Comptes rendus bibliographiques

BRETON, Roland (2006) Peuples et États. L’impossible équation ? Marseille, Le Mot et le Reste, 109 p. (ISBN : 2-915378-17-7)[Record]

  • Frédéric Lasserre

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  • Frédéric Lasserre
    Université Laval

Cet ouvrage est la réédition d’un manuscrit de 1998. L’auteur nous propose une réflexion sur la dialectique entre conscience nationale et émergence des États : comment concilier affirmation du pouvoir d’un État sur un territoire et droit des peuples à se gouverner, du moins à conserver une relative autonomie dans leurs affaires internes dans les cas – nombreux – d’États rassemblant plusieurs nations ? Tout au long de l’histoire, l’expansion des grands États s’est faite au détriment d’innombrables petits peuples. Dans cet ouvrage, Roland Breton soutient que « l’histoire des sociétés jusqu’à aujourd’hui a été l’histoire des luttes de peuples, d’États, et de classes ». Il souligne aussi l’accent sur les peuples, c’est aussi « réintroduire ce facteur primordial qu’est l’existence de sociétés diverses particulières – les peuples – composant la société humaine ». À l’heure de communautarismes exacerbés et de la permanence de revendications nationales, l’auteur prend acte : « Si tout État prétend être l’émanation de sa population entière, par dessus ses divisions sociales ou sociétales, il peut néanmoins être accaparé par une classe ou un peuple ». L’expérience de l’auteur des réalités ethniques auxquelles il a été exposé au cours de ses périples en Afrique noire ou en Inde lui permet de souligner que « c’est cette dynamique croisée des États, des peuples, de leurs cultures propres et de leurs civilisations communes qui dessine et redessine ces configurations humaines et territoriales distinctes d’où sont nés tant de conflits et où tant de tensions subsistent, déroutant ceux qui, de loin, confondent pays, peuples et États ». La taille de l’ouvrage et l’ampleur du projet semblent impliquer un objectif pédagogique plutôt que scientifique. Roland Breton signe ici un ouvrage plutôt destiné à vulgariser les relations difficiles qu’entretiennent nations et États depuis l’avènement de cette représentation sociale qu’est la nation, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. De ce point de vue, l’ouvrage est aisé à lire, l’introduction campe bien le projet et le propos de chaque partie est clairement précisé par des transitions. Cependant, l’ouvrage n’est pas novateur. Le projet de disserter de la nation, de sa genèse et de la question complexe qu’elle suppose dès lors qu’elle se traduit politiquement par un État rassemblant sur un même territoire d’autres peuples qui ne se reconnaissent pas forcément dans la nation majoritaire ou qui a pris les rênes de l’État, n’est en rien original. Yves Lacoste a déjà traité de ces considérations dans son Vive la Nation ! Destin d’une idée géopolitique (1998), tandis que d’autres auteurs ont amplement détaillé, de façon plus précise que dans l’ouvrage de Roland Breton, les tenants et aboutissants conceptuels du couple nation / État : on citera par exemple Guy Hermet dans Histoire des nations et du nationalisme en Europe (1997), Anne-Marie Thiesse dans La création des identités nationales (1999), Éric Hobsbawm dans Nations et nationalismes depuis 1780, (1985, version française 1992) ou encore la réflexion conceptuelle poussée de Paul Garde dans Le discours balkanique. Des mots et des hommes (2004). De plus, la lecture révèle rapidement un propos un peu superficiel, sacrifice consenti sans doute à la vocation pédagogique de l’ouvrage, mais qui irrite quiconque s’intéresse à cette dialectique nation / État. La rigueur conceptuelle même de l’ouvrage se trouve écornée par certains choix de formulation de l’auteur. Ainsi, l’auteur parle de nations « transhistoriques et impériales » et évoque les grands empires arabe, turc ou mongol, alors que le concept de nation est anachronique dans ces exemples, puisqu’il n’émerge qu’au XVIIIe siècle. C’est précisément, d’ailleurs, l’éveil du sentiment national des peuples des Balkans et du Moyen-Orient (Arabes, Kurdes, Arméniens …