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Qu’une seule personne puisse avoir l’ambition de traiter tous les aspects de l’Amérique latine en un seul volume, depuis l’époque préhispanique jusqu’à nos jours, en variant les échelles d’analyse et en multipliant les points de vue disciplinaires est en soi un défi titanesque. Avoir su le relever en donnant, du sous-continent, une lecture cohérente et homogène tient presque du miracle. C’est pourtant ce qu’a réussi à faire Nathalie Gravel, dans son ouvrage sur la géographie de l’Amérique latine, en fondant ses analyses sur les points forts de sa formation universitaire : l’étude des territoires et des modes d’organisation des sociétés contemporaines entre le local, le régional et le global. S’il est vrai que le point de départ de ce livre est l’ensemble des cours de géographie régionale que l’auteure a donné depuis 2002 au sein du Département de géographie de l’Université Laval, le lecteur ne perçoit pas le texte final comme une simple compilation de données qui se suffisent à elles-mêmes. Le livre est soutenu par une problématique forte qui permet de construire une véritable démonstration, développée chapitre après chapitre pour justifier un sous-titre provocateur : « une culture de l’incertitude ».

L’aspect initialement scolaire du travail n’apparaît que de manière sporadique, dans quelques paragraphes chargés d’expliquer aux étudiants certaines notions-clés qu’ils n’ont pas le droit d’ignorer, comme la transition démographique illustrée par une courbe classique dont les démographes actuels contestent le tracé idéal (p. 47). Le lecteur peut aussi être surpris par la structure de l’ouvrage, qui alterne chapitres régionaux et chapitres thématiques, puis qui revient à une étude État par État dans le chapitre IX Une géographie de la démocratie en Amérique latine : la difficile construction d’une carte. Cette construction entraîne nécessairement des disparités de traitement entre les pays étudiés, disparités qui s’expliquent parce qu’il est impossible de connaître de manière approfondie toutes les parties d’un continent divisé en 35 États. C’est ainsi que le Mexique bénéficie d’un chapitre complet (18 pages) alors que le Brésil, qui s’impose pourtant comme une puissance émergente de premier ordre (avec la Chine et l’Inde), n’a droit qu’à une sous-partie du chapitre V (11 pages). La même cause entraînant les mêmes effets, ce plan peut amener certaines redites, comme dans le cas du mouvement zapatiste traité dans le chapitre III La résistance autochtone zapatiste et plus rapidement dans le chapitre X L’armée zapatiste de libération nationale, EZLN.

Mais l’essentiel est ailleurs, et en particulier dans la facilité de l’auteure de changer d’échelle sans perdre de vue son propos, bien au contraire, ou de passer d’un point de vue géopolitique sur les systèmes d’intégration régionaux à une étude de géographie économique sur les monocultures d’exportation ou, encore, à des réflexions proches de la géographie culturelle sur la situation des populations indigènes au Mexique, en Équateur ou au Brésil. Dans l’économie du travail de Nathalie Gravel, ces différents cas d’étude s’expliquent les uns par rapport aux autres, ce qui renforce la cohérence et la pertinence de la démonstration.