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Cet ouvrage collectif tombe à point, dans la foulée du Rapport Pronovost sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois d’une part, et de la crise alimentaire mondiale qui sévit depuis janvier 2008, d’autre part. Il offre une source d’informations attendue et propose de nombreuses pistes de réflexion sur le rôle de l’agriculture dans les échanges commerciaux mondiaux, sur la faim dans le monde – ses causes, ses répercussions, les groupes de population les plus touchés –, sur les inégalités dans la consommation alimentaire mondiale et sur les défis de l’agriculture québécoise.

De facture agréable, le livre offre une lecture facile permettant de glaner ses pages sans devoir respecter l’ordre d’apparition des chapitres. La première partie de l’ouvrage, constituée de l’introduction et des trois premiers chapitres, est indispensable en ce qu’elle réussit une excellente mise en contexte de la crise alimentaire mondiale et des problématiques qui seront analysées dans la deuxième partie par 23 experts invités à se pencher sur les défis de l’agriculture au Québec et ailleurs dans le monde. Cette première moitié de l’ouvrage possède comme fil conducteur les défis humains, politicoéconomiques et agroenvironnementaux auxquels font face à la fois les producteurs agricoles, les États et les consommateurs pour ensemble réussir à nourrir une population mondiale estimée à huit milliards d’individus en 2025. Les perspectives d’avenir incluses dans chaque chapitre, habilement présentées et étayées de statistiques, graphiques et tableaux, sont d’un intérêt certain et offrent une vision lucide du défi de nourrir une population mondiale en croissance dont les besoins sont aussi sans cesse plus nombreux. Préférant parler de défis plutôt que d’obstacles, les auteurs de la première section proposent un regard somme toute optimiste, donnant le ton au reste de l’ouvrage.

La deuxième partie, quant à elle, répond bien au pari qui était lancé, soit de regrouper des avis d’experts provenant de différentes disciplines et champs d’action. Cette brochette d’auteurs on ne peut plus variée parvient à cerner les enjeux qui occupent tant les scientifiques et les employés de la fonction publique québécoise que les producteurs et les consommateurs, tout en présentant aussi les missions de quelques organismes de la société civile oeuvrant dans le secteur agro-alimentaire, dont Équiterre et Oxfam Québec.

La diversité des voix présentées sous la forme de courtes entrevues réalisées avec ces experts montre un souci d’offrir un panorama varié et complet des enjeux agricoles dans le monde, avec d’avantage d’accent placé sur le Québec, l’Asie du Sud-Est et, dans une moindre mesure, l’Afrique. Ce choix de régions n’étonnera personne, étant donné la composition de l’équipe de rédaction à l’origine de l’initiative, soit des membres de la Chaire de recherche du Canada en études asiatiques. L’effort pour créer des liens avec l’agriculture au Québec et les perspectives d’avenir globales est louable ; il permet de capter l’intérêt d’un vaste lectorat et de suggérer des allers-retours constants entre « l’ici et l’ailleurs ».

Comme la présentation systématique des regards d’experts sous forme de questions et réponses fait preuve d’une certaine uniformité et étant donné que plusieurs thèmes se recoupent, cela génère à l’occasion un effet de répétition qui se dissout toutefois si l’on opte pour une lecture désordonnée de la deuxième partie. À défaut d’offrir un contenu toujours original, cette méthode d’ordonnancement est du moins convaincante. Ainsi, est-il possible de percevoir un consensus d’experts sur des sujets tels que les agrocarburants, les risques associés à l’engouement pour le modèle occidental de surconsommation, les difficultés de la relève agricole au Québec, les bienfaits de l’achat local, la souveraineté alimentaire, les difficultés de concilier conservation environnementale et production agricole ainsi que les solutions de rechange au modèle agricole québécois, entre autres l’agriculture biologique et l’agriculture soutenue par la communauté (ASC).

Les experts les plus audacieux suggèrent que la crise alimentaire mondiale actuelle puisse servir de tremplin pour repenser les modes de consommation et de production agricole. Leurs contributions ont l’avantage d’offrir un nouvel angle de réflexion – contrairement aux auteurs qui adoptent davantage une position analytique des défis auxquels font face les acteurs du secteur agricole –, sorte de brise de créativité nécessaire pour repenser l’organisation des filières agroalimentaires traditionnelles.

Cet ouvrage collectif parvient à présenter de manière succincte des notions fort complexes sous-tendant le fonctionnement du système agroalimentaire à différentes échelles géographiques, sans par ailleurs tomber dans le piège de la simplification. On y présente les notions de sécurité et de souveraineté alimentaires, les négociations ayant trait à l’agriculture à l’OMC et les risques associés aux agrocarburants tout en conservant un haut niveau de complexité. Ces notions seront très instructives pour des groupes d’étudiants ou toute personne désireuse de contribuer à la réflexion. Je recommande en fait cet ouvrage comme manuel de cours dans les domaines de l’agronomie, de l’économie rurale, de la sociologie rurale, des sciences de la consommation et de l’alimentation et des sciences géographiques, toutes des disciplines interpellées par les différents contributeurs.

Un dernier point de cet ouvrage méritant d’être salué est le lien qui a été fait entre la terre et la table, impliquant des notions de responsabilité citoyenne. Certains experts ont eu la bienveillance de valoriser le pouvoir des citoyens-consommateurs dans le système agroalimentaire et d’y enfouir les graines d’espoir que la société se dotera un jour d’une agriculture sachant répondre adéquatement aux besoins des populations locales. La notion de souveraineté alimentaire, en tant que droit des peuples de choisir leurs propres politiques agricoles, suggère que l’État doit être à l’écoute des besoins des producteurs agricoles nationaux ainsi que des citoyens et qu’il doit recommencer à valoriser l’agriculture pour sa fonction nourricière, et non seulement commerciale.

Il est par ailleurs regrettable que des solutions de rechange dans le domaine de la gestion des milieux et des productions agricoles ayant fait leurs preuves n’aient pas été davantage présentées. Parmi elles, on compte l’agroforesterie et les coopératives agricoles qui retiennent une attention insuffisante dans cet ouvrage, alors qu’elles offrent, comme bénéfices, la diversification et l’augmentation des revenus des petits producteurs, tant au Québec qu’ailleurs dans le monde.