objective des faits » . Tout est dit dans ce constat qui a valeur de témoignage, sans toutefois qu’il soit exprimé à la première personne . Pris en défaut, le géographe était-il le seul à avoir fait preuve de crédulité ? Revenons sur les enjeux politiques qui se nouent avant, pendant et après le deuxième conflit mondial pour comprendre la genèse d’une prise de position partisane. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, comme pour rattraper le temps où il avait fallu se taire, la production scientifique de Pierre George se fait prolifique. En quelques années, …

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