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Le livre est construit en quatre parties : la première s’intéresse aux liens sensoriels et affectif des habitants. Elsa Ramos y défend la thèse de la territorialisation fragmentée de l’identité, mais en recourant à la métaphore peu opérante de « racine » pour décrire l’attachement. Annabelle Brochet-Morel décrit les mémoires, habitudes et maîtrises spatiales des habitants qui valorisent des lieux géographiques. Lucile Grésillon se penche sur la sensorialité et tente d’étudier le fait de « sentir son lieu ». La deuxième partie porte sur les tensions qui surgissent dans l’occupation d’un logement quand émergent des problèmes. Cécile Vignal travaille sur les arbitrages résidentiels en milieu ouvrier, Blandine Glamcevski identifie le lien entre milieu rural et modes d’habiter des femmes. Julien Langumier examine les modes d’habiter après une inondation. La troisième partie porte sur les façons de s’approprier l’espace public. Magali Paris travaille sur l’appropriation du jardin, Pauline Frileux sur le rapport à autrui et au vivant dans les jardins pavillonnaires, Anne Jarrigeon sur la façon dont l’espace public est investi corporellement. Enfin, la quatrième partie retrace le rapport à l’ailleurs. Christophe Granger nous parle des vacances au XIXe siècle, Irène Dos Santos du contexte migratoire et Nathalie Ortar des résidences secondaires.

Toutes les contributions retracent certes des éléments empiriques multiples, mais aucune n’engage une contextualisation conceptuelle ou méthodologique et ne propose un état de la question à partir duquel on pourrait mesurer le chemin parcouru par les recherches documentées ici. Le véritable travail de contextualisation est proposé dans l’introduction, où Annabelle Brochet-Morel et Nathalie Ortar indiquent comment l’ouvrage s’insère dans le contexte actuel des études de « l’habiter ».

Le premier chapitre est à part. Il s’agit d’une sorte d’envoi de Nicole Mathieu, qui vise à défendre et illustrer le concept de mode d’habiter. L’auteure y retrace son parcours personnel au sein de la sociologie depuis les années 1970 et explique comment elle se positionne par rapport à ce terme. La définition est présentée au lecteur à la fin du texte seulement : « Le concept de "mode d’habiter" est construit pour permettre d’appréhender l’ensemble des relations (évolutives) qui s’établissent entre ces deux pôles généralement pensés séparément : les lieux et les milieux d’une part, les individus et "les gens" d’autre part » (p. 51). On n’a malheureusement pas trouvé d’élément plus explicite dans tout le texte qui préciserait un tant soit peu la notion et dirait en quoi le concept de mode d’habiter se distingue d’autres concepts et délimite des éléments spécifiques. Il est par conséquent totalement illusoire de prétendre que « le chantier ouvert par la mise à l’épreuve du concept de mode d’habiter est immense, mais les premiers résultats sont déjà très prometteurs » (p. 53). On peut même affirmer le contraire : puisqu’il n’y a pas de confrontation à de multiples propositions existantes, la mise à l’épreuve du concept n’est pas amorcée. Il reste une question intéressante, posée : « La question cruciale pour les sciences sociales aujourd’hui est bel et bien d’oser (re)penser les rapports de l’espèce humaine aux lieux et aux milieux qu’elle habite » (p. 35). C’est exactement ce que propose la géographie, notamment francophone, depuis une quinzaine d’années, à travers de multiples publications qui se positionnent par rapport aux questions de la mobilité accrue dans les modes ou styles d’habiter. Peut-être aurait-il été fructueux de les confronter.