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Durant les années 1990, Marc Brosseau a publié une dizaine de textes scientifiques ayant pour objet les manuels de géographie en usage dans les écoles du Québec entre 1800 et 1960. Les voici rassemblés dans un beau petit livre qui, indéniablement, séduit l’oeil. Quelle bonne idée d’ajouter ces images tirées des manuels et de les commenter : la richesse de l’illustration ajoute à la compréhension du propos et donne envie d’une analyse plus poussée du rôle de l’image dans la géographie scolaire de ce temps-là. Il faut souligner la qualité de la mise en page. Les plus vieux se surprendront à ressentir un brin de nostalgie…
L’analyse des 300 manuels de géographie qui ont circulé durant cette période révèle des aspects de la société québécoise, de l’évolution de la discipline et des représentations du monde. C’est sous ces trois volets que les textes ont été regroupés. Au Québec, Brosseau a véritablement défriché le corpus des manuels de géographie, d’un point de vue scientifique et culturel, avant le grand bouleversement que la Révolution tranquille a provoqué dans tout le système éducatif. Saluons l’initiative de ce recueil qui rend ces textes plus accessibles.
J’avoue toutefois me sentir un peu à l’étroit dans l’espace réservé au compte rendu pour faire une lecture critique de l’ouvrage. Par exemple, la compréhension sous-entendue du manuel scolaire et de la géographie comme discipline scolaire mériterait discussion. Elle me semble en décalage par rapport à la production théorique sur ces sujets depuis quelques décennies. Aujourd’hui, peu de chercheurs considèrent le manuel scolaire comme un lieu de médiation entre le savoir savant et le savoir populaire, ainsi que l’affirme la dernière phrase du livre. Disons seulement que plusieurs questions restent en plan, d’un chapitre à l’autre. L’auteur lui-même soulève d’ailleurs certaines d’entre elles dans ses conclusions. J’en ai fait la cueillette. Ainsi, il écrit qu’à l’avenir, il faudra entre autres… étudier les conditions institutionnelles de l’enseignement de la géographie, comparer les manuels scolaires des différentes disciplines et évaluer jusqu’à quel point les manuels de géographie ont influencé l’imaginaire québécois. Il faudra aussi « se tourner vers les manuels produits après la Révolution tranquille… », s’intéresser aux auteurs (l’oeuvre engagée des Benoît Brouillette et Pierre Dagenais me semble sous-estimée par rapport à celle des précurseurs) et aux prescriptions pédagogiques du Conseil de l’instruction publique (auxquelles, en effet, il n’est pratiquement jamais fait référence). En réalité, le lecteur s’étonne que les manuels scolaires soient étudiés à une telle distance théorique et pratique de l’école telle qu’elle a existé au Québec durant ces 150 ans.
Puis-je parler du « chapitre manquant » ? Il est amusant de constater que c’est Louis-Edmond Hamelin, l’aîné de la petite famille des géographes du Québec, qui invite dans sa préface à prendre en compte la période de 1950 à 2010. Dans le premier chapitre du recueil (écrit avec Vincent Berdoulay), le choix de s’arrêter à l’aube de la Révolution tranquille est justifié ainsi : « Les changements profonds du système d’enseignement, liés à la création d’un ministère de l’Éducation, inaugurèrent alors une phase nouvelle dont la problématique est fort différente de celle des périodes précédentes. » (p. 9) Cette réédition offrait à l’auteur l’occasion de préciser sa pensée, sans pour autant ouvrir un nouveau champ de recherche. Tant de contraintes, variables selon les contextes historiques et géographiques, influencent la production des manuels scolaires. Ces facteurs ne sont pas pris en compte par les rares géographes universitaires québécois qui s’intéressent à l’histoire des manuels de géographie. Un passeur de flambeau ne devrait-il pas intriguer la relève en faisant ressortir à tout le moins ce qui distingue l’avant et l’après 1960 au Québec ?
Dans sa présentation, Brosseau nous annonce que cette publication conclut l’histoire de ses recherches sur les manuels de géographie québécois. C’est son choix. Qu’on me permette de regretter son oeuvre inachevée, qui laisse en plan un demi-siècle de géographie scolaire dont l’étude, à son tour, pourrait jeter un autre éclairage sur le passé. Souhaitons que la lecture de ce recueil sème le goût de poursuivre l’aventure.