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Introduction

Dès que l’on s’intéresse aux quartiers défavorisés, une première difficulté surgit : celle de les nommer. Ces quartiers sont souvent désignés par des termes à connotation négative faisant référence à une norme urbanistique et foncière non respectée par leurs habitants, ainsi qu’à un lien spatialement et socialement absent avec le reste de la ville (Jacquemot, 2016). Favelas (au Brésil), gecekondus (en Turquie), villas miserias (en Argentine), slum (en Inde), squatters (dans les pays anglophones), kebbé ou gazra (en Mauritanie), achwaiya (en Égypte), faoudhaoui (en Algérie), etc., autant de qualificatifs souvent réducteurs qui pointent des fragments associant un ou plusieurs éléments de précarité et de stigmatisation sociale. Cette précarité est à la fois sociale, urbaine et foncière (AFD, 2014), ce qui présente pour les autorités publiques un défi multidimensionnel : politique, social, économique, urbain, environnemental et sanitaire.

Lutter contre la pauvreté et améliorer les conditions de vie des habitants de quartiers précaires constituent l’enjeu de nombreux pays et instances de décision internationales. Cela est surtout vrai depuis le sommet des Nations unies sur l’avenir des établissements humains (Habitat II), tenu à Istanbul en juin 1996 et dont le premier bilan a été dressé à New York en juin 2001 (Istanbul+5). Or, la permanence et le développement accéléré de ces quartiers révèlent que les politiques et programmes adoptés jusque-là pour les résorber ont plus ou moins échoué (Deboulet, 2007 : 67). Le nombre de personnes qui y vivent s’approche du milliard et devrait passer à deux milliards en 2030, selon l’Organisation des Nations unies (ONU)-Habitat (Deboulet, 2016). Cela nous fait croire que les quartiers précaires sont un fait durable ne pouvant pas être résorbé à court terme. Néanmoins, un consensus est établi (par les instances internationales précitées) sur la nécessité d’intervenir au sein de ces quartiers en vue d’une intégration urbaine et d’une amélioration du cadre de vie de leurs habitants. Cela ne sera possible, selon les résultats de nombreux travaux engagés par l’Agence française de développement (AFD) (2014), qu’en garantissant l’accès aux services de base ainsi qu’à un logement décent et convenable, en luttant contre les différentiations sociospatiales, en maîtrisant les risques et réduisant les vulnérabilités, et en assurant un développement socioéconomique desdits quartiers.

Force est de reconnaître que cette problématique mondiale touche notamment les pays du Sud au sein desquels 998 millions de personnes (soit un quart des citadins du monde) habitent dans des bidonvilles (AFD, 2009). Si le phénomène est commun à plusieurs pays du Sud, les conditions de son émergence et de son développement changent d’un pays à l’autre, voire d’une ville à l’autre. En Algérie, ce problème est la conséquence d’une croissance urbaine rapide non suffisamment accompagnée, ainsi que de mutations socioéconomiques et culturelles profondes. Le problème vient également d’une situation sociopolitique remontant aux années 1990.

Le développement de bidonvilles et de l’habitat précaire est renforcé par l’écart croissant entre la demande et l’offre de logement. Cela nous renvoie, tout au moins du strict point de vue politique, à l’étude élaborée par le ministère de l’Habitat (1998a : 3) dans le cadre d’un projet de résorption de l’habitat précaire (RHP). Cette étude a montré que, de 1962 à 1995, la croissance annuelle moyenne du nombre de logements en milieu urbain était inférieure à 2 % tandis que la croissance démographique était de l’ordre d’environ 2,7 % par an, et celle de la population urbaine, de 5,4 %. En 1994, la même étude (Idem : 9) a montré qu’environ 400 000 logements urbains ne répondaient plus aux critères minimaux de salubrité et d’habitabilité (accès inexistant ou réduit aux commodités urbaines) et que 120 000 logements précaires nécessitaient une reconstruction urgente.

La prise de conscience de ce phénomène s’est cristallisée par certaines opérations engagées pour le résorber et aussi par l’intérêt que lui ont porté des chercheurs dans leurs travaux. Mentionnons l’ouvrage de Hafiane (1989), Les défis à l’urbanisme, l’exemple de l’habitat illégal à Constantine, ainsi que le mémoire de maîtrise de Kassab (1992) et la thèse de doctorat de Serrab-Moussannef (2006) portant respectivement sur les critères et instruments d’intervention par la maîtrise de l’habitat spontané, et la RHP par le logement évolutif.

Il convient aussi de préciser qu’à partir des années 1990, la résorption de ce phénomène s’est consolidée par l’émergence de nouvelles approches participatives, lesquelles posent la question des objectifs qui les fondent et des choix stratégiques qui les structurent, notamment sur les modalités de leur mise en oeuvre (Mansion et Rachmuhl, 2012). C’est dans cette optique qu’un programme de RHP a été lancé par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme (1998-1999), appuyé par un prêt de la Banque mondiale au montant initial de 150 millions de dollars américains, restructuré à 40 millions de dinars algériens (DA). Ce programme visait à améliorer les conditions de vie des familles à bas revenu résidant dans les quartiers insalubres. Il visait aussi à prévenir la reproduction de tels quartiers par le développement de l’offre de terrains à bâtir accessibles aux ménages défavorisés et par la protection de l’environnement urbain (ministère de l’Habitat, 1998a).

Cette opération urbaine, ainsi que Serrab-Moussannef l’a développé dans sa thèse de doctorat (2006 : 133), constitue un choix d’orientation politique qui nécessite des décisions et arbitrages avant leur traduction opérationnelle par de nouvelles méthodes d’interventions et procédures adaptées. Inspirée des expériences menées dans différents pays tant africains (Tunisie, Maroc) qu’américains (Chili, Venezuela, Brésil, etc.), la stratégie algérienne dans le domaine de lutte contre l’habitat précaire a connu un double résultat : faiblesse et succès partagés. Ne mérite-t-elle pas une analyse par un retour sur l’expérience permettant un apprentissage dans un objectif d’amélioration continue ? Aux fins de cette analyse, notre étude présentera les principes du programme de RHP, expliquera les outils déployés et exposera les résultats obtenus, en vue d’une réflexion sur de nouvelles stratégies d’intervention dans le cadre d’un développement urbain durable.

Méthodologie d’approche

Notre démarche méthodologique s’inscrit dans le cadre d’une analyse urbaine dépassant le stade d’une simple lecture descriptive. Nous mesurons l’écart entre les avancées supposées du programme RHP et la réalité sociospatiale actuelle. Pour ce faire, nous nous basons principalement sur l’observation visuelle et la collecte de données relatives aux quartiers précaires : rapport écrit du Plan directeur d’aménagement et d’urbanisme (PDAU), documents graphiques et cartographiques, photographies, etc. La collecte de données a nécessité des visites auprès des organismes chargés de la gestion de l’opération, soit la Direction de l’urbanisme et de la construction (DUC) et la commune comme collectivité territoriale de base ne disposant que de peu d’information en la matière.

Pour la pertinence du travail, nous avons dû recourir, en premier lieu, aux résultats de l’enquête sur les effets sociaux des politiques de relogement dans les villes d’Alger et d’Annaba. Cette enquête par questionnaire et entrevue en profondeur a été menée en 2003 auprès de 100 ménages et de représentants de comités de quartiers, à l’occasion du Programme de recherche urbaine pour le développement (PRUD) sous la coordination scientifique de la professeure Françoise Navez-Bouchanine. Les responsables locaux de l’enquête étaient le professeur Madani Safer-Zitoun, pour le cas d’Alger, et le docteur Abderrahim Hafiane, pour celui d’Annaba, avec l’assistance ponctuelle de jeunes chercheurs et doctorants algériens dont nous faisions partie. Les données nécessaires pour engager l’enquête de terrain sont principalement liées à la date d’installation dans le logement, aux motifs du déménagement, au lieu d’installation précédent, à la nature du logement, au statut d’occupation du logement ainsi qu’à la contribution financière des bénéficiaires au projet. Toutefois, et dans le but d’actualiser ces données, des visites réitérées des lieux se sont imposées afin d’examiner minutieusement la situation du site et l’évolution de la vie urbaine dans un quartier plus ou moins récent concrétisé à partir de 2000. Cela a été entériné par des entretiens réalisés avec un groupe d’habitants selon un choix fait aléatoirement et avec les services chargés de la gestion de l’opération de relogement : la DUC d’Annaba.

La problématique des quartiers précaires en Algérie

La problématique des quartiers d’habitat précaire est ancienne. Elle remonte à l’époque coloniale ayant connu, en 1930, l’apparition des premiers bidonvilles. Aujourd’hui, ces implantations continuent de s’imposer dans le paysage urbain en se développant dans les périphéries des grandes villes. Dans son document consacré à la RHP (1998a et 1998b), le ministère de l’Habitat précise que pendant la décennie noire qu’a connue l’Algérie entre 1990 et 2000, pour des raisons sécuritaires, plusieurs familles ont fui les zones rurales isolées et non sécurisées afin de s’installer à proximité des grandes agglomérations, comme Alger qui a enregistré (en 2003) 24 000 habitations précaires parmi les 544 000 existant sur le territoire national (Serrab-Moussannef, 2006 : 104). En 2010, le chiffre pour tout le pays est passé à 554 000, tous types d’habitation précaire confondus, 60 % de cet habitat précaire étant localisé en zone urbaine et 40 % en zone rurale (Centre de presse El-Moudjahid, 2010). Partant de ces données, nous pouvons considérer que les zones d’habitat précaire, y compris les bidonvilles et les sites spontanés non équipés, sont concentrées dans les grandes villes et couvrent, selon la même étude (Banque mondiale, 1998a : 2; ministère de l’Habitat, 1998a : 9), une surface totale de 17 000 ha sur le territoire algérien.

Ainsi, compte tenu de leur taux d’accroissement démographique élevé (supérieur à 4,5 % par an), Alger, Tipaza, Blida, Constantine, Oran et Annaba sont affectées par des formes d’habitat précaire. Les dénombrements effectués par le ministère de l’habitat dans le cadre du projet de lutte contre l’habitat précaire révèlent que 40 % des communes sont affectées, soit 270 constructions précaires par commune dans les périphéries urbaines et les centres des villes, sur des terrains inadaptés à la construction (flanc de montagne, près d’un ravin ou d’une zone industrielle). Il convient ici de préciser que 74 % de ces constructions localisées au centre et à l’ouest du territoire algérien sont réalisées en dur sommaire (baraque en parpaing et tôle sans structure porteuse), contre 26 % de bidonvilles et assimilés [1] localisés à l’est. En se référant à cette étude, on peut avancer qu’environ 40 % des constructions en dur ont été réalisées avant 1962, période correspondant aux camps de regroupement et aux cités de recasement [2] (Serrab-Moussannef,  2006 : 104).

En dépit de cette situation alarmante correspondant à 554 000 baraques à travers le territoire national, et comparativement aux pays arabes, l’Algérie dénombre un taux d’habitat précaire des plus faibles ne dépassant pas 10 % du parc national de l’habitat. En chiffres, « ce type d’habitat est de 39 % en Égypte, de 32 % au Maroc et en Libye et de 94 % en Mauritanie » (Centre de presse El-Moudjahid, 2010).

Des politiques de lutte contre l’habitat précaire

Les quartiers précaires sont des noyaux de pauvreté où s’accumulent des populations pauvres et souvent sans activité. Le document élaboré par la Banque mondiale (1998a), consacré au projet RHP en Algérie, qualifie ces zones comme étant favorables à l’insécurité et au développement de différents maux urbains (chômage, délinquance, drogue, etc.). C’est pourquoi elles deviennent une des priorités majeures des politiques publiques. Des solutions de rechange ont été envisagées en conséquence, la principale consistant en un programme rapide sans beaucoup de changement dans la politique d’amélioration de l’habitat précaire (Idem : 9). En juin 1996, une nouvelle politique a été élaborée pour éradiquer l’habitat précaire principalement localisé dans la région d’Alger. Cependant, cette politique onéreuse a montré ses limites quant aux stratégies de déplacement de populations se révélant non satisfaisantes, et aussi quant au développement continu des bidonvilles, ce qui a amené l’État algérien à repenser de nouvelles méthodes reposant fondamentalement sur un cadre politique durable. Dès lors, on peut croire que les opérations urbaines constituent un des outils d’amélioration des conditions de vie des habitants des quartiers en difficulté. Ces opérations de réhabilitation, de restructuration ou de résorption sont reconnues par Mansion et Rachmuhl (2012 : 6) comme un défi pour le développement et la lutte contre les inégalités sociospatiales. Au demeurant, il est possible d’admettre que la stratégie de l’Algérie dans la lutte contre l’habitat précaire a connu deux politiques. Engagée avant 1997, la première correspondait à la politique des logements locatifs destinés aux familles à bas revenus. Elle n’a pas répondu aux objectifs visés compte tenu que la fourniture de logements locatifs à des coûts élevés a entraîné la hausse des aides afin de rattraper les écarts entre coûts de location et revenus des bénéficiaires. L’année 1997 a vu l’élaboration d’une nouvelle politique visant à fournir en pleine propriété, aux habitants des bidonvilles et baraquements, des services ainsi que des sites dotés de logements évolutifs d’une superficie de 35 à 49 m².

Principes et objectifs du projet rhP

Envisagé par le ministère de l’Habitat avec l’appui de la Banque mondiale, le programme RHP s’inscrivait dans le cadre de la nouvelle politique de l’habitat mise de l’avant par les pouvoirs publics. L’objectif de cette politique s’articule autour de trois étapes en corrélation. La première est d’opter pour une approche globale, tant urbaine que communale, pour résorber l’habitat précaire. La deuxième consiste à établir des critères permettant de cibler les populations démunies pour acheminer efficacement l’aide de l’État. Et enfin, une dernière étape met en place les mécanismes de participation des populations concernées par le programme (ministère de l’Habitat, 1998a ; 1998b).

Au plan opérationnel, le projet reposait dès lors sur deux opérations fondamentales : la viabilisation (réseaux, voirie, électrification, etc.) des terrains bâtis occupés et l’octroi des actes de propriété des terrains équipés, ainsi que la construction de logements évolutifs sur les terrains aménagés. Ceci ne serait possible qu’avec une assistance financière.

Figure 1

Les trois catégories de RHP en Algérie

Les trois catégories de RHP en Algérie
Source : Ministère de l’Habitat, 1998a | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Tableau 1

Répartition des sites par division administrative (wilaya)

Répartition des sites par division administrative (wilaya)
Source : Mebirouk, 2017

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Tel que l’indique le document cadre de la politique de réinstallation du programme RHP élaboré par le ministère de l’Habitat (1998b : 1), le programme en question est appelé à financer des opérations d’un montant global de 200 millions de dollars américains, réparti en plusieurs sous-projets touchant différentes régions du territoire algérien selon leur classification dans l’une des catégories suivantes : sous-projet de RHP par le relogement ; sous-projet de restructuration des zones d’habitat urbain (RES) ; et sous-projet d’offre et d’aménagement de lotissement préventif (LP). En tout état de cause, ces trois catégories concourent à l’amélioration des conditions de vie des populations les plus défavorisées (figure 1).

Il faut mentionner ici qu’une phase de préparation des opérations urbaines retenues a été nécessaire par la sélection de 12 sites représentatifs localisés respectivement dans les wilayas de Constantine, Blida, Tipaza et Annaba (tableau 1). Les critères de sélection des sites tiennent compte de l’aspect physique ainsi que des objectifs de développement. Ils se résument en une fiche de projet (contenant les données détaillées du site) préparée par la DUC et approuvée par le Comité des aides RHP du ministère de l’Habitat devant être soumise à l’examen de la Banque mondiale (1998a : 14).

Il va sans dire que la division administrative (wilaya) d’Annaba détient le tiers des sites retenus (quatre sites) avec le relogement comme opération exclusive.

Programmes de lutte contre l’habitat précaire à Annaba

Annaba est une ville située au nord-est de l’Algérie (figure 2) dont le développement au cours de la période coloniale était dû à un port spécialisé notamment dans l’exportation de minerai de fer et de phosphates. En 1954, la ville devait se développer sur le site d’Hippone (actuellement la subdivision (daïra) d’El-Bouni) avec la prise en charge des populations en matière d’habitat et d’infrastructures. Mais au départ des Français, le programme ne tarda pas à être annulé, à l’exception de ce qui avait été déjà réalisé.

Figure 2

Limites de la wilaya d’Annaba

Limites de la wilaya d’Annaba
Source : Mebirouk, 2011 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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De 1962 à 1966, l’afflux de population vers la ville a été absorbé par les logements laissés par les colons. Ce n’est qu’en 1967 que fut lancé un programme industriel ambitieux reposant sur la construction du complexe sidérurgique d’El-Hadjar (un des principaux pôles industriels algériens) suscitant la création de 500 emplois et générant un accroissement démographique excessivement élevé par la combinaison d’une croissance naturelle forte et d’un solde migratoire important. Durant la période 1966-1969, cet excédent démographique s’est surtout soldé par la surdensification des logements existants et la cohabitation de plusieurs ménages, soit la forme la plus courante d’occupation des logements. Il convient ici de rappeler qu’entre 1970 et 1981, le complexe sidérurgique d’El-Hadjar employait environ 25 000 ouvriers (sur une population de plus ou moins 150 000 habitants) provenant des zones rurales. Cette situation a entraîné la saturation des anciens quartiers et, par voie de conséquence, le développement de l’habitat précaire localisé principalement dans les zones périphériques (Mebirouk, 2002 : 74).

Les années 1980 ont ainsi connu un vaste programme national de RHP centré sur les quartiers les plus « sensibles » d’Annaba, à savoir Bouhamra (Commune El-Bouni), Beni M’haffeur, Sidi Brahim et la Vieille ville (Commune d’Annaba) (figure 3). L’objectif était, d’une part, la réhabilitation du quartier spontané « durcifié [3] » (Beni M’haffeur), la restructuration des quartiers urbains dégradés (Sidi Brahim), la sauvegarde du centre historique (Place d’armes) et, d’autre part, la résorption du bidonville de Bouhamra, abritant à l’époque 20 000 habitants, en lui offrant un groupement de logements évolutifs. Mais la mise en place de ce programme s’est soldée par un échec cuisant, du fait que la réalisation des études techniques nécessitait des ressources financières dépassant les possibilités de l’État et, également, parce que la complexité de la gestion des opérations s’avérait trop grande.

Dans le cadre de la politique de report de la croissance urbaine lancée en 1983, l’action de l’État en matière de logement était décisive. Les autorités politiques ont condamné l’exode rural et, conséquemment, ont adopté une politique de retour à la campagne : la pratique de « débidonvillisation » est devenue une opération prépondérante. Cette expérience, bien que sur une base volontaire, ne fut pas sans conséquence sur la multiplication des bidonvilles. En effet, en l’absence de règles et procédures conformes, le transfert forcé des populations vers les sites lointains a affermi le sentiment d’exclusion sociale et suscité de nouveaux foyers d’habitat précaire. Par ailleurs, la RHP a été entreprise par « l’auto-construction » et la prise en charge de la population « bidonvilloise » qui s’est construit un nouvel habitat social en rez-de-chaussée. Des ensembles d’habitations de moindre qualité sont le fruit de cette opération, implantés généralement sur des sites escarpés en rupture de continuité avec leur environnement (Serrab-Moussannef, 2006).

Tableau 2

Les sites retenus pour le compte d’Annaba

Les sites retenus pour le compte d’Annaba
Source : Banque mondiale, 1998a

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Figure 3

Localisation des quartiers sensibles d’Annaba

Localisation des quartiers sensibles d’Annaba
Source : Mebirouk, 2017 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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À la lumière des statistiques, en 1998, Annaba dénombrait 1392 baraques. Cet état des lieux préoccupant lui a permis de s’inscrire parmi les villes les plus affectées et de bénéficier des avantages de la nouvelle politique mise en place. L’opération globale de RHP réservée à Annaba s’élevait à 1500 logements. Les sites retenus étaient au nombre de quatre, répartis sur trois communes (tableau 2).

Évoquer la politique du RHP nous conduit à évoquer ses moyens de mise en oeuvre. Cette politique s’est matérialisée sous la forme de programme de logement évolutif régi par l’instruction ministérielle no 008 du 1er août 1995. Elle a défini un nouveau type de logement fournissant à la population « bidonvilloise » une aide frontale au logement sous la forme d’un noyau d’habitat évolutif (surface couverte de 35-49 m2) doté de quelques équipements sur des terrains viabilisés et construits conformément aux exigences réglementaires et normatives de construction, notamment les règles sismiques. Les logements devraient ainsi disposer de conditions sanitaires convenables et être organisés autour d’une chambre, d’une cuisine et d’un bloc sanitaire pouvant s’étendre sur une parcelle de 80 m² (Moussannef-serrab, 2001).

Le programme rhp, quels acteurs et pour quelle mission ?

Le programme RHP est piloté par le ministère de l’Habitat, chargé de sa supervision et de sa coordination grâce à une cellule permanente attachée à la Direction de l’Architecture et de l’Urbanisme [4]. La gestion de l’aspect financier et l’exécution de l’opération sont assignées aux organismes suivants.

La caisse nationale du logement

La gestion de l’aspect financier de l’opération est assurée par la Caisse nationale du logement (CNL), dépositaire du Fonds national au logement (FONAL), à travers le Comité des aides RHP supervisant l’affectation des aides aux différents organismes d’exécution à l’échelle locale.

Organismes d’exécution

Est confiée à la Direction de l’Urbanisme [5] la gestion de l’étude, du financement et de la conception du programme liés aux opérations urbaines implantées sur le territoire wilayal (départemental dans les pays occidentaux). Cela n’exclut pas le rôle de la commune, qui reste déterminant dans les processus d’exécution des opérations de RHP à travers la sensibilisation de la population concernée et le recouvrement du coût (Belarbi, 2008 :  101).

Après le montage du programme, l’exécution est confiée localement à l’Agence foncière communale ou intercommunale et à l’Agence pour l’amélioration et le développement du logement (AADL) comme maîtres d’ouvrage délégués. Ces deux agences sont chargées de recenser la population, d’acheter les assiettes foncières des sites concernés et de gérer le plan de réinstallation (physiquement et humainement) relativement aux aspects financier et légal de l’opération (recouvrement des coûts, délivrance de titres fonciers, etc.) (ministère de l’Habitat, 1998b).

La mission d’étude, de viabilisation et de réalisation des habitations est confiée aux bureaux d’études et aux entreprises de réalisation.

Sidi-Harb, un site de concrétisation du programme RHP

Présentation du site

Situé sur les flancs du mont de l’Edough à l’ouest de la ville d’Annaba (figure 4), Sidi-Harb est un bidonville composé de quatre zones. Les trois premières, Sidi-Harb I, II et III, ont été réalisées en 1992 sur des terrains vierges dans le cadre de la promotion foncière. La quatrième zone, correspondant à Sidi-Harb IV, a été retenue pour concrétiser le programme RHP, fondé sur l’aménagement de 500 logements évolutifs financés par la Banque mondiale. En 1994, ce site d’une superficie de 12 ha contenait 456 baraques en parpaing et matériaux de récupération, et 468 ménages où les facteurs d’exclusion sociale sont omniprésents et les conditions d’hygiène les plus infectes.

Figure 4

Localisation du site de Sidi-Harb

Localisation du site de Sidi-Harb
Source : Mebirouk, 2017 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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La mise en oeuvre du programme RHP

La mise en place et l’exécution du programme RHP ont pour objectif d’améliorer les conditions de vie et d’habitat des populations en leur offrant gracieusement des logements évolutifs selon les normes de construction requises. Selon l’étude réalisée par la Banque mondiale (1998b), le montage de l’opération passe nécessairement par cinq phases que nous tentons de présenter succinctement afin de mettre en relief les obstacles rencontrés pour le cas de Sidi-Harb.

La première phase du montage du sous-projet est la sélection du site selon les critères d’éligibilité retenus. Le dossier de sélection comporte une série de documents allant de la description du site à l’estimation financière, en passant par la réalisation du recensement et l’éligibilité environnementale. À l’issue de l’accord par la cellule RHP et la Banque mondiale, les crédits d’étude seront débloqués par la CNL et mis à la disposition du maître d’ouvrage pour lancer la phase de l’avant-projet sommaire (APS) dont la pièce centrale est le projet de convention d’opération qui regroupe les engagements techniques, financiers et juridiques des partenaires impliqués. Une fois l’« opérateur » sélectionné (il s’agit ici de l’agence foncière chargée de préparer le dossier d’avant-projet détaillé : mesures environnementales et sociales, dossiers d’appel d’offres et marchés d’entreprise), la DUC et la CNL s’engagent sur le projet en signant la convention d’opération. Après la signature de cette convention, l’opérateur veille à la réalisation des études de détail. La phase des travaux correspond au lancement des travaux par les entreprises selon le marché et dans les enveloppes financières retenues.

Des obstacles mis en relief

L’expérience passée du montage a mis en relief certains obstacles, dont les principaux concernent les plans de financement de la convention, les plans de réinstallation et d’actions environnementales et les retards dans l’achèvement de l’opération.

Des plans de financement de la convention non respectés

Les documents n’étaient pas conformes aux valeurs établies par les pouvoirs publics, ce qui pose des problèmes insolubles, sachant que la CNL, tel que stipulé par le décret de décembre 1997, dispose pour chaque opération des crédits correspondant au nombre de lots sociaux (75 000 DA par lot social) et au nombre de logements évolutifs (350 000 DA par logement évolutif) (Banque mondiale, 1998b).

Des plans de réinstallation et d’actions environnementales non cohérents

Les documents préparés par l’opérateur s’avéraient sans cohérence réciproque. À titre d’exemple, mentionnons deux documents relatifs à la deuxième phase du montage du projet : le plan de réinstallation impliquant les déplacements des ménages et le plan d’action environnementale. L’incohérence des deux documents influe négativement sur le projet technique par son redimensionnement.

On doit aussi préciser que le plan de réinstallation, qui a pour objet de réduire l’ampleur des déplacements, n’a pas été élaboré conformément aux dispositifs adoptés pour la confection du projet de relogement. Le cadre associatif a été négligé, dans une opération se voulait pourtant participative par l’adhésion de la population concernée dans les différentes phases du projet. Cette faille a aussi été constatée dans le plan d’action environnementale résumant la situation environnementale du site et les contraintes y afférentes. Les données réunies devaient être confirmées sur le terrain en interrogeant les représentants de la population concernée. Pour que le projet ait un impact positif, l’évaluation devait intégrer les différents aspects environnementaux, y compris l’impact relatif à la pollution industrielle superficiellement évaluée dans ce projet.

Des retards dans l’achèvement de l’opération

Lancée en 2000, l’opération a touché de prime abord les constructions illicites les moins denses, avec une durée prévisionnelle de livraison ne dépassant pas 12 mois (2001). Mais force est de constater que la livraison n’a pas été accomplie dans sa totalité et qu’en 2003, d’après les résultats de l’enquête effectuée, seulement 92 logements avaient été livrés. D’autre part, les services chargés de la gestion de l’opération au sein de DUC nous ont confirmé que, jusqu’à une date récente (avant la clôture de l’opération), 100 logements étaient à court d’assiette constructible. Ce qui reste des terrains est de type escarpé et de nature rocheuse imposant inévitablement des surcoûts non pris en charge, notamment face à un financement limité et à un prix de logement dérisoire estimé à 400 000 DA. Ce retard dans l’achèvement de l’opération est renvoyé, d’une part, au retrait précoce de la Banque mondiale et, d’autre part, à « l’augmentation du prix des matériaux qui a entraîné la réduction de l’aide de l’État en termes de prestations “ qualité du logement offerte ” vu que le prix du logement n’a pas changé : 500 000 DA avec une part du citoyen estimée à 50 000 DA ». Les crédits offerts sont défectueux par comparaison aux besoins des ménages et en raison de la hausse des coûts de construction.

Dans cette perspective, on peut admettre que le financement est à l’origine de ce retard, mais à la procédure administrative s’ajoutent les modifications apportées au type de logement, réduisant en conséquence la surface de l’assiette, insuffisante pour accueillir les 100 logements restants. Malgré l’inachèvement de ce projet correspondant à la réalisation de 80 % des logements et à la viabilisation d’environ 70 %, selon Nadir Ammar de l’Est républicain d’Annaba du 17 février 2015, la clôture définitive de ce dossier a fait l’objet d’une réunion du maire et des différents intervenants.

La part de la population dans le projet RHP

Le principal objectif du projet RHP était d’aider le gouvernement algérien à améliorer efficacement et durablement les conditions de vie et d’habitat dans les zones sensibles et en difficulté comme le site de Sidi-Harb. Cet objectif devait pouvoir être atteint par la réalisation de ce programme d’investissement visant à fournir des logements abordables et des infrastructures destinés à plus de 500 ménages. Néanmoins, la clôture du programme avant son terme (juin 2003) témoigne, selon l’étude réalisée par le PRUD (2004 : 92), de la difficulté de l’administration algérienne à exécuter des programmes dont le montage repose essentiellement sur la participation de la population bénéficiaire. On peut dès lors affirmer que la gestion de la participation des populations concernées correspond aux principes de base de la Banque mondiale. Les habitants sont considérés comme acteurs principaux dans lesdits projets et ont une part active dans la procédure de démarrage et de mise en oeuvre du sous-projet, notamment dans la réinstallation, au cours de laquelle ils sont contactés d’une manière exhaustive ou par échantillon, grâce à leur représentant. Il n’en demeure pas moins que la population interrogée atteste que l’opération est mise en oeuvre sans une large participation des bénéficiaires. Cela nous conduit à poser la question suivante: à qui incombe la responsabilité ?

L’accompagnement social renvoie, selon Mansion et Rachmuhl (2012 : 6), à différents types d’activité (information, animation, concertation, accompagnement administratif, etc.) qui interviennent à différentes phases des opérations. Dans le projet de Sidi-Harb, l’implication des organisations communautaires locales dans la mise en oeuvre du projet était prévue. Dans chaque site, les populations résidantes devaient être informées de la préparation du sous-projet et des retombées positives attendues sur l’environnement. La participation se concrétisait à travers les représentants élus dans les comités de quartier, lesquels n’ont pas joué leur rôle dans la sensibilisation des citoyens alors qu’ils étaient amenés à prendre part aux réunions d’information organisées par les administrations locales et à recevoir les rapports d’avancement des sous-projets, régulièrement et en temps réel. Les relogés de Sidi-Harb IV nous informent que certains représentants du comité du quartier « ont failli à leur mission après avoir falsifié la liste, initialement établie, des bénéficiaires de l’opération Sidi-Harb III » (comportant 68 logements communaux) dont l’occupation était à titre gracieux. Faire partie du comité de quartier a été perçu comme un contre-pouvoir, ce qui a multiplié le nombre de comités dans le site. Les représentants chargés de l’opération soulignent à cet effet que « ce n’est pas surprenant de trouver, dans le même site, deux comités de quartier où chacun exerce son influence sur une partie de la population ».

Les atouts et faiblesses du relogement au sein de Sidi-Harb

Le logement évolutif est une intervention publique sur les quartiers d’habitat précaire visant à améliorer le fonctionnement et l’image d’une partie de la ville ainsi que son identité fortement marquée par l’exclusion. Mais force est de constater que cette formule a procuré une réponse inadaptée aux attentes des populations relogées. Cette hypothèse repose sur l’analyse de Deboulet (2007 : 67) ayant montré que plusieurs interventions visant à résorber ou restructurer les quartiers informels ont été déployées depuis plus de 40 ans, mais que l’échec de ces programmes est attesté même dans les projets les plus médiatiques. Le projet RHP de Sidi-Harb n’est pas à la mesure des attentes et des enjeux, ni dans ses modes opératoires, ni même dans ses résultats. Cependant, le projet a pour ainsi dire véhiculé une nouvelle stratégie de lutte contre l’habitat insalubre. L’évaluation de cette expérience permet incontestablement de dégager des atouts, ainsi que des faiblesses.

Les atouts tirés du projet de Sidi-Harb

La formule de l’habitat évolutif a constitué une solution de rechange pour les populations les plus démunies, en général, et pour celles de Sidi-Harb, en particulier. Grâce à une opération tiroir où les déplacements n’ont pas dépassé une centaine de mètres, ces populations ont conservé leur lieu de résidence. Le relogement dans le site a connu – opération tiroir oblige – des modalités d’installation progressive (par petits groupes), sans égard à la gestion des déplacements qui s’inscrit dans les principes fondamentaux de la Banque mondiale.

Le relogement en tant qu’opération a fait que les baraques ont été totalement démolies pour être remplacées par des constructions normalisées de type évolutif, livrées aux habitants à partir de 1999. L’enquête de terrain confirme que ce programme a permis aux résidents d’acquérir un logement en dur permettant d’améliorer leur cadre social et d’accéder à un logement décent corroboré par un statut de propriétaire faisant oublier la précarité juridique longtemps vécue. Le terrain acquis devait normalement recevoir des constructions dont la plus grande part du prix d’achat était subventionnée.

On peut sans doute affirmer que les prétendus avantages ne sont quasiment pas obtenus si l’on sait que les bénéficiaires ne possèdent aucun statut hormis le bordereau attestant une contribution financière estimée à 40 000 DA (coût de terrain). Les bénéficiaires ont manifesté leur mécontentement en interpellant les autorités sur des actes longuement attendus. Dans l’espoir que leur attente prenne fin, ils ont rédigé une lettre ouverte, publiée dans le quotidien El Watan (2011) et adressée au président de la République. En tout état de cause, et en se basant sur les avis comparés, on peut affirmer qu’à travers ce programme de relogement, les familles ont développé un projet de qualité peu admissible et au moindre coût, au moyen d’une cellule évolutive de base pouvant théoriquement répondre aux besoins résidentiels générés par l’évolution de la taille et de la structure des familles. Si l’acquisition d’un logement décent comme droit humain et social reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme et réclamé par la Conférence des Nations unies pour les établissements humains (Debout, 2016 : 11) est un avantage à souligner, peut-on aussi montrer les faiblesses liées au projet ?

Des insuffisances à définir ?

Pour cerner les insuffisances liées au projet RHP, nous avons été amenés à faire enquête avec les services chargés de l’opération et un groupe d’habitants choisis aléatoirement. L’enquête a fait ressortir quelques-unes des insuffisances, concentrées notamment sur le non-respect du plan de phasage de l’opération. Il s’agit là d’un relogement en décalage avec les différentes phases de l’opération. Cela fait référence aux obstacles précités correspondant au montage du projet (plans de financement, de réinstallation et d’action environnementale). Par ailleurs, les personnes qui se sont prêtées à l’enquête ont souligné que le suivi de l’opération était infructueux, cela en lien principalement avec un encadrement peu qualifié, depuis la définition du projet jusqu’à son achèvement. D’un point de vue géomorphologique, les services de la DUC ont insisté sur les contraintes physiques du site, lesquelles ont entraîné des débours supplémentaires et des imprévus financiers. Par ailleurs, les entreprises et les habitants ont déploré un manque de sécurité, qu’il s’agisse du vol de matériaux, d’un manque d’éclairage nocturne ou de l’absence d’un mur de soutènement pour retenir les glissements de terrain. L’électrification, les maux sociaux (banditisme, vol, agressivité des jeunes) et l’invasion de chiens errants ont aussi été mentionnés.

À ces problèmes s’ajoute le rôle non rempli par les acteurs engagés dans le projet, notamment la commune dont la participation financière s’est effectuée avec lenteur (versement très long relativement au délai de réalisation du projet). La DUC précise, dans ce contexte, que « jusqu’à une date récente, la commune n’a pas arrêté la liste des bénéficiaires alors que celle-ci devrait être établie avant le lancement de l’opération : la réalisation du projet a décelé la présence de 100 familles additives non recensées qu’il faut reloger dans un logement décent sans quoi l’opération sera bloquée ». Cela pourra s’expliquer par le développement extrêmement accéléré de l’habitat informel en lien avec une croissance urbaine d’une intensité sans précédent, et par l’élargissement des familles nucléaires par le mariage des enfants.

Selon toute probabilité, l’acquisition d’un logement convenable par les populations à faible revenu s’avère sans grand succès dans cette expérience. Ce projet a recouru aux fonds publics pour réaliser l’infrastructure et le clos et couvert. Le logement de 49 m² est livré sans cloison ni boiserie (portes et fenêtres) qualifié par certains bénéficiaires de « logement-garage ». C’est un logement inachevé doté d’un minimum d’éléments constructifs : plateformes poteaux, dalles, murs extérieurs, équipements sanitaires et escaliers sans rampe (ayant occasionné plusieurs chutes d’enfants). La pauvreté du logement offert a suscité des refus et des revendications se traduisant, comme souligné dans le compte rendu du PRUD (2004), par des transformations et extensions, notamment verticales, sans permis de construire ni respect du plan d’architecture. Ces extensions se justifient souvent par l’absence de propositions de variantes correspondant aux besoins des habitants (figure 5), mais ceux-ci ignorent qu’elles entraînent la disparition progressive du confort thermique du rez-de-chaussée tant il est vrai que le soleil ne pourra y pénétrer.

Sur le plan architectural, à l’exiguïté du logement s’ajoute le problème d’intimité et de vis-à-vis (posé par les habitants questionnés) que génèrent particulièrement les espaces tampons non prévus pour des logements se trouvant au niveau du trottoir (figure 6). S’ajoute aussi le problème d’accessibilité aux logements implantés sur des parcelles à pente moyenne si l’on sait que les seuils de porte ne sont pas encore réalisés.

Figure 5

Des extensions sans respect des normes urbanistiques

Des extensions sans respect des normes urbanistiques
Source : Mebirouk, 2005 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Figure 6

La réalisation d’un projet où l’intimité, le vis-vis et l’accessibilité sont compromis

La réalisation d’un projet où l’intimité, le vis-vis et l’accessibilité sont compromis
Source : Mebirouk, 2005 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Figure 7

Un habitat précaire qui se développe sans référence à la richesse naturelle

Un habitat précaire qui se développe sans référence à la richesse naturelle
Source : Mebirouk, 2005 | Adaptée par le Département de géographie de l’Université Laval, 2019

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Au plan environnemental, à l’exception du fossé de ceinture construit pour recueillir les eaux pluviales, le projet a été réalisé sans le moindre souci des impacts. La santé des habitants et l’hygiène urbaine sont indissociables de la réalisation du réseau d’assainissement, de l’approvisionnement en eau potable et de l’amélioration de la collecte des ordures ménagères. Ce dernier élément est d’autant plus préoccupant que l’état du réseau viaire entrave la circulation des camions communaux chargés de la collecte des ordures. D’autre part, les eaux usées provenant du bidonville se déversent dans l’oued longeant le site, ce qui compromet l’hygiène environnementale et favorise la reproduction des insectes et la propagation des odeurs nauséabondes.

Qu’en est-il de l’intégration du quartier ?

Si l’on exclut un paysage forestier agréable dans lequel s’implante le lotissement (figure 7), les résultats de l’enquête montrent que le projet développé avec le programme de la Banque mondiale n’a pas été un grand succès, « tant du point de vue de son accueil par la population concernée que par les administrations chargées de son application » (Navez-Bouchanine, 2012 : 220). Par ce projet, le quartier n’a pas réussi à s’insérer dans le reste de la ville. Comment parler d’une intégration urbaine alors que le quartier n’a pas été étudié comme partie intégrante de la ville (AFD, 2014) ? En se basant sur l’analyse de Deboulet (2016 : 11), on peut affirmer que la dimension urbaine de ce quartier a été largement oubliée.

La précarité y est omniprésente. La juxtaposition de l’habitat précaire et de l’habitat planifié favorise la ségrégation urbaine ; celle-ci est renforcée par l’absence d’articulation spatiale (voirie défectueuse et transport absent) et de relations sociales, et par un cadre de vie dépourvu d’espaces de sociabilité (figure 7). Si les espaces verts n’y ont pas pris place, les équipements de proximité (commerces et services) s’y implantent à une faible cadence : un équipement par-ci et un autre par-là, sans aucune cohérence d’ensemble.

À la lumière de ces résultats, nous pouvons croire que le caractère inefficace de la stratégie engagée dans le cadre du projet de RHP est principalement dû à un cadre institutionnel inadéquat, à un engagement étatique peu vigoureux et à un accompagnement social déficient négligeant les besoins réels des habitants des bidonvilles. Les acteurs publics devraient se saisir du projet comme d’une occasion pour impliquer des populations et favoriser leur mobilisation sociale. Ce faisant, ils se doivent de réfléchir à un nouveau type de relation avec les habitants des quartiers précaires (Navez-Bouchanine, 2008).

Conclusion

Au terme de ce travail, nous pouvons dire que la production massive du logement évolutif de type « participatif » a permis de freiner, du moins dans les années 2000, le développement de l’habitat précaire. Mais comme le soulignent certains travaux, le recul de ce type d’habitat ne s’est pas fait sans l’apparition de quelques éléments négatifs.

De création récente, le quartier Sidi-Harb fait partie de ce type de programme mis en place grâce au virage libéral de la politique d’intervention sur l’habitat négocié, faisant référence au Programme d’ajustement structurel du Fonds monétaire international, de 1994. L’expérience menée pour la résorption de l’habitat insalubre dans ce quartier a mis au jour l’insuffisance et les limites des pouvoirs publics pour en assurer l’intégration. En dépit des efforts déployés, le projet n’a pas pu améliorer d’une manière substantielle les conditions de vie de la population résidante. Pour le succès de l’opération, il aurait fallu étudier le quartier comme partie intégrante de la ville, ce qui n’aurait été possible qu’à travers une approche urbaine globale du quartier et de sa place dans la ville. Il faudrait saisir que les quartiers précaires se caractérisent par des paramètres variables liés à la situation géographique, à la densité de population et de bâti, au niveau d’équipement, aux profils socioéconomiques des habitants, à l’accès aux services et réseaux publics et routiers, etc. C’est pourquoi, tout projet de résorption d’un quartier précaire devrait tenir compte du contexte local et des spécificités du quartier à résorber pour éviter les solutions standards. Soutenue par la coordination de différents intervenants, l’intervention en quartiers précaires doit naître de l’existant et d’une connaissance fine du territoire, et doit veiller à l’adéquation entre les besoins des habitants, le site et l’opération de relogement. Pour que le projet soit couronné de succès, les habitants doivent nécessairement être pris en compte dès l’amont et tout au long de son déroulement.