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Pierre Dansereau a peu besoin de présentation. Éminent écologue, professeur émérite, auteur et communicateur réputé, voilà autant d’attributs qu’on reconnaît à ce pilier des sciences de l’environnement au Québec. En 2011, Pierre Dansereau décédait à quelques jours de ses 100 ans. C’est pour rendre hommage à l’être humain et à son oeuvre que des amis et collègues ont rédigé ce livre, dont le point de départ fut la Semaine Pierre-Dansereau tenue à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), en mai 2015. En construisant sur l’oeuvre de l’éminent professeur, les directeurs de cet ouvrage, qui comprend une vingtaine d’auteurs, se sont donné l’objectif de partager leur admiration pour cet homme remarquable et de proposer des pistes pour approfondir la réflexion sur l’avenir des sciences de l’environnement.

L’ouvrage se divise en trois parties. La première propose cinq portraits de Dansereau. Le résultat nous donne une image saisissante de son cheminement, de sa contribution scientifique, de sa personnalité et de sa renommée. En outre, on retiendra de l’ensemble que Dansereau était un éminent botaniste et biogéographe avant d’ouvrir ses horizons, dans une perspective systémique, aux sciences sociales et humaines ainsi qu’à l’éthique. Sa force résidait dans la conceptualisation des systèmes complexes de nature socioécologique, sous l’influence millénaire et déterminante des sociétés humaines. Entre autres, on se souviendra de son schéma sur l’escalade de l’impact humain sur la planète, qui culmine par le « contrôle climatique » et l’« échappée exobiologique », ainsi que de sa fameuse boule-de-flèches composée de six niveaux en interaction, depuis la « minérotrophie » (niveau I) jusqu’au « contrôle » (la noosphère, niveau VI). Homme de terrain, il a su conquérir le coeur des Brésiliens. Il a d’ailleurs enseigné au Brésil quelque temps et visité ce pays à de nombreuses occasions. Celui qui fut appelé l’« écologiste aux pieds nus » nous convie à visiter notre « paysage intérieur », c’est-à-dire notre perception de l’environnement, pour mieux aborder les « paysages extérieurs ». Il dénonçait l’état de la planète sous l’influence de l’activité humaine et prônait ce qu’il a appelé l’« austérité joyeuse ». Restant positif jusqu’à la fin en dépit des incidences substantielles de la société sur la nature, il gardait espoir en l’avenir. Pierre Dansereau a marqué ceux et celles qui ont croisé son chemin. « Systémiste avant son temps », nous disent les directeurs de l’ouvrage, Pierre Dansereau analysait les problèmes sous leurs multiples facettes. Il encourageait le décloisonnement des disciplines. Convaincu de l’importance de la formation interdisciplinaire, il contribua à la mise en place de l’Institut des sciences de l’environnement à l’UQAM qui fêtait ses 25 ans en 2015.

La deuxième partie du livre propose une réflexion sur l’intégration des sciences naturelles et humaines pour aborder les problèmes contemporains de l’environnement. Les auteurs de ces quatre chapitres abordent la résilience climatique, le rapport écologie-économie, les énergies renouvelables en débat et l’action collective en temps de crise. Ils insistent sur l’indispensable interdisciplinarité ou transdisciplinarité pour avoir une vision holistique d’un problème socioécologique. Chacun à sa façon, ils mettent en perspective les réflexions du maître qui pourraient s’appliquer aux questions les intéressant. Ce faisant, ils illustrent bien comment Dansereau s’inscrivait dans les débats de son époque et comment ses réflexions, ses analyses et ses positions demeurent d’actualité.

La troisième partie, en quatre chapitres, aborde la question de l’éthique, de l’enseignement et de l’écodécision. En regardant les enjeux liés aux ressources naturelles, les auteurs mettent en exergue l’omniprésente interdépendance des considérations écologiques et humaines : le rôle de la science, des valeurs et de la participation citoyenne dans la genèse et la résolution des controverses environnementales ; l’importance de s’ouvrir à l’autre pour mieux comprendre l’insertion des projets dans l’espace et le temps vécus des communautés ; et, enfin, le fait que l’écodécision se prend sur la base de principes éthiques. Tout cela rend d’autant plus importante la formation des futurs professionnels qui proviennent d’horizons disciplinaires variés. Ces derniers sont invités à construire leur apprentissage personnel à partir de leur propre expérience et de leurs ambitions, ainsi que leur apprentissage collectif par l’ouverture à l’autre et à ses réalités quotidiennes, fussent-elles sociales, culturelles, disciplinaires ou autres.

Cet ouvrage collectif, parsemé de témoignages bien sentis de personnes proches de Pierre Dansereau, m’apparaît une contribution originale. Il rend un vibrant hommage à une figure de proue de l’écologie au Québec et ailleurs dans le monde. Malgré quelques redondances entre les chapitres et un niveau d’approfondissement et de réflexion variable selon les thèmes abordés, ce livre atteint l’objectif visé. Il ouvre la réflexion sur la contribution des sciences de l’environnement à l’analyse et à la résolution des problèmes complexes émergeant des rapports entre la société humaine et son milieu. À l’instar de Dansereau, les auteurs plaident en faveur du décloisonnement des disciplines ainsi que de la prise en compte des multiples perspectives pour aborder les problèmes et entrevoir leur résolution harmonieuse.

Je terminerai sur une phrase de son ami Jean-Guy Vaillancourt, à la mémoire de qui est dédié ce livre. En 1999, ce réputé sociologue de la paix, des religions et de l’environnement publia un court texte sur Pierre Dansereau dans la revue Sociologie et sociétés qu’il conclut sur ces mots : « Il nous apparaît aujourd’hui comme le précurseur d’un nouvel humanisme pour le troisième millénaire, un humanisme ancré à la fois dans l’écologie et dans l’écologisme, une science et une éthique qu’il a grandement contribué à bâtir. Il a fourni une contribution insigne au renouvellement de la science et de la société depuis plus de 60 ans. Il est une de ces grandes figures d’éducateurs et de chercheurs qui ont changé le cours de notre histoire, et qui ne cesseront jamais de nous inspirer » (Vaillancourt, 1999 : 193).