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Tiré d’une thèse en géographie, ce livre explore l’histoire environnementale de mégaprojets de développement dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique. Jonathan Peyton élabore le concept d’Unbuilt environments afin d’analyser les héritages sociaux et environnementaux des projets de développement du bassin du fleuve Stikine, qu’ils soient inachevés ou abandonnés. Empruntant le concept à Kathryn J. Oberdeck (2006), l’auteur lui accorde néanmoins une acception plus large et en fait un outil heuristique pour penser la coproduction des ressources et des espaces extractifs d’une région marginale et faiblement peuplée (p. 9).

Le cadre analytique développé permet de penser conjointement les dynamiques écologiques et paysagères de la région, ainsi que les discours et les imaginaires. Les outils et métriques de la géographie viennent enrichir les champs de l’écologie politique, de l’histoire et de la science politique. Ce faisant, l’auteur ne s’intéresse pas tant aux raisons d’un échec qu’aux répercussions sociales, économiques et environnementales de ces projets, bien qu’incohérents et inachevés. La géographie historique des projets d’infrastructures et d’industries extractives développée ici explore de nombreuses questions sur l’histoire des interactions humaines avec le Stikine. Cinq cas d’étude sont examinés.

Dans le premier chapitre, Peyton retrace la construction, à partir des années 1950, puis la déconstruction de Cassiar, désormais ville fantôme, et de ses mines d’amiante. L’entreprise fait faillite en 1992, mais les infrastructures et installations minières ont engendré des transformations environnementales et sociales encore perceptibles. Le sens de la communauté et les mémoires se sont perpétués, dépassant la stricte matérialité de Cassiar. Cette première partie analyse également l’évolution des stratégies industrielles face aux réglementations environnementales.

Le deuxième chapitre examine le projet d’extension de la communauté de Dease Lake, amorcé dans les années 1970 et qui pensait justement bénéficier du développement de Cassiar. La construction d’un chemin de fer et d’un port devait permettre le développement économique de la région. Le projet fut abandonné en 1977, à la suite de controverses économiques, environnementales et administratives. Il a néanmoins été au coeur de manipulations environnementales dans le bassin et dessine encore les liens entre accès et ressources socioéconomiques. Une emprise ferroviaire, partiellement réalisée, a fait l’objet d’un usage routier informel par les sociétés extractives. Ce faisant, la possibilité d’une relance éventuelle des aménagements est entretenue.

Réalisant l’échec programmé de l’extension de Dease Lake, la compagnie publique British Columbia (BC) Hydro propose la construction de cinq barrages le long du fleuve Stikine et de son affluent l’Iskut. C’est l’objet du chapitre III, qui analyse l’affrontement discursif et les tentatives d’objectivation de la nature découlant de ces efforts à partir de la fin des années 1970. L’auteur retrace le véritable travail de (re)définition de l’environnement et des perceptions des résidents que la compagnie a mené. Un cadrage du débat par BC Hydro et le développement de nouvelles métriques de la valeur de l’environnement ont fait face aux réactions et savoirs locaux des représentants de la Première Nation Tahltan et des mouvements écologistes. Bien que les barrages n’aient jamais abouti, leur planification a eu de véritables conséquences à la fois sur la production des connaissances sur la région et sur les modalités légitimes d’acquisition du savoir (puisque les détracteurs du projet ont finalement dû adopter celles de BC Hydro).

Le chapitre IV aborde un autre projet énergétique planifié dans les années 1980 par une compagnie pétrolière afin de liquéfier du gaz naturel à destination du Japon. L’auteur y retrace notamment le travail politique de cadrage du Dome’s Western Liquified Natural Gas (LNG) Project comme une énergie de transition permettant prospérité économique à la région. L’histoire sociale, technique et matérielle du gaz naturel liquéfié résonne encore aujourd’hui à travers de nouvelles géographies d’échange et de valeurs dans la région. L’intérêt de ce chapitre se trouve également dans l’analyse d’un ensemble de négociations et compromis autour des études d’impact environnemental.

Le dernier chapitre analyse la Northwest Transmission Line (NTL), beaucoup plus contemporaine. Cette ligne à haute tension a été proposée en 2004 afin de surmonter ce qui est considéré comme un obstacle majeur au développement de la région et, surtout, à de nombreux projets miniers. BC Hydro s’est appuyée ici encore sur une stratégie discursive visant à présenter la NTL comme un bien public, fer de lance d’une économie verte pour le bassin. L’auteur revient sur les liens entre l’industrie minière et les partis politiques, et esquisse les risques de dislocation sociale et culturelle en raison de la pénétration d’une économie mondialisée.

Enfin, la conclusion offre un panorama actuel qui pose la question du devenir de ces espaces. On comprend bien que les configurations sociales et environnementales contemporaines sont un reflet des antécédents historiques (p. 166). L’ouvrage de Jonathan Peyton offre ainsi un aperçu, empiriquement riche, des héritages sociaux et environnementaux des projets de développement. À partir de ces études de cas a priori disparates, plusieurs liens se tissent, éclairant la façon dont se construisent les débats et les projets contemporains dans la région, au coeur d’un boum minier. On regrettera toutefois une montée en généralité timide, d’autant que la littérature pertinemment évoquée en introduction alimente assez peu les réflexions de l’auteur par la suite. L’analyse historique itérative de ces projets inachevés, déconstruits ou abandonnés a pourtant une portée certaine pour comprendre l’écologie politique des ressources extractives dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique et au-delà.