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Introduction

La littérature sur l’équité environnementale est concernée, entre autres, par la distribution des nuisances et des ressources qui, en raison de la répartition inégale des différentes catégories sociales dans l’espace, entraîne une plus grande exposition aux risques ou encore une plus faible accessibilité aux éléments bénéfiques pour certaines populations. Parmi les catégories sociales les plus souvent considérées dans les études en équité environnementale figurent les personnes à faible revenu et les minorités ethniques ou raciales (Schweitzer et Stephenson, 2007 ; Walker, 2009). Quelques chercheurs ont étendu les analyses à d’autres groupes tels que les personnes âgées (Chakraborty, 2009), les enfants (Apparicio et al., 2010), les personnes ayant des incapacités (Walker, 2009) ou encore les femmes (Buckingham-Hatfield et al., 2005).

Des auteurs considèrent qu’on devrait accorder aux personnes âgées une plus grande place dans les travaux sur la justice environnementale du fait de leur marginalisation dans la société (Day, 2010) ou de leur plus grande vulnérabilité physiologique aux éléments négatifs de leur environnement (Philipps et al., 2005 ; Brown et Walker, 2008 ; Walker, 2011). L’importance de la dimension de la vulnérabilité physiologique de certains groupes à des nuisances constitue en effet un thème de plus en plus exploré dans les études sur l’équité environnementale. Ainsi, différents auteurs ont souligné la pertinence de mieux comprendre les conséquences sur la santé que peut entraîner une exposition à divers phénomènes pour des populations particulières (Buzelli, 2007 ; Walker, 2011), certaines catégories de personnes se révélant plus vulnérables aux nuisances. Dans le cas des personnes âgées, cette vulnérabilité aux aspects négatifs de l’environnement est accentuée par leur immunité réduite aux maladies en raison, notamment, du vieillissement de leurs organes vitaux (Kelly et al., 2003 ; Pawelec, 2006). Reconnaissant cette vulnérabilité, des études ont exploré les conséquences sur la santé d’une exposition des personnes âgées à des polluants (Greenberg, 1993 ; Schwartz et al., 2005 ; Smargiassi et al., 2006 ; Adar et al., 2007 ; Parent et al., 2013). Cet intérêt pour les aînés repose aussi sur le fait que ces derniers, quand ils avancent en âge et souffrent de nombreuses incapacités, deviennent de plus en plus confinés à leur milieu résidentiel (Philipps et al., 2005 ; Day, 2010). Si ce milieu offre de mauvaises conditions environnementales, les personnes âgées se trouveront plus affectées que les résidants d’autres catégories d’âge, car elles y passent davantage de temps (Golant, 1984 ; Kellaher et al., 2004 ; Philipps et al., 2005 ; Day, 2008). Enfin, cet intérêt pour les aînés est attribuable au phénomène du vieillissement de la population observé dans de très nombreux pays développés, notamment au Québec et à Montréal. Ainsi, sur l’île de Montréal, la part des 65 ans et plus est estimée à 15,2 % selon les données du recensement canadien de 2011. Les 75 ans et plus comptent, de leur côté, pour 7,8 % de la population totale. Cette proportion croîtra sensiblement dans les deux prochaines décennies (Montréal, 2011). Au sein des 75 ans et plus, seule une minorité réside dans des résidences réservées aux aînés [1]. Dans la région métropolitaine de Montréal, en 2010, le taux d’attraction des résidences est de 17,5 %, c’est-à-dire que 17,5 % des personnes âgées de 75 ans ou plus résident dans une résidence (SCHL, 2010). Les logements de ces résidences sont offerts tant sur le marché privé que par des bailleurs sociaux (habitations à loyer modique – HLM –, logements coopératifs ou logements gérés par un organisme à but non lucratif – OBNL).

Nuisances environnementales et vulnérabilité physiologique des personnes âgées

Le transport constitue une source de particules nocives ayant des impacts sur la santé, soit les oxydes d’azote (NOx) (Crouse et al., 2009a) et, dans une moindre mesure, le monoxyde de carbone (CO) et les particules atmosphériques en suspension de type PM (Houston et al., 2004 ; Rioux et al., 2010). Ceci explique pourquoi la proximité d’une résidence à moins de 200 m d’un axe majeur de circulation est considérée, selon plusieurs auteurs (Brugge et al., 2007 ; Rioux et al., 2010), comme un risque potentiel pour la santé de ses occupants, notamment en ce qui concerne l’asthme (McConnell et al., 2006 ; Jerrett et al., 2008), les carences dans le développement pulmonaire des enfants (Gauderman et al., 2007) et les problèmes cardiaques (Hoffmann et al., 2008 ; Kan et al., 2008 ; Van Hee et al., 2009).

La vulnérabilité des personnes âgées aux aspects négatifs de leur milieu s’explique par le fait que certaines fonctions vitales déclinent avec le vieillissement (Kelly et al., 2003 ; OMS, 2007 ; Day, 2008). Plusieurs études ont montré que les personnes âgées sont plus enclines, par rapport aux plus jeunes, à développer des problèmes de santé reliés à l’exposition à des concentrations élevées de polluants provenant du transport routier. Smargiassi et al. (2006) ont rapporté une hausse du nombre d’hospitalisations relatives à des problèmes respiratoires des personnes de plus de 60 ans vivant près d’axes majeurs de circulation à Montréal. De leur côté, Schwartz et al. (2005) ont étudié l’influence de la concentration de particules atmosphériques sur le fonctionnement du coeur chez des personnes âgées de 61 à 89 ans. Ils ont conclu qu’une hausse de la concentration des particules polluantes a pour effet d’engendrer des problèmes coronaires. L’étude de Parent et al. (2013) a également montré qu’une hausse de cinq parties par milliard de NO2 est statistiquement liée à une augmentation du risque associé au cancer de la prostate chez les hommes âgés de plus de 75 ans à Montréal. Barnett et al. (2006) signalent l’existence d’une relation positive entre la concentration de divers polluants tels que le CO et le NO2, de même que les particules PM, et le nombre d’admissions des personnes âgées à l’hôpital pour des problèmes cardiovasculaires. Ces travaux soulignent donc qu’une concentration élevée d’émissions polluantes a un impact sur la santé des aînés et génère ainsi d’importants coûts sociaux.

Nuisances et équité distributionnelle

Des études réalisées au Canada, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis ont montré que les ménages à faible revenu ont tendance, en raison de leur distribution dans l’espace, à être exposés à des niveaux d’émissions polluantes significativement plus élevés que les classes favorisées, bien qu’ils soient généralement moins motorisés (Morello-Frosch et al., 2001 ; Kingham et al., 2007 ; Chakraborty, 2009). Les travaux portant sur l’exposition des populations appartenant aux minorités visibles sont moins concluants, leurs résultats variant selon le contexte d’étude (Blanchon, et al., 2009). Malgré leur vulnérabilité physiologique à la pollution atmosphérique induite par le transport, l’exposition des personnes âgées a été peu abordée dans les études sur la justice environnementale. Les quelques études recensées sur le sujet, Brainard et al. (2002), Mitchell et Dorling (2003), Crouse et al. (2009b) et Chakraborty (2009) n’ont trouvé aucune iniquité environnementale envers ce groupe quant à leur exposition aux polluants atmosphériques.

Notre étude s’intéresse à l’équité distributionnelle des risques associés à une concentration de polluants atmosphériques, en se penchant plus particulièrement sur la distribution spatiale des logements situés dans les résidences pour personnes âgées en lien avec la proximité des voies de circulation à fort débit. La recherche tente de répondre aux deux questions suivantes. Les logements destinés aux personnes âgées offerts dans les résidences privées et ceux du parc social sont-ils situés dans des environnements dont l’air est plus pollué que dans l’ensemble des îlots urbains de l’île de Montréal, en tenant compte de leur population totale et de leurs populations âgées (65 ans et plus et 75 ans et plus) ? La seconde question s’intéresse à la comparaison entre les deux types de résidences. Observe-t-on des différences dans les niveaux de concentration de polluants atmosphériques entre les zones de proximité des résidences privées destinées aux personnes âgées et celles des résidences du parc social ? Il importe de préciser ici, d’une part, que les habitations à loyer modique sont réservées aux populations économiquement défavorisées et que les logements gérés par des OBNL ou des coopératives concentrent des ménages à revenu modeste (OMHM, 2013). D’autre part, les résidences privées comprises dans notre étude sont celles qui ont été accréditées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) en date du mois de juillet 2013. Or, pour obtenir leur accréditation, ces résidences doivent offrir de très bonnes conditions de logement et de nombreux services sur place. Conséquemment, elles exigent généralement des loyers et des frais élevés pour les services [2] ; on peut donc en conclure qu’elles desservent une clientèle appartenant aux couches moyennes et supérieures.

En raison des études montrant le lien qui existe entre pauvreté et iniquité environnementale (Blanchon et al., 2009 ; Walker, 2009), nous formulons les hypothèses suivantes. Les logements des résidences du parc social seraient plus exposés aux polluants que l’ensemble de la population ou que l’ensemble des populations de 65 ans et plus et de 75 ans et plus ; à l’inverse, ceux des résidences privées accréditées le seraient moins. En outre, la comparaison de l’exposition des logements des résidences privées avec ceux des résidences du parc social devrait démontrer une plus forte exposition des seconds. La capacité de payer plus élevée des occupants du parc privé leur permettrait de choisir des résidences situées dans des environnements moins à risque.

Dans la suite du texte, nous décrivons d’abord la méthodologie de recherche. Suivent une présentation et une discussion des résultats de l’étude.

Méthodologie

Résidences étudiées et échelle d’analyse

L’étude s’intéresse aux résidences destinées aux aînés situées sur l’île de Montréal, un territoire qui couvre 499 km2 et regroupe 1 844 500 habitants. Les résidences étudiées sont constituées de deux groupes : les résidences privées certifiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), au nombre de 224 ; et les ensembles résidentiels appartenant au parc social de type HLM, gérés par des organismes à but non lucratif ou de type coopératif, destinés à une clientèle âgée ou de personnes retraitées et préretraitées, au nombre de 246 [3]. Les résidences privées et les résidences du parc social totalisent respectivement 21 801 et 20 081 logements.

Qualifier les niveaux de pollution dans l’espace à proximité de ces bâtiments demande un bon degré de précision compte tenu de l’importante variabilité spatiale associée aux polluants atmosphériques provenant du transport routier. En effet, la vérification de l’existence d’une iniquité distributionnelle pour un groupe donné nécessite de réaliser des analyses à une échelle géographique fine puisque les niveaux de pollution peuvent grandement varier à l’échelle d’un quartier, d’un secteur de recensement, voire d’une aire de diffusion. Nous avons donc privilégié l’îlot urbain comme découpage spatial, soit l’unité spatiale la plus précise de Statistique Canada, à partir de laquelle ont été générés les indicateurs de pollution. Notons toutefois que Statistique Canada diffuse uniquement les données portant sur la population totale et le nombre de logements au niveau de l’îlot urbain. Pour remédier à cette limite, nous avons estimé les effectifs des groupes âgés de 65 ans et plus et de 75 ans et plus comme suit, tel que proposé récemment par Pham et al. (2012) :

ti représente la population estimée du groupe (les personnes âgées de 65 ans et plus et de 75 ans et plus) dans l’îlot, ta la population du groupe dans l’aire de diffusion, alors que Ti et Ta sont les populations totales respectivement dans l’îlot et dans l’aire de diffusion.

Géocodage des résidences privées et sociales destinées aux aînés

La liste des résidences pour personnes âgées a été construite à partir des données disponibles dans le registre des résidences privées ayant reçu leur certification de la part du MSSS. Nous avons pris soin d’exclure les très rares résidences appartenant au parc social qui y figuraient. L’information concernant les ensembles résidentiels du parc social (HLM, OBNL et coopératives) nous a été transmise par la Ville de Montréal [4]. Ces bâtiments ont ensuite été géocodés dans un système d’information géographique (ArcGIS version 10.1) à partir de leur adresse postale et une correction a finalement été effectuée afin d’assurer que les points d’ancrage des résidences privées et des ensembles de logements sociaux soient placés au centre du bâtiment, à l’aide d’une image satellite à haute résolution spatiale dans ArcGIS. Notons aussi que ce processus a été validé dans Google Maps pour chaque résidence, tant les résidences privées certifiées que celles du parc social.

Indicateurs de polluants atmosphériques

Les opérations relatives à la construction des indicateurs de pollution de l’air ont été réalisées dans ArcGIS. Toutes les valeurs de ces indicateurs ont été calculées à la fois dans les zones de proximité de 200 m des résidences pour personnes âgées, de même qu’à 200 m du centroïde de tous les îlots urbains montréalais. Deux types d’indicateurs de polluants ont été utilisés. Nous avons calculé des indicateurs de proximité des axes routiers majeurs inspirés de Chakraborty (2006) et de Houston et al. (2004), alors que le second indicateur de pollution provient d’une adaptation de la carte de dispersion de NO2 produite par une équipe de chercheurs de l’Université McGill (Crouse et al., 2009a). Une étude précédente effectuée par Carrier et al. (2013) a d’ailleurs rapporté des corrélations modérées et positives entre la longueur des axes majeurs de circulation et la concentration de NO2 par îlot urbain de l’île de Montréal variant de 0,2 à 0,3.

Les indicateurs de proximité des axes routiers majeurs ont été construits à partir du fichier des rues de l’île de Montréal (Géobase), où différents indices de longueur des axes majeurs de circulation ont été calculés au sein de zones tampons d’un rayon de 200 m créées autour des résidences pour personnes âgées et des centroïdes de l’ensemble des îlots urbains de l’île de Montréal. Ces estimations représentent un proxy de la pollution atmosphérique si l’on postule que la pollution est plus élevée autour des axes majeurs de circulation. Les indices créés se rapportent : 1) à la longueur des tronçons autoroutiers en mètres ; 2) à la longueur des axes secondaires – collecteurs, artériels et routes express – en mètres. Nous avons utilisé la mesure d’un rayon de 200 m, car les effets des polluants atmosphériques sont rarement ressentis au-delà de cette distance (Brugge et al., 2007). Notons aussi qu’afin d’améliorer la précision de ces mesures, nous avons ajusté la localisation du centroïde de l’îlot en fonction de l’occupation résidentielle du sol, en retenant uniquement les parties de l’îlot utilisées à des fins d’habitation. Ces opérations ont été réalisées dans ArcGIS version 10.1 (ESRI, 2011). Nous avons utilisé les données associées à la hiérarchie du réseau routier considérant que nous ne possédions pas celles des débits de circulation pour l’ensemble de l’île de Montréal. Les données des débits sont disponibles uniquement pour le territoire de la Ville de Montréal alors que les 14 municipalités autonomes de l’île n’ont pas comptabilisé cette information sur leurs réseaux routiers respectifs.

Pour calculer le second type d’indicateurs de polluants, soit des indicateurs de pollution, nous avons eu recours à des données spatialisées de NO2 provenant des travaux de chercheurs de l’Université McGill ayant mesuré les concentrations de ce polluant durant le mois de décembre 2005, de même qu’en mai et août 2006, dans 133 lieux sur l’île de Montréal (Crouse et al., 2009a). Ces données spatialisées sont issues d’une carte de pollution générée par ces chercheurs couvrant l’ensemble de l’île de Montréal en ayant recours au land-use regression (Crouse et al., 2009a). Cette technique consiste à construire une équation de régression qui s’appuie sur les concentrations de NO2 mesurées à 133 endroits. L’équation découle d’un modèle de régression avec, comme variable dépendante, la concentration d’un polluant, et toute une série de variables indépendantes, notamment la proximité des axes majeurs de circulation, la longueur des tronçons routiers près du lieu d’échantillonnage, les débits de circulation, la densité résidentielle et la présence d’équipements industriels susceptibles de produire des émissions polluantes (Ryan et LeMasters, 2007 ; Crouse et al., 2009a). Une fois qu’un modèle de régression robuste a été obtenu (avec un R2 élevé), l’équation a été appliquée à l’ensemble du territoire montréalais. À partir de la carte d’émissions polluantes ainsi produite par les chercheurs de l’Université McGill, nous avons ensuite calculé la valeur moyenne de NO2 dans un rayon de 200 m de chacune des résidences pour personnes âgées, de même qu’à partir de tous les centroïdes ajustés des îlots urbains montréalais habités.

Analyses statistiques en lien avec les données d’émissions polluantes

Afin de vérifier l’existence d’iniquités environnementales à l’égard des personnes âgées vivant dans les résidences étudiées, nous proposons deux types d’analyses statistiques réalisées dans SAS version 9.2 (SAS Institute Inc.) : 1) une comparaison des statistiques univariées des indicateurs de pollution pondérés à la fois par le nombre de logements dans chaque résidence en fonction du type (privées certifiées ou parc social), la population totale puis par les effectifs des 65 ans et plus et ceux des 75 ans et plus par îlot urbain de l’île de Montréal ; 2) un test de Student (test t) pour comparer les valeurs moyennes associées aux indicateurs de polluants entre les zones de proximité de 200 m comprenant une résidence et les îlots urbains de l’île de Montréal pondérés par la population totale et les effectifs des deux sous-groupes de personnes âgées ; 3) un second test t comparant les valeurs d’indicateurs de polluants entre les zones de proximité des résidences privées certifiées et les résidences du parc social. Ces deux analyses statistiques permettront d’abord de vérifier si les résidences privées et celles du parc social sont situées dans des environnements plus pollués comparativement à l’ensemble des îlots urbains de l’île de Montréal, pondérés par la population totale et celles des 65 ans et plus et des 75 ans et plus. La comparaison des indicateurs de polluants associés aux environnements proches des résidences privées et de celles du parc social, permet de mesurer jusqu’à quel point la situation s’avère moins favorable pour l’un ou l’autre des types résidentiels.

Résultats

Nous avons d’abord calculé les statistiques univariées (des trois indicateurs de polluants) obtenues dans un rayon de 200 m des centroïdes des îlots urbains en les pondérant par les effectifs de population totale, de même que par ceux des deux sous-groupes d’aînés (tableau 1). Les résultats montrent que les personnes âgées de 65 ans et plus et de 75 ans et plus tendent à résider dans des îlots urbains caractérisés par des longueurs de tronçons d’axes majeurs de circulation et de concentration de NO2 similaires à l’ensemble de la population de l’île de Montréal. Cette situation corrobore d’ailleurs les résultats d’autres études en équité environnementale ayant montré que les personnes âgées vivent généralement dans des environnements dont l’air est autant ou moins pollué que l’ensemble de la population (Brainard et al., 2002 ; Mitchell et Dorling, 2003 ; Chakraborty, 2009 ; Crouse et al., 2009b).

Ensuite, nous avons calculé les mêmes indicateurs de polluants dans un rayon de 200 m des résidences pour personnes âgées en fonction de leur type (privées ou du parc social). Les valeurs des indicateurs de polluants ont été pondérées par le nombre de logements de chacun des types. La figure 1 illustre respectivement a) la localisation des résidences privées et celles du parc social, b) l’étendue du réseau supérieur de circulation et c) la distribution spatiale de la concentration de NO2 sur l’île de Montréal.

Les données du tableau 1 montrent que les zones de proximité de 200 m dans lesquelles les logements appartenant aux résidences privées se situent, et dans une moindre mesure celles des logements du parc social, se caractérisent par une plus grande présence de tronçons d’autoroutes que l’ensemble de l’île de Montréal. Elles révèlent ensuite que les zones de proximité des résidences privées et de celles du parc social comprennent davantage de tronçons d’axes majeurs de circulation (collecteurs, artériels et routes express) que les îlots urbains montréalais, quel que soit le groupe de population considéré. L’analyse de la concentration de NO2 révèle des résultats sensiblement différents. En effet, les zones de proximité de 200 m autour des résidences privées affichent une concentration moindre que l’ensemble des îlots de Montréal. Contrairement aux indicateurs précédents, les zones de proximité de 200 m autour des logements des résidences du parc social sont caractérisées par des concentrations moyennes de NO2 plus élevées que celles des résidences privées pour personnes âgées. La concentration de NO2 est également plus élevée à proximité des résidences du parc social que dans l’ensemble des îlots urbains de l’île de Montréal, qu’ils soient pondérés par la population totale ou par les effectifs des 65 ans et plus et des 75 ans et plus, bien que l’écart soit ici moins grand.

Nous avons ensuite effectué un test t pour comparer les moyennes des trois indicateurs de pollution, pondérés par les effectifs de la population totale des 65 ans et plus et des 75 ans et plus au niveau de l’îlot urbain, à celles des mêmes indicateurs pondérés par le nombre de logements pour les résidences privées (tableau 2) et les résidences du parc social (tableau 3) à l’échelle de leur zone de proximité de 200 m. Puis nous avons comparé les valeurs des indicateurs de polluants entre les zones de proximité des résidences privées et celles du parc social (tableau 4). Il importe de mentionner que nous avons eu recours au logarithme de la variable de la longueur des tronçons d’autoroutes afin de calculer la valeur de significativité statistique de la relation identifiée par la lettre p aux tableaux 2 à 4.

Tableau 1

Statistiques univariées des indicateurs de polluants mesurés à l'échelIe des îlots urbains montréalais et des zones de proximité des résidences privées et de celles du parc sociala

Statistiques univariées des indicateurs de polluants mesurés à l'échelIe des îlots urbains montréalais et des zones de proximité des résidences privées et de celles du parc sociala

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Au tableau 2, les différences les plus significatives s’observent d’abord au niveau de l’indicateur de la longueur des sections d’axes majeurs de circulation (sans les autoroutes) entre les groupes de population considérés et les zones de proximité des résidences privées. Ainsi, les zones de proximité de 200 m des résidences privées se caractérisent par plus de 550 m d’axes majeurs de circulation de plus qu’ailleurs sur l’île de Montréal. Des différences significatives sont aussi notées dans le nombre de mètres de tronçons autoroutiers présents dans les zones de proximité des résidences privées par rapport à l’ensemble de l’île de Montréal. Enfin, la concentration de NO2 est légèrement moins élevée dans les zones de proximité des résidences privées que dans l’ensemble des îlots de l’île de Montréal, et ce, quelle que soit la pondération utilisée.

Le tableau 3 présente les différentes moyennes liées aux valeurs des indicateurs de polluants entre les îlots urbains de l’île de Montréal et les zones de proximité des résidences du parc social. Les zones de proximité de 200 m où se situent les résidences du parc social se caractérisent, en moyenne, par 450 m d’axes majeurs de circulation de plus qu’ailleurs sur l’île de Montréal. De plus, la concentration de NO2 est plus élevée, à un seuil de 0,001, dans les zones de proximité des résidences du parc social que dans l’ensemble de l’île de Montréal (tableau 3).

Le tableau 4 compare les valeurs moyennes des indicateurs de polluants en lien avec les zones de proximité des résidences privées et celles du parc social. Les zones de proximité des résidences privées se caractérisent en moyenne par une présence de 60 m de tronçons autoroutiers de plus que celles du parc social. Ensuite, bien qu’il y ait moins de tronçons autoroutiers dans les zones de proximité des résidences du parc social, ces dernières se caractérisent par des concentrations de NO2 plus élevées que dans les espaces limitrophes aux résidences privées, soit de l’ordre de 1,4 partie par milliard.

Tableau 2

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants entre les îlots urbains montréalais et les zones de proximité des résidences privées

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants entre les îlots urbains montréalais et les zones de proximité des résidences privées

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Tableau 3

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants entre les îlots urbains montréalais et les zones de proximité du parc social

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants entre les îlots urbains montréalais et les zones de proximité du parc social

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Tableau 4

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants dans les zones de proximité de 200 m des résidences privées et de celles du parc social

Comparaison des valeurs moyennes des indicateurs de polluants dans les zones de proximité de 200 m des résidences privées et de celles du parc social

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Discussion

Les résultats de cette analyse permettent quelques constats quant à la concentration de polluants à proximité des résidences privées et de celles du parc social. Premier constat encourageant, les résidences privées tendent à se localiser dans des espaces caractérisés par des concentrations de NO2 significativement plus faibles qu’ailleurs sur l’île de Montréal. Cependant, les axes majeurs de circulation et des tronçons autoroutiers sont significativement plus longs dans les zones de proximité des résidences privées. Comment expliquer ces résultats en apparence contradictoires ? Par la conjugaison de plusieurs éléments. D’abord, les règlements de zonage en vigueur sur l’île de Montréal contrôlent les densités d’occupation. Or, la volumétrie des résidences privées, et dans une moindre mesure celles du parc social, ne leur permet pas de s’insérer dans des milieux qui exigent une faible densité. Les résidences se trouvent ainsi contraintes de s’établir le long d’autoroutes ou d’axes majeurs de circulation, secteurs à l’intérieur desquels les constructions en hauteur sont le plus souvent permises. Il est à noter, toutefois, qu’une proportion importante des résidences privées sont situées à proximité d’autoroutes et d’axes secondaires, mais dans des municipalités ou arrondissements situés aux extrémités est et ouest de l’île de Montréal. Ainsi, bien qu’elles soient situées dans des milieux caractérisés par des longueurs considérables d’autoroutes et d’axes secondaires de circulation, cela ne signifie pas pour autant que ces résidences pour personnes âgées soient localisées dans les milieux parmi les plus pollués du territoire étudié. Les débits de circulation sont en effet moins élevés sur ces tronçons routiers que sur ceux du centre de l’île de Montréal. L’utilisation de paramètres mesurant la proximité des axes majeurs de circulation pour estimer les niveaux d’exposition aux polluants fait d’ailleurs l’objet de critiques dans la littérature, car ces paramètres ne rendent pas nécessairement compte de la concentration réelle des polluants atmosphériques (Maantay et al., 2010 ; Kingham et Dorset, 2011).

Figure 1

Localisation des résidences privées et celles du parc social, des axes majeurs de circulation et de la distribution spatiale de NO2 sur l'île de Montréal

Localisation des résidences privées et celles du parc social, des axes majeurs de circulation et de la distribution spatiale de NO2 sur l'île de Montréal
Source : GéoBase 2006 ; Crouse et al. (2009)

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Quant aux résidences du parc social, elles comptent moins d’autoroutes et légèrement moins d’axes secondaires à proximité que les résidences privées, mais elles se localisent majoritairement dans les arrondissements du centre de l’île de Montréal. Ces derniers se caractérisent par une concentration importante des principaux axes de circulation qui effectuent la transition entre les pôles d’attraction majeurs de l’île de Montréal, les accès vers les ponts et les principales villes de la banlieue. La géographie du transport routier et la localisation de la majorité des résidences du parc social au centre de l’île de Montréal expliquent donc, du moins partiellement, la concentration de polluants plus élevée à proximité de ces bâtiments. Par ailleurs, il importe de préciser que la localisation de nombreuses résidences du parc social s’explique par le fait que les aînés souhaitent le plus souvent demeurer dans leur milieu. Comme la population âgée à faible revenu se concentrait dans les quartiers centraux au moment où de nombreux HLM ou ensembles OBNL ont été construits, il est normal que ceux-ci soient concentrés dans ces mêmes quartiers.

L’un des enjeux en équité environnementale est d’évaluer le risque pour la santé quant au fait de vivre dans un milieu résidentiel où les concentrations de polluants atmosphériques sont plus élevées (Walker, 2011). L’objectif est de vérifier si les groupes étudiés sont potentiellement exposés à des concentrations de polluants pouvant affecter leur santé (Janssen et Mehta, 2006). L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a notamment déterminé que les concentrations quotidiennes de NO2 ne doivent pas dépasser 40 μg / m3 (Forastiere et al., 2006). La concentration moyenne de ce polluant est de 12,82 parties par milliard dans la zone de proximité des résidences du parc social, ce qui équivaut à 23,85 μg / m3, soit un niveau bien inférieur au seuil fixé par l’OMS. Ce résultat vient ainsi nuancer le constat d’iniquité environnementale potentielle des habitants des résidences du parc social de Montréal. Bien que ces individus vivent dans des milieux légèrement plus pollués que l’ensemble de la population ou des personnes âgées, cette concentration est jugée « non dommageable » pour la santé, selon l’OMS.

Par ailleurs, les ménages qui résident près du centre-ville peuvent bénéficier de certains éléments favorables liés à leur localisation. Apparicio et Séguin (2010) ont démontré une meilleure accessibilité aux services et équipements dans les quartiers centraux, notamment ceux qui sont défavorisés, comparativement aux extrémités de l’île de Montréal. De plus, la proximité résidentielle des axes majeurs de circulation offre parfois une meilleure accessibilité aux réseaux de transport collectif, améliorant ainsi la mobilité des ménages non motorisés (Feitelson, 2002). Ainsi, l’exposition légèrement plus élevée aux polluants des personnes âgées vivant dans des résidences du parc social peut être compensée par une meilleure accessibilité aux commerces, services et transport en commun, avantages qui ne sont pas à négliger pour une population moins motorisée et mobile que l’ensemble des ménages.

Conclusion

Nos résultats corroborent ceux de plusieurs études en équité environnementale montrant que, globalement, les personnes âgées ne sont pas concentrées dans des environnements où la pollution de l’air est plus élevée. En revanche, si l’on s’intéresse aux résidences et que l’on considère l’indicateur de concentration de NO2, les résidences du parc social se localisent dans des milieux davantage pollués, révélant une iniquité distributionnelle. Cette observation est cohérente avec les résultats de plusieurs études ayant démontré une surreprésentation des ménages à faible revenu dans les milieux concentrant davantage de nuisances. Il serait toutefois abusif de conclure que les résidants du parc social montréalais font face à une situation d’iniquité environnementale en ce qui a trait à la concentration de NO2 mesurée dans leur milieu, car cette dernière est bien inférieure aux seuils fixés par l’OMS, et les écarts entre les résidences privées et celles du parc social restent limités.

Sur le plan méthodologique, l’étude démontre aussi que les résultats sont très variables en fonction de l’indicateur choisi. Notre analyse révèle l’importance d’interpréter avec prudence les résultats en fonction de chaque indicateur. Ainsi, la proximité des axes majeurs de circulation, et notamment des autoroutes, n’amène pas nécessairement une concentration plus élevée de polluants atmosphériques dans le milieu résidentiel, car d’autres facteurs sont en cause, tels que les conditions locales de circulation, par exemple les débits, et les caractéristiques météorologiques (Crouse et al., 2009a). Enfin, il serait pertinent de combiner des indicateurs décrivant différentes dimensions de l’environnement urbain des résidences privées et de celles du parc social afin de porter un regard plus global sur les particularités du milieu pouvant affecter la qualité de vie de leurs habitants. La prise en compte d’éléments bénéfiques de l’environnement urbain, comme la proximité des commerces et services, l’offre de transport en commun et d’autres dimensions encore, permettrait de dresser un portrait plus nuancé. Les ménages, dans leur choix résidentiel, prennent en compte un éventail de caractéristiques qui ne peuvent être réduites à la seule pollution de l’air, car leur bien-être repose sur de nombreux facteurs. D’ailleurs, il est possible que certaines personnes ne soient pas sensibilisées aux effets négatifs d’une forte circulation routière sur leur santé.