Pierre George, un géant de la géographie

CommentaireUn testament scientifique : la géographie, une pensée vivante[Record]

  • Olivier Lazzarotti

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Écrit pour être lu, ce texte que vous venez de lire aura bien failli ne jamais l’être et terminer sa course, parole interdite par les autres, en rejoignant ainsi les lettres mortes et textes sans adresse des oubliettes de la science. Désormais, il le sera ! C’était le voeu de son auteur. « Voici le petit article dont je vous ai parlé hier et que je serais heureux de voir paraître ». Datée du 11 septembre 1996, la lettre dont cette phrase est extraite révèle l’importance avec laquelle il considérait le travail annoncé : Questions de géographie ou questions à la géographie ? Cela dit, à sa réception, rien ne distinguait vraiment ce texte reçu par un secrétaire de rédaction qui, ne serait-ce que depuis 1991, en avait reçu tant d’autres de l’un des auteurs les plus actifs. À cette date, Pierre George s’achemine avec lucidité vers la 88e année d’une vie géographique on ne peut mieux remplie. Après Les hommes sur la terre, ouvrage publié chez Seghers en 1989, il rejoignit les éditions Armand Colin. Éditrice des Annales de géographie, cette maison avait déjà publié Les régions polaires. Mais c’était en 1946. Dans l’immeuble toujours bien signalé du boulevard Saint-Michel, il accompagnait cette fois Michel Morcrette qu’il avait rencontré aux Presses universitaires de France. Il produira là trois des quatre ouvrages qui constituent ce que l’on attachera à la dernière période scientifique de Pierre George Le premier d’entre eux, Le métier de géographe (1990), discrètement sous-titré Un demi-siècle de géographie, rassemble une vie de textes mis en perspective. Bilan scientifique autoréflexif, il permet de mettre en lumière des thèmes que le recul du siècle et cette échelle de temps éclairent particulièrement. Logiquement, ils s’agrègeront autour du croisement de l’espace et du temps. Émergent alors les thèmes de la permanence et du changement, de l’ordre et du désordre, mais aussi de la capacité de la science géographique à saisir, comprendre et rendre compte des faits du monde, si ce n’est celle d’y intervenir. Ce bilan se présente donc aussi comme le point de départ de ces années et de leurs réflexions, dans la double singularité que leur confère Pierre George. La première tient dans l’évolution de sa conception de la problématique, passant de la poursuite (1992) à la chronique (1994). La seconde relève de la sensibilité particulière de ses modes d’entrée et de formulation. Exposées selon les termes humains d’une science vécue, ses questions prennent alors la forme d’une interrogation répétée pour être explorée sous des angles multiples. La spécificité de l’épistémologie des années 1990 de Pierre George, celles où je l’ai connu , tient à son temporalisme et son humanisme. Elle est l’objet fondamental de Questions de géographie ou questions à la géographie ?, un des textes à la fois terminaux et représentatifs. Mais mieux encore, je voudrais qu’il constitue le plus précieux testament, témoignage et transmission compris, qu’un scientifique peut délivrer à ceux qui en voudront, parce que sa lecture éclaire, tout à la fois le cheminement et le mode de cheminement d’une pensée ininterrompue jusque-là, toujours dynamique : « Comment passe-t-on d’hier à demain ? » (1994 [Chronique] : 7). Ce texte repose sur un constat à multiples entrées. Sous les effets cumulés du gigantisme et de l’universalité d’une part, des révolutions technologiques et de la communication de l’autre, c’est finalement l’équilibre du monde et de sa géographie qui est mis en cause. Dans cette turbulence, l’Europe fait l’objet d’une préoccupation particulière, notamment dans sa partie balkanique. Elle est l’un des points chauds de ce processus, à la fois …

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