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Didacticien de la géographie bien connu, Jean-François Thémines présente avec force détails un ouvrage au contenu riche mettant en lumière la notion centrale de territoire, le questionnement des praticiens de la discipline vis-à-vis de la didactique et des pratiques, ainsi que les conflits et les enjeux de la formation des enseignants. Plus précisément, l’ouvrage pose la question des défis que représente la mise en oeuvre de l’enseignement du concept de territoire dans le milieu scolaire.
La première des cinq parties, consacrée à ce que l’auteur appelle « le territoire en géographie ; la géographie des territoires », souligne l’autonomie relative au concept de territoire dont s’est dotée la géographie scolaire vis-à-vis de ses acceptions dans le milieu scientifique. Pour cela, le livre fait le point sur les enjeux (responsabilisation territoriale des élèves, prise de conscience de la pluralité de conceptions de la justice, prise en compte de la différence culturelle) et les risques de cette autonomie (lien identité-territoire). En effet, sur ce dernier point, Thémines précise que la géographie universitaire met à jour la diversité des relations au territoire, alors que la géographie scolaire a pour fonction de construire des identifications d’individus à différentes collectivités.
Dans une deuxième partie, l’auteur se penche sur la façon dont le concept de territoire représente à la fois des approches classiques et renouvelées. À partir des années 1990, dans un souci de rupture avec une approche du territoire comme balises de localisation, des changements se sont introduits dans les programmes scolaires sous l’effet d’innovations dans la recherche universitaire. Plusieurs avenues ont permis de renouveler l’approche du territoire : l’étude de l’organisation de l’espace d’un État ; l’étude de la gestion des ressources et des risques dans le cadre de politiques nationales et l’étude des dynamiques territoriales dans une optique de compréhension des changements sociaux.
Une troisième partie expose de nouvelles approches, tant du point de vue des contenus que des manières d’enseigner le territoire. Le territoire est en effet un moyen de se questionner, de découvrir et de comparer différentes pratiques. C’est aussi un moyen d’appréhender des aménagements, des conflits d’usages débouchant sur des tensions, des conflits. Et il permet d’identifier les perceptions et les représentations des acteurs, d’imaginer et de proposer des solutions de rechange ou des solutions réparatrices. Pour ce faire, l’auteur propose 10 études de cas intégrant à la fois les innovations institutionnelles (nouveaux programmes), le quotidien de l’élève, les nouvelles technologies (SIG), etc. Dans tous les cas, ces 10 propositions décrivent, analysent et évaluent les changements sociaux à partir des rapports des individus et des groupes au territoire.
Une quatrième partie fournit des pistes de pratiques et alimente une réflexion sur leur évaluation. Enfin, le chapitre V fait un retour sur les enjeux de l’enseignement du territoire en géographie sous la forme de tensions entre, d’une part, les savoirs disciplinaires enseignés et, d’autre part, les compétences sociales et civiques mobilisées dans les décisions individuelles impliquant des choix de société.
Un ouvrage fort bien fait, agrémenté de nombreux documents, mais qui pèche par une absence d’esprit critique sur les choix effectués dans les programmes et par une carence dans la prise de distance par rapport à la vision de la géographie défendue par le ministère de l’Éducation français. Jean-François Thémines prend ces nouveaux programmes comme une donnée acquise à laquelle il convient de s’adapter, bon gré mal gré, comme un bon soldat… Or, qui connaît un tant soit peu l’ambiance des salles d’enseignants sait que les choix faits n’échappent pas au débat et à la critique – et que, d’autre part, les enseignants s’éloignent souvent des programmes prescrits dans leurs pratiques quotidiennes.
Ce livre n’en est pas moins fort intéressant pour qui veut articuler et mettre en résonnance les contenus de ses enseignements avec les acquis et interrogations de la recherche géographique scientifique/universitaire. De plus, bien que les nombreux exemples donnés dans l’ouvrage s’appuient exclusivement sur les nouveaux programmes français (collège et lycée), les enseignants de géographie de l’école secondaire québécoise y trouveront leur compte, tant le concept de territoire est au coeur du programme du 1er cycle du secondaire.