Comptes rendus bibliographiques

BLETON-RUGET, Annie, COMMERÇON, Nicole et VANIER, Martin (2010) Réseaux en question : utopies, pratiques et prospective. Mâcon, Institut de recherche du Val de Saône-Mâconnais, 432 p. (ISBN 978-9527585-2-9)[Record]

  • Gilles Sénécal

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  • Gilles Sénécal
    Centre-Urbanisation Culture Société de l’INRS

La notion de réseau semble désormais s’appliquer à tout et, particulièrement en géographie ou en aménagement, répondre à l’objectif de la systématisation de la connaissance sur les territoires. La mise en réseau est à la fois une façon d’organiser les connaissances, d’établir les liens et les relations qui unissent les objets ainsi que les personnes ou les groupes sociaux. Qui plus est, comme le rappelle Jean-Marc Offner, elle s’étend désormais à de nouveaux champs, avec la technicisation de la société et ce que Castells appelle l’avènement de la société en réseaux. Devant cette profusion de recours à la notion de réseau, Offner se demande s’il n’y a pas abus : faut-il sauver la notion de réseau ? Il répond par l’affirmative, puisque cette notion permet de comprendre les articulations, les arborescences et les maillages, mais il invite à ne pas survaloriser l’importance des flux et des connexions. La notion reste polysémique et elle serait davantage utile comme boîte à outils (p. 19). Polysémique est bien le mot pour aborder la notion de réseau et bien en saisir toute la portée. Dans ce recueil, qui fait suite à un colloque tenu à Mâcon, en France et présentant 37 communications, le réseau est utilisé comme un mode d’organisation des infrastructures (ferroviaires, numériques, d’approvisionnement d’eau, de surveillance environnementale, de services publics, d’organismes publics), mais aussi comme une façon de penser les liens sociaux et l’architecture des organisations collectives. Comme le fait remarquer Bernard Ganne, le terme réseau revient de plus en plus pour saisir des formes de liens sociaux ou organisationnels, notamment en parlant de réseaux d’entreprises, d’innovation, d’immigration, de réseaux familiaux (p. 31), montrant ainsi la force des liens faibles, pour reprendre Granovetter. Plusieurs questions qui traversent l’ouvrage ont retenu mon attention, notamment l’avènement d’une société en réseaux qui pourrait, à terme, se substituer aux espaces publics urbains, voire conduire à une sorte de démocratie électronique (Ghorra-Gobin). Quelle est la portée des réseaux numériques sur l’aménagement du territoire (Morisset) ? Que ce soit pour la poste (Mignotte) ou les réseaux aériens (Zembri), l’évolution des réseaux techniques de l’État ne devrait pas conduire à des changements radicaux des logiques de domination. Les logiques spatioéconomiques dominantes devraient être maintenues (Morisset, p. 62). Le réseau, dans l’esprit de la géographie traditionnelle, signifie une organisation de la mobilité, d’une part, et une architecture des systèmes urbains, d’autre part. Anne Hecker montre comment la réaffectation des vieux réseaux ferroviaires du pays wallon à des fins de mobilité alternative a permis de reconstituer des réseaux de déplacement de modes alternatifs et détourner les individus de l’usage de leur automobile, de la vitesse en quelque sorte, au profit « de la lenteur, de l’individu et du lien social » (p. 115). La morphodynamique du réseau postal, du XVIe au XIXe siècle, est examinée par Anne Batignolle, qui a suivi les mouvements administratifs de centralisation et d’uniformisation territoriale. Cette enquête historique sur l’évolution d’un réseau sous administration publique est complétée par Nicole Verdier, qui comprend la Poste comme un mode d’appropriation territoriale par l’État et, ce n’est pas banal, comme un objet de cartographie nationale. Sur la gestion de l’eau, en comparant les réseaux techniques « tout en tuyaux » à leur alternative du non-réseau, autrement dit, de l’assainissement local, décentralisé et dit écologique, Catherine Carré ouvre la porte à une approche diversifiée de la gestion des réseaux, une approche souple où interviennent « des savoir-faire organisationnels, un fonctionnement transversal des services urbains, dans le cadre d’un projet territorial partagé » (p. 156). Ce type de réflexion vaut pour les réseaux de surveillance de la qualité de l’air …