Abstracts
Résumé
Dans cet article, nous faisons l’hypothèse que la mise en oeuvre d’une ville durable n’est pas incompatible avec des formes raisonnées d’extension urbaine. Un des enjeux majeurs est alors de comprendre comment peut s’effectuer la diffusion des exigences d’un développement urbain durable dans la fabrique de la ville ordinaire. À travers une grille d’analyse morphologique, nous montrons ainsi en quoi le Clos des Éparviers, lotissement périurbain de l’agglomération lyonnaise en France, peut être considéré comme durable. L’étude de la mise en oeuvre de cette opération montre que l’intégration de critères de qualité dans la conception de ce nouveau quartier repose en grande partie sur la capacité de la commune de Solaize à mener les négociations avec le lotisseur, grâce à la constitution d’une maîtrise d’ouvrage urbaine forte.
Mots-clés :
- Fabrique ordinaire de la ville,
- qualité du cadre bâti,
- lotissement,
- morphologie urbaine,
- négociation
Abstract
This article argues that the creation of sustainable cities is compatible with a reasonable degree of urban expansion. The challenge we then face is understanding how the constraints of sustainable development can best be implemented in the creation of “ordinary cities”. Using morphological analysis, we show that the Clos des Eparviers, a new subdivision of the French city of Lyon, can be seen as an example of sustainability. Our analysis of the implementation of this subdivision illustrates how the incorporation of quality-based criteria into the planning process for the new development was primarily the result of effective project management that provided the municipality of Solaize with a strong bargaining position.
Keywords:
- Ordinary city making,
- built environment quality,
- allotment, urban morphology,
- bargaining context
Resumen
Este artículo sostiene la hipótesis que la realización de una ciudad sostenible no es incompatible con las formas razonadas de crecimiento urbano. Uno de los principales retos es el de comprender cómo efectuar la difusión de las exigencias de un desarrollo urbano sostenible, en la construcción de una ciudad corriente. Con la ayuda de un cuadro de análisis morfológico, mostramos en qué Clos des Eparviers, loteamiento periurbano de la aglomeración lionesa (Francia), puede considerarse como sostenible. El estudio de la operación muestra que la integración de criterios de calidad en la concepción de un nuevo barrio se basa en la capacidad del municipio de Solaize para negociar con el que lotea, gracias a la organización de la maestría de la construcción urbana fuerte.
Palabras clave:
- Fábrica corriente de la ciudad,
- calidad de la obra construida,
- loteo,
- morfología urbana,
- negociación
Article body
Introduction – Fabriquer la ville ordinaire à l’heure de l’injonction au développement durable
La notion de développement durable est devenue aujourd’hui incontournable dans les discours et l’action urbaine (Hangthton et Hunter, 1994 ; Monin et al., 2002 ; Watcher, 2003 ; Emélianoff, 2004 ; Larrue, 2009 ; Hamman, 2011). Si elle a la faiblesse de reposer sur des référentiels scientifiques disparates et controversés (Hertig, 2011), elle n’en demeure pas moins un horizon programmatique de référence, très largement mobilisé dans l’orientation des politiques urbaines contemporaines. L’injonction de produire une ville durable s’est notamment traduite, en France, par une modification des cadres juridiques et réglementaires de l’action urbaine (Emélianoff, 2004). À partir de la fin des années 1990, le principe du développement durable est ainsi intégré de manière très volontariste dans une série de nouvelles lois [1], exprimant une « injonction institutionnelle » posant dans la production urbaine le « nouveau paradigme de la durabilité » (Bernié-Boissard et Chevalier, 2011 : 42).
Or, ce modèle émergent de la ville durable s’est en partie construit sur le rejet des espaces issus de la périurbanisation (CCE, 1990). Pour certains auteurs, l’apparition du référentiel du développement durable dans le champ des politiques urbaines serait même intimement liée, en France, à la montée en puissance des critiques de l’étalement urbain (Bernié-Boissard et Chevalier, 2011). Inversement, la dénonciation du périurbain dans la pensée aménagiste se cristallise dans une rhétorique de la durabilité autour, entre autres, du thème de la « culpabilité énergétique » de ces espaces (Fourny et Lajarge, 2011). Il est intéressant de noter que cette condamnation massive s’exprime en partie dans un registre morphologique à travers le rejet consensuel d’une forme d’urbanisation qu’est l’étalement et, depuis quelques années maintenant, de l’émiettement urbain (Charmes, 2009). Charmes montre que l’observation des processus de périurbanisation à une échelle plus fine relève moins de l’image de la « tache d’huile » (étalement), que de celle du « saut de puces » (Castel, 2007) caractérisé par la discontinué morphologique, où « chaque noyau rural (village, bourg, petite ville) [se dote] de sa couronne d’ensemble pavillonnaire tout en étant séparé des communes voisines par une bande non construite » (Charmes, 2009 : 28). Il souligne à cette occasion l’importance d’analyser la périurbanisation dans une perspective qualitative (notamment au niveau de ses modalités d’organisation spatiale) et plus strictement quantitative, comme c’est souvent le cas dans le débat public en termes de m2 artificialisés / an. Malgré tout, le processus de périurbanisation continue sa marche (Baccaïni et Sémécurbe, 2009 ; Fourny et Lajarge, 2011). Il se poursuit en effet encore aujourd’hui à travers la transformation des zones agricoles et naturelles en zones urbanisées, « principalement sous l’effet de la construction de logements individuels » (Baccaïni et Sémécurbe, 2009 : 1) [2].
Une tension émerge de ce paradoxe apparent. D’un côté, l’injonction au développement durable – qu’elle passe par l’évolution de la réglementation ou par la réalisation de quartiers expérimentaux – résulte essentiellement d’initiatives publiques. De l’autre, la fabrique périurbaine est majoritairement produite par des modes opératoires privés, significativement différents de la production de la ville par projet (Landrieu, 1999 ; Bourdin, 2001) qui travaille les paysages urbains des villes-centres. Cette dernière, caractérisée par des montages procéduraux complexes associant de multiples partenaires publics et privés, souvent surinvestie en termes politiques, financiers et symboliques, diverge fondamentalement des modes de faire plus ordinaires à l’origine de la construction des espaces périurbains résidentiels. Cette ville ordinaire, produite en dehors des projets urbains exemplaires, est construite par des processus moins institutionnalisés, à travers la mise en oeuvre de procédures d’urbanisme opérationnel plus modestes, à des échelles plus fines et par des acteurs privés. Nous nous posons alors la question suivante : comment peut s’effectuer la diffusion des exigences d’un développement urbain durable, au-delà de l’exemplarité des écoquartiers construits au sein de l’agglomération consolidée, dans la fabrique ordinaire de la ville ?
Pour répondre à cette question, nous procédons ici à une double caractérisation – d’objet et de concept – qui nous permet de circonscrire le champ de notre analyse et d’en délimiter l’ambition. Tout d’abord, nous proposons d’analyser, non pas le périurbain en général, mais la mise en oeuvre d’une de ses procédures de production privilégiées en France : le lotissement. Les auteurs distinguent ainsi généralement trois modes opératoires dans la fabrique ordinaire du périurbain résidentiel, en France (Castel, 2005 ; Vilmin, 2005 ; Callen, 2011 ; Halleux et Stree, 2012) : l’autoconstruction ou construction pour soi extérieure à toute opération d’aménagement, l’habitat groupé, issu de l’intervention continue du promoteur depuis l’achat du foncier jusqu’à la commercialisation des maisons, et le lotissement, défini comme la division d’une propriété foncière en plusieurs lots dans le but d’y implanter des constructions. Ce dernier nous semble particulièrement intéressant parce que, contrairement à l’autoconstruction ou à la promotion, il introduit, sur le principe, un outil d’« urbanisme négocié » à la convergence de la reconnaissance de la volonté particulière de construire son cadre de vie et de l’importance d’une organisation collective et planifiée de l’urbanisation. En effet, ce mode opératoire intègre les projets de construction des ménages acquéreurs des lots dans le cadre d’un aménagement viaire et parcellaire conçu à une échelle plus large par le lotisseur.
Nous effectuons ensuite un glissement conceptuel en abordant l’évaluation de la durabilité d’un tissu urbain à travers la mobilisation de la notion de qualité du cadre bâti. À la suite de Cyria Emélianoff, nous considérons ainsi que le modèle de la ville durable ne s’offre pas à l’analyse comme un « courant urbanistique théorisé » (2004 : 22) directement incarné dans un système d’indicateurs transposables, mais plutôt comme un horizon futur, un « référentiel prospectif » (2007 : 49) procédant d’un triple décadrage : en termes d’échelle spatiotemporelle, de remise en question de l’urbanisme moderne et à travers un mouvement de réinscription territoriale et écologique du développement urbain. Dans cette perspective, nous nous référons aux travaux entrepris par Masboungi (2008) et souscrivons alors à une acception large du développement urbain durable, estimant que ce dernier se cristallise à l’échelle des opérations d’urbanisme autour de la notion de qualité et que « la recherche de qualité urbaine […] apparaît aujourd’hui comme un des leviers majeurs de l’adaptation à un nouveau mode de croissance urbaine plus durable, découplée de la consommation de ressources non renouvelables » (Da Cunha et Guinand, 2014 : 35). La notion de qualité, et inversement celle de médiocrité, soulèvent inévitablement un problème de définition conceptuelle : elles relèvent d’un processus d’évaluation, d’une démarche d’attribution de valeurs conditionnée par un système de références, qui fait que la médiocrité ou la qualité d’un espace seront toujours relatives et ancrées dans la subjectivité de celui qui les évalue ou les revendique (Barbarino-Saulnier, 2005). Pour autant, la lecture attentive des publications des professionnels sur les lotissements conduit à identifier une cristallisation de la critique sur la dimension morphologique de ces opérations, d’une part, et une convergence dans la définition des critères de la médiocrité formelle de ces quartiers, d’autre part. L’analyse présentée ici s’appuie donc sur cette grille d’évaluation partielle et relative de la qualité, abordée dans sa seule dimension morphologique. Soulignons que cette approche morphologique de la qualité n’a bien sûr pas vocation à épuiser la complexité de cette notion (Da Cunha et Guinand, 2014). Cependant, la dimension formelle de la qualité nous semble essentielle, et ce, pour trois raisons : sa place centrale – on l’a vue – dans le procès fait aux lotissements, son caractère opérationnel, et l’importance de la question des modalités d’organisation spatiale de la périurbanisation (Charmes, 2013).
Cet article défend la thèse que la mise en oeuvre d’une ville durable n’est pas incompatible avec des formes raisonnées d’extension urbaine, conçues et réfléchies au niveau de leur conception formelle, mais aussi de leur mise en oeuvre.
À la suite d’une revue de littérature abondante et pluridisciplinaire sur les modalités de production de la ville, nous proposons d’analyser les lotissements par la fabrique urbaine. Cette entrée nous conduit à nous intéresser à la fois aux modalités d’organisation de l’action collective urbaine, et à l’espace pris dans sa matérialité physique. Nous considérons ainsi qu’il existe, dans la production de la ville, un lien étroit entre processus et contenu, c’est-à-dire entre les modes de faire (jeu d’acteurs, processus de régulation, procédures, accords, etc.) et les formes spatiales produites. C’est par l’articulation de ces deux approches, à la fois morphologique et processuelle, que nous nous penchons ici sur la fabrique ordinaire de la ville diffuse, entendue ici non dans sa définition originelle restrictive de città diffusa, telle que conçue dans les années 1990 par Indovina (1990) pour réfléchir aux spécificités de l’urbanisation du territoire du Veneto en Italie (Grosjean, 2010), mais au sens large comme figure urbaine contemporaine peu dense, dissidente de l’image directrice héritée qu’est la ville compacte (Schurbarth, 2007).
Cette double entrée amène à prendre en compte un caractère essentiel de ce mode opératoire : la discontinuité. En effet, en considérant, à la suite de Borie et Denieul (1984), que les tissus urbains sont composés de l’articulation de quatre trames (viaire, parcellaire, trame des vides [3] et trame bâtie) (figure 1), on s’aperçoit que la procédure de lotissement implique inévitablement une segmentation des fonctions dans le processus de fabrication des nouveaux quartiers (Tapie, 2003). La séparation de la production du foncier à bâtir de la construction du bâti lui-même introduit nécessairement une discontinuité entre l’aménagement de la trame viaire, parcellaire et des espaces vides, d’une part, et la conception de la trame des pleins, d’autre part. Cette fragmentation dans la conception urbaine est d’autant plus problématique qu’elle amène un décrochage en termes d’échelles : tandis que la production du foncier à bâtir se réfère à l’échelle du quartier, la construction du bâti se réalise par maîtrise d’ouvrage individuelle à l’échelle de la parcelle (figure 2). L’absence de maîtrise de la forme urbaine finale qu’elle implique est souvent mentionnée par les acteurs de l’urbanisme comme un problème. Cette discontinuité – morphologique et processuelle – inhérente au lotissement interdit-elle pour autant l’intégration de la qualité dans ces opérations ?
La littérature professionnelle – par ailleurs si sévère à l’égard de ce mode opératoire – ouvre des pistes de réflexion qui suggèrent le contraire. Elle rapporte l’existence d’un « signal faible » [4], celui d’opérations contemporaines de lotissement identifiées a contrario pour leur singularité – voire leur qualité – morphologique. C’est notamment le cas du lotissement le Clos des Éparviers, construit au milieu des années 2000 à Solaize, petite commune périphérique de la communauté urbaine de Lyon, le Grand Lyon [5] (figure 3).
À travers l’analyse de cette opération, nous évaluons, dans un premier temps, en quoi et selon quels critères le Clos des Éparviers peut effectivement être qualifié de développement de qualité d’un point de vue morphologique, en comparaison avec les formes généralement produites dans les lotissements périphériques. Dans un second temps, nous analysons quels ont été les instruments de la traduction opérationnelle des principes qualitatifs dans cette opération, afin de déterminer des pistes de travail pour réfléchir à l’intégration du développement durable dans la production de la ville ordinaire.
Cette analyse repose sur une lecture systématisée de la littérature professionnelle sur les lotissements. Le corpus bibliographique a été constitué selon la méthode suivante : nous avons analysé les publications portant sur les lotissements et / ou la qualité (sélection par mots-clés) produites par deux catégories d’acteurs à l’origine d’une littérature professionnelle sur les lotissements : – les structures qui se positionnent dans l’aide à la décision et qui, pour remplir cette mission, ont des activités d’étude et de publication (à l’échelle locale, il s’agit des Conseils d’architecture et d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), des agences d’urbanisme et des directions régionales et départementales (DDE et DREAL) ; à l’échelle nationale, nous avons retenu la Fédération nationale des CAUE, le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) (anciennement CERTU), les Centres d’études techniques de l’équipement (CETE) et le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) ; – les organismes professionnels qui interviennent directement dans l’opérationnel et qui sont, en parallèle, producteurs d’un discours publicisé sur leur propre action : le Syndicat national des aménageurs lotisseurs (SNAL) et l’Union nationale des constructeurs de maisons individuelles (UNCMI). L’analyse repose également sur un travail de terrain qui a concerné la partie aménagement de l’opération du Clos des Éparviers – renvoyant ainsi essentiellement à la réalisation du permis d’aménager. Pour ce faire, nous croisons des sources de natures différentes, renseignant sur le contexte, le contenu et la mise en oeuvre de l’opération : des entretiens semi-directifs auprès des acteurs, la consultation de la littérature grise de l’opération (études urbaines, esquisses, évolution de la programmation, etc.) et des documents liés au jeu d’acteurs (comptes rendus de réunion, courriers, notes internes), complétés par une analyse du cadre réglementaire.
Le Clos des Éparviers : une opération de qualité, contrastant avec les lotissements contemporains classiques
L’approche morphologique nous offre une grille d’analyse efficace (figure 1) pour objectiver les critères d’évaluation de la qualité formelle – en négatif de la médiocrité – utilisés par les auteurs pour critiquer les lotissements. Nous complétons cette grille de lecture d’une cinquième dimension spatiale, celle de la localisation, omniprésente dans la critique des lotissements, et qui renvoie à une échelle plus large de l’appréciation de la morphologie d’une opération.
Le Clos des Éparviers s’est forgé une petite réputation dans la région Rhône-Alpes. Candidat au Grand prix de l’urbanisme du CAUE [6] du Rhône dans la catégorie aménagement urbain et paysager en 2008 (CAUE 69, 2008), il est régulièrement cité par les professionnels [7] et visité par les élus locaux (Grand Lyon, 2010), notamment dans le cadre d’une formation sur les formes urbaines et la densité. La mobilisation d’une grille d’analyse morphologique permet de comprendre, par effet de contraste, en quoi cette opération peut effectivement être considérée comme un contre-exemple de l’irrévocabilité de la médiocrité formelle des lotissements.
Localisation et trame viaire : une extension urbaine intégrée à son environnement
Le Clos des Éparviers contraste, dans ses propositions spatiales, avec les paysages classiques des lotissements français. Situé à proximité immédiate du centre de Solaize, le quartier obéit à une logique de « greffe » urbaine (Masboungi, 2008), travaillée dans plusieurs registres (figure 4). Au-delà de la localisation géographique, l’intégration dans le tissu urbain provient de la connexion des nouvelles voies à la trame viaire existante. Ce parti pris formel s’oppose à la logique insulaire de l’impasse caractérisant généralement les lotissements. L’enjeu de la connexion a d’ailleurs été pensé de façon multimodale : de nouvelles liaisons piétonnes (figure 5) connectent aussi le Clos des Éparviers au réseau d’espaces publics, aux équipements voisins, ainsi qu’à un arrêt de bus au nord, reliant le quartier à l’ensemble du réseau de transport public de l’agglomération lyonnaise.
Cette prise en compte des mobilités piétonnes est particulièrement judicieuse, puisqu’elle lie, dans une logique de proximité, le nouveau quartier à la centralité de la commune. Elle tranche singulièrement avec le fonctionnement presque exclusivement routier qui caractérise souvent les lotissements. La logique d’« agrafe urbaine » (Pech, 2009), opposée à la logique de coupure générée par les trames viaires insulaires et exclusivement routières des lotissements classiques, passe également par la considération des perspectives, habituellement négligées, dans l’aménagement de la trame. Le profil de la rue Saint-Sylvestre, par exemple, a été conçu de façon à préserver la vue sur l’église, depuis l’espace public (figure 6). L’attention portée aux perspectives urbaines n’a pas une valeur anecdotique. Elle traduit la prise en compte de l’usager de l’espace dans sa qualité de piéton, en préservant les continuités visuelles. La mise en scène du paysage ainsi proposée a finalement une forte portée symbolique puisqu’elle intègre les habitants du Clos des Éparviers à l’ensemble de la commune, à travers les vues vers la centralité, mais aussi à leur environnement géographique plus large par l’intégration du grand paysage (figure 6).
Une trame parcellaire diversifiée
Le dessin des parcelles du Clos des Éparviers diverge lui aussi des trames parcellaires ordinairement conçues dans les opérations de lotissement. Généralement, l’objectif de maximisation de la rente foncière qui guide les pratiques de découpage parcellaire se fait au détriment de la prise en compte des éléments du site (topographie, ensoleillement, rapport à la voie, etc.) (Mangin, 2004). La rationalité géométrique d’usage conduit alors à l’uniformisation des lots, qui implique souvent une unicité du programme nuisant fortement à la construction d’une mixité résidentielle à l’échelle de l’opération. Ici, au contraire, le parcellaire est diversifié dans ses formes et dans ses tailles (figure 7). Cette diversification est importante, car elle rend possible la construction d’un programme hétérogène quant aux produits et à la typologie des logements. Une réflexion sur la réduction de la taille des parcelles semble par ailleurs avoir été menée, contrastant avec la « grandeur inutile » des lots (Comby, 2008) communément acquise dans les lotissements. Alors que les auteurs remarquent que la surface des parcelles en lotissement descend rarement en dessous 800 m2, considérés comme un minimum accepté pour les classes moyennes et supérieures (Sistel, 2005), certains lots font ici moins de 300 m2.
Trame bâtie et trame des vides : des espaces ouverts structurants
La qualité du plan d’aménagement du Clos des Éparviers repose en grande partie sur le soin porté aux espaces publics. Ces derniers sont en effet généralement délaissés dans la conception de ce type d’opération, ou bien construits dans une logique fonctionnaliste, comme des espaces de stationnement ou des aires de retournement. Ici, la trame des vides joue au contraire un rôle structurant dans l’ensemble du plan de composition. Le mail central, pensé comme un « dispositif écologique de récupération des eaux de pluie » (Foncier Conseil, 2001 : 8), est aussi un véritable espace public piéton, qui a fait l’objet d’un traitement paysager poussé (figure 8). Il constitue la colonne vertébrale du projet. La trame viaire vient ainsi s’accrocher à cette artère principale, composant avec elle un réseau d’espaces collectifs hiérarchisés (figure 4).
Afin de préserver la qualité de cet espace, le traitement des interfaces espace public / espace privé a été finement étudié par l’aménageur (figure 9). Alors que, bien souvent, la conception des clôtures dans les lotissements répond avant tout à des objectifs d’isolement et de protection des surfaces privatives, ici, la fonction de « façade sur espace public » des limites de lots a été prise en compte. C’est en partie grâce à ce travail sur la perception de l’espace depuis l’espace public que la qualité urbaine a été construite. Car la trame bâtie reste en elle-même semblable aux formes classiques tant critiquées dans la plupart des lotissements. Les densités bâties – point essentiel de la critique durabiliste – sont faibles (13 logements à l’hectare), bien qu’une réflexion sur leur répartition ait été réalisée selon un gradient ouest-est, avec des densités plus fortes près du bourg et plus faibles en marge de l’opération. Sans entrer dans des considérations d’esthétique architecturale [8], on note également que les maisons n’innovent pas non plus en matière d’économie d’énergie ou de qualité des matériaux. Par contre, la logique d’implantation de la trame bâtie du Clos des Éparviers se distingue nettement des lotissements classiques. On retrouve ainsi le caractère structurant des espaces non bâtis en fonction desquels viennent s’implanter les maisons (soit directement en front de rue, soit en léger retrait [<5 m] mais parallèles à la voie). Cette logique d’implantation du bâti « par le vide », contraire aux pratiques habituelles de construction systématique des maisons en milieu de parcelle [9], permet de réduire les vis-à-vis (DRAC / STAP Basse-Normandie, 2013) et de maximiser la surface privée non bâtie, à la fois dans une perspective de mutabilité du tissu et de plein usage du jardin (CAUE, 2009).
Bien que médiocre au regard de certains critères explicités plus haut (densité, consommation énergétique, matériaux de construction), le bâti influence finalement peu l’ambiance générale du quartier, car il ne surdétermine pas son paysage, il s’efface derrière l’espace public. Et on remarque que c’est justement là où l’espace public est le plus faible – notamment dans la rue du Repos, aménagée dans une logique routière [10] – que cette qualité se perd (figure 10).
L’utilisation de la notion de qualité comme outil d’analyse morphologique montre que les propositions spatiales du Clos des Éparviers contrastent par bien des aspects avec les formes traditionnellement produites dans les lotissements. Les concepteurs ont ainsi réussi à intégrer des critères de qualité dans différentes dimensions de la forme urbaine et à plusieurs échelles.
Quels instruments pour la mise en oeuvre d’un lotissement plus durable ?
L’opération du Clos des Éparviers se singularise, par la qualité urbaine qu’elle a su engendrer, des lotissements habituellement tant critiqués dans la littérature. Pourtant, elle relève bien du même mode opératoire. C’est le lotisseur Foncier Conseil, filiale du groupe Nexity, qui dépose en juin 2001 une demande d’autorisation de lotir [11] sur le secteur des Éparviers et qui devient, une fois l’autorisation accordée, maître d’ouvrage de l’opération. Comment une même procédure peut-elle donner des résultats si différents ?
L’entrée par la fabrique urbaine nous apprend que le processus de production de la ville, même ordinaire, ne se réduit justement pas à l’application d’une procédure. En effet, à l’instar de Halleux et Stree (2012), nous considérons au contraire que la mise en oeuvre d’une opération de lotissement procède d’une combinaison complexe et systémique engageant une pluralité d’acteurs au sein d’un processus itératif, débordant très largement du cadre de la procédure administrative d’obtention du permis de lotir. La figure 11 donne une idée de cette complexité.
L’appartenance de la commune de Solaize au Grand Lyon, la valeur assurantielle du contexte métropolitain lyonnais, ainsi que le fort investissement de l’équipe municipale constituent des facteurs essentiels de la production d’une qualité urbaine dans l’opération du Clos des Éparviers. Son intégration dans le Grand Lyon lui donne les moyens d’asseoir des exigences fortes en termes de qualité dans l’opération de lotissement du Clos des Éparviers, sans qu’elle ait pour autant besoin d’en assumer la maîtrise d’ouvrage et donc la charge financière.
L’accès à des ressources cognitives
Grâce à son appartenance au Grand Lyon, Solaize accède à des ressources cognitives qui lui permettent de construire une réflexion aboutie sur son territoire et sur le développement qu’elle veut lui donner.
Elle profite du lancement, au début des années 1990, de la politique communautaire d’accompagnement des communes par un architecte-conseil. Mandaté par le Grand Lyon, ce dernier arrive en poste en 1990 à Solaize et va suivre jusqu’à aujourd’hui l’ensemble des projets d’urbanisme sur le territoire communal. Son arrivée s’accompagne d’un long travail de diagnostic [12] qui pousse la collectivité à réfléchir à une stratégie de développement urbain. Un certain nombre d’études et de scénarii sont ainsi réalisés [13]. La commune se forge progressivement un double projet d’extension et de structuration urbaine. Elle décide ainsi, durant la décennie 1990, de se doter d’un véritable centre, en réaménageant l’espace public devant l’église et la mairie, et d’anticiper son extension sur les terres agricoles situées entre ce nouveau centre et les anciens lotissements à l’est et au sud, sur ce qui deviendra le Clos des Éparviers (figure 12).
On comprend donc que cette opération de lotissement, bien que de maîtrise d’ouvrage privée, s’inscrit en réalité dans une réflexion ancienne conduite par la commune et guidée par l’architecte-conseil. Ce dernier a finalement un rôle essentiel dans la réalisation de cette opération, car il est l’acteur central d’une acculturation des élus solaizards à l’urbanisme. Il leur permet de construire un projet fort sur cet espace, qui devient une base de discussion, avec une vraie valeur contraignante pour le lotisseur lors du lancement opérationnel du lotissement. L’épaisseur historique et la solidité de la volonté communale sur le secteur des Éparviers permettent à la collectivité de s’imposer dans les négociations face à l’entreprise Foncier Conseil.
Le renforcement de l’ingénierie de projet
L’accès à de nouvelles ressources se poursuit dans la phase de lancement et dans la phase opérationnelle du Clos des Éparviers. Le Grand Lyon permet en effet à Solaize de renforcer considérablement son ingénierie de projet. On en prend la mesure en comparant les moyens mis à sa disposition avec les ressources existant en interne. L’équipe strictement communale en charge du suivi de l’opération se limite ainsi au maire et à sa collaboratrice de cabinet.
En 2001, alors que l’opération se crédibilise avec l’arrivée de Foncier Conseil, le Grand Lyon prolonge spécifiquement la mission de l’architecte-conseil afin qu’il accompagne la mairie de Solaize dans la phase de suivi de la conception et de la programmation du nouveau quartier [14]. La même année, les services communautaires de la voirie, de l’eau, de la propreté, de l’urbanisme territorial, de l’urbanisme appliqué et le responsable territorial du développement urbain sont mobilisés afin d’étudier la faisabilité de l’opération. Toujours en amont du dépôt de la demande d’autorisation de lotir auprès du service instructeur, la communauté urbaine mandate un bureau d’études en urbanisme et paysage (InSitu), afin qu’il réalise un cahier des charges paysager et technique du mail et de l’ensemble des voies créées par le lotisseur. Ce cahier des charges est par la suite intégré tel quel dans le rapport de présentation de l’autorisation de lotir, devenant de la sorte un engagement contractuel de Foncier Conseil.
La mobilisation de ces compétences d’ingénierie de projet avant l’instruction de l’autorisation de lotir permet à la commune d’engager les négociations avec le lotisseur en amont du processus. Elle peut ainsi mener une concertation plus riche que si elle avait simplement joué un rôle de censeur lors de la phase administrative. Ceci lui permet de dépasser l’action strictement « réparatrice » et souvent peu satisfaisante, exercée par les services instructeurs dans les limites de la légalité des demandes d’autorisation. On note d’ailleurs que l’instruction n’a modifié que très à la marge le projet de lotissement, dont l’ensemble des caractéristiques avaient déjà largement été débattues en amont.
Traduction réglementaire des principes d’aménagement du site
Par ailleurs, le résultat de ces négociations prend une valeur contraignante, car il est intégré dans la réglementation du sol. En effet, le Grand Lyon, qui a compétence en matière de planification, procède en 2001 à la modification de son Plan d’occupation du sol (POS). Solaize a donc pu donner une valeur réglementaire aux grands principes d’aménagement du secteur des Éparviers et contraindre de la sorte le lotisseur au respect de ces principes. Le nouveau POS, approuvé par le conseil de communauté en février 2001, rend alors constructible le terrain, mais conditionne son urbanisation au suivi d’un certain nombre de prescriptions. Il inscrit ainsi au droit des sols l’espace végétalisé du mail, les intentions de voirie et l’espace public au croisement de la rue du Bleu et de la rue Saint-Sylvestre (figure 13).
Si l’appartenance à une structure métropolitaine de gouvernance urbaine forte constitue bien un levier majeur de l’intégration de critères de qualité dans l’opération des Éparviers, l’analyse a révélé que d’autres facteurs explicatifs devaient aussi être soulignés.
Le contexte métropolitain lyonnais : un terreau fertile, une valeur assurantielle ?
Tout d’abord, l’inscription de Solaize dans des dynamiques métropolitaines, dans un sens urbain (et non politique) cette fois, participe à la promotion de la qualité dans le lotissement étudié. L’appartenance de Solaize au Grand Lyon semble ainsi également jouer un rôle assurantiel, qui pousse Foncier Conseil à sortir d’une logique strictement économique de maximisation de sa rente foncière. En effet, comme le soulignent dans leurs travaux des auteurs comme Halleux et Stree (2012) ou Vilmin (2012), la localisation d’une opération et, notamment, sa proximité avec la ville-centre constituent des variables centrales pour la compréhension des formes urbaines produites, déterminant ainsi des « aires de marché » (Ibid. : 29). Sur un foncier dont la valeur et l’attractivité sont garanties par la proximité du centre [15], l’aménageur privé, ayant a priori l’assurance d’un retour sur investissement facilité, est plus enclin à innover. Dans cette perspective, il semble ici que l’image du Grand Lyon ait joué un rôle de valeur assurantielle pour Foncier Conseil, le rendant plus ouvert aux exigences de la commune.
Par ailleurs, le contexte métropolitain lyonnais semble aussi introduire, dans le jeu d’acteurs, une logique de réseaux et d’interconnaissance appelant, par des effets de réputation, les lotisseurs à intégrer de plus en plus des critères de qualité dans leur projet afin de se distinguer de leurs concurrents. Les conditions d’arrivée de Foncier Conseil en tant que maître d’ouvrage valident en effet cette hypothèse. Plusieurs lotisseurs étaient intéressés par le terrain du Clos des Éparviers. Officiellement, aucun concours n’a eu lieu pour sélectionner l’aménageur du site, la commune n’ayant pas la maîtrise d’ouvrage de l’opération. Pour autant, c’est grâce à une logique de cooptation que Foncier Conseil a pu s’imposer. En effet, l’adjoint à l’urbanisme de l’époque travaille alors aussi dans un grand bureau d’architecture lyonnais. Il connaît, au moins de réputation, le travail réalisé par le lotisseur. Les élus de la commune et l’architecte-conseil sont amenés, à l’initiative de ce dernier à visiter certaines des anciennes opérations de Foncier Conseil. C’est ainsi que le lotisseur se fait connaître de l’équipe municipale et communautaire, et devient « l’aménageur désigné » [16] du site. Le lotisseur se différencie notamment de ses concurrents par sa politique particulière, qui consiste à faire appel de manière systématique à un urbaniste pour travailler l’aménagement de son site. Il se lie, dans son projet pour les Éparviers, à un architecte-paysagiste local connu, Didier Larue.
Portage politique, maîtrise foncière et gestion stratégique des temporalités
D’autre part, on ne peut pas ignorer la force du soutien politique de l’opération par la commune, qui a constitué une variable centrale de la réussite du Clos des Éparviers. L’équipe municipale et, surtout, le maire s’engagent à la fois pour rendre possible sa réalisation et pour défendre certains principes d’aménagement. Cet investissement se traduit par une mobilisation en continu sur le terrain. La commune est omniprésente tout au long du processus, sollicitant de manière systématique Foncier Conseil afin de suivre de près la phase de programmation et de conception. L’efficacité de l’engagement politique a été renforcée par la longévité de l’équipe municipale. Le maire, réélu à cinq reprises, assure une continuité certaine dans le « portage » politique de l’opération, depuis l’initialisation jusqu’à la phase opérationnelle. L’importance de l’engagement municipal se traduit concrètement par une politique foncière volontariste et stratégique. La commune acquiert ainsi en 1992, soit neuf ans avant que l’opération se crédibilise, des terrains à l’est de l’église, sur ce qu’elle imagine être son futur site d’extension. Lorsque les négociations débutent avec Foncier Conseil, elle est donc propriétaire de près de 60 % de l’assiette foncière du secteur des Éparviers. Elle utilise ce pouvoir foncier pour consolider sa position face au lotisseur, conditionnant la vente de ses terrains au respect de ses exigences en termes d’aménagement et de composition urbaine. Elle ne revend ses terrains à Foncier Conseil qu’une fois le plan d’aménagement déposé auprès des services instructeurs, afin de maintenir ce levier de pression jusqu’à ce qu’elle ait l’assurance que sa volonté soit effectivement respectée.
En outre, la commune manipule ingénieusement les temporalités en jeu. Ainsi, il n’est sans doute pas anodin que l’opération entre dans une phase préopérationnelle au moment même où Solaize modifie son document d’occupation du sol. Les négociations avec le Grand Lyon pour le POS, et avec Foncier Conseil sur la conception et la programmation du Clos des Éparviers, sont menées en parallèle, d’une part, de façon à rendre possible l’opération, en changeant le zonage des terrains d’assiette et, d’autre part, à contraindre le lotisseur en donnant une valeur réglementaire aux principes d’aménagement de la zone.
Des éléments contextuels singuliers : la convergence de trajectoires personnelles
Pour finir, il convient de souligner que le Clos des Éparviers bénéficie de la convergence des trajectoires personnelles de certains de ces acteurs. La qualité de la concertation entre les pouvoirs publics et Foncier Conseil et l’ouverture de cette firme au dialogue sur une opération dont elle porte tout de même seule le risque financier viennent ainsi en partie de la singularité de la situation dans laquelle se trouve l’entreprise quand elle se lance dans le projet. Son directeur de l’époque est alors à la veille de la retraite et souhaite terminer sa carrière sur une opération exemplaire qui saura valoriser au mieux son bien avant de le vendre. Il cherche ainsi, en soignant la réalisation de ce lotissement, à changer l’image de son entreprise en passant du statut de lotisseur à celui de partenaire des collectivités territoriales, et d’une collectivité en particulier : le Grand Lyon. L’intégration de critères de développement durable et la promotion d’une certaine qualité urbaine participent donc de cet objectif.
Conclusion
En choisissant d’étudier les modalités de production du lotissement du Clos des Éparviers, nous souscrivons à l’espoir formulé en 2008 par Ariella Masboungi, qui consiste à penser que l’observation d’opérations de qualité dans la fabrique ordinaire de la ville laisse entrevoir un renouvellement des modes de fabrique de cette ville banale vers plus de qualité et de durabilité, et saura nous renseigner pour promouvoir un développement urbain plus durable.
Si la procédure de lotissement introduit une discontinuité difficilement contournable entre la fabrique du foncier à bâtir et celle de la trame bâtie, l’analyse morphologique du Clos des Éparviers offre des pistes de réflexion pour y introduire malgré tout des critères de qualité. L’opération étudiée ne diverge pas fondamentalement des lotissements classiques, dans son bâti ou dans le traitement des questions environnementales liées à l’urbanisation (énergie, densité, déchets, etc.). Pour autant, elle nous montre que, malgré ces éléments, la production de la ville par lotissement peut être en partie qualifiée par une intégration de l’opération dans son environnement, une diversification de sa trame parcellaire et la structuration du plan d’aménagement par la trame des vides.
Cette analyse nous a également montré que l’intégration dans une structure de gouvernance métropolitaine forte a donné les moyens cognitifs, réglementaires et d’ingénierie à une petite commune périphérique de défendre ses intérêts dans la réalisation d’une opération dont elle n’avait pas la maîtrise d’ouvrage. Un véritable partenariat de projet s’est en effet constitué autour de la réalisation du Clos des Éparviers, conduisant à l’intégration d’une certaine qualité urbaine au sein même d’un mode opératoire, le lotissement, réputé pour sa médiocrité. À l’heure de la crise des finances publiques, le projet du Clos des Éparviers donne un exemple intéressant de réussite de la maîtrise du développement urbain par une collectivité sans que celle-ci ait eu à en assumer le « portage » financier.
Au terme de cette analyse, le lecteur se demandera peut être si l’opération choisie – de par son exemplarité et la convergence d’éléments singuliers difficilement reproductibles aujourd’hui, tels que la maîtrise publique foncière, ou la trajectoire particulière de Foncier Conseil – peut encore être considérée comme un exemple de fabrique ordinaire de la ville. Nous nous permettons alors de rappeler que la notion « ordinaire » désigne ici simplement le mode opératoire utilisé, et ne s’oppose pas à l’innovation. L’expérience du Clos des Éparviers présente sans doute des variables contextuelles incompressibles, mais il nous semble que nous pouvons tout de même tirer de cette analyse des enseignements plus généraux.
Cette réflexion sur la mise en oeuvre de l’opération du Clos des Éparviers contribue finalement au débat théorique engagé autour de la capacité des modes de production de la ville contemporaine à répondre aux enjeux urbains et, notamment, à mettre en oeuvre un développement urbain durable. Cette question, appliquée au cas de la fabrique ordinaire de la ville prend en effet une dimension nouvelle particulièrement intéressante, car l’injonction au développement durable est essentiellement issue d’initiatives publiques. Or, l’analyse de la fabrique ordinaire de la ville conduit justement à s’intéresser à la production urbaine extérieure au projet urbain public. Elle met alors en question la capacité du régime de production contemporain de la ville à diffuser les exigences du développement urbain durable dans l’ensemble de la fabrique urbaine. Dans cette perspective, cette étude de cas nous montre, qu’au-delà des éléments de contexte particuliers, c’est la faculté de la collectivité de se doter d’une maîtrise d’ouvrage urbaine au sens large qui conditionne le plus fortement la réalisation d’opérations de qualité sur son territoire. C’est grâce à la vision précise, argumentée et stratégique qu’elle s’est donnée au fil des années, entourée de partenaires impliqués, que Solaize a pu assumer une position de force dans les négociations avec Foncier Conseil.
Cette conclusion mérite cependant d’être nuancée : son ambition généralisante contraste avec le caractère volontairement limité de l’approche développée ici. Il convient, en effet, de rappeler que notre analyse s’appuie sur la notion de qualité urbaine, et non de développement durable, et ce, dans une perspective doublement restrictive : à la fois limitée à sa dimension morphologique, et acquise à une grille d’évaluation relative construite à partir de la littérature professionnelle sur les lotissements. Pour élargir la portée de nos résultats, quelque peu limités par cette caractérisation conceptuelle et méthodologique, des développements empiriques supplémentaires sont nécessaires. Il serait, par exemple, intéressant de poursuivre la réflexion et de comparer les critères de qualité des urbanistes avec ceux exprimés par les habitants, de voir dans quelle mesure ces deux référentiels se rejoignent, et si la qualité morphologique experte est compatible avec les aspirations des habitants maîtres d’ouvrage de leur maison. Cela contribuerait à évaluer de façon plus complète la durabilité de la fabrique ordinaire de la ville, au croisement de logiques politiques, professionnelles et marchandes, mais aussi sociales.
Appendices
Notes
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[1]
LOADDT (Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, 1999), loi Chèvenement (1999) et loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain, 2000).
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[2]
Degron (2012) souligne ainsi que la demande de logements individuels n’a cessé de croître depuis les années 1960 : 61 % des logements construits entre 2000 et 2007 étaient des maisons individuelles.
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[3]
Nous utilisons ici la terminologie employée par les auteurs mobilisés, qui emploient le terme « vides », non pas péjorativement, mais pour désigner de façon imagée les espaces non bâtis en opposition aux « pleins » de la trame bâtie.
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[4]
L’expression « signal faible » est employée pour rendre compte de cette réalité opérationnelle présente, mais qui reste aujourd’hui encore très minoritaire.
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[5]
Il s’agit d’une structure de coopération intercommunale à fiscalité propre à l’échelle métropolitaine, composée de 58 communes.
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[6]
L’opération, présentée au concours par son maître d’ouvrage, reçoit le 2e prix.
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[7]
Notamment par le Conseil général de la Loire, dans un document intitulé « Pour des lotissements durables » (2009), le CAUE du Rhône, dans sa « Charte pour la qualité des lotissements » (2009), ou encore le CAUE de la Drôme, dans une présentation en 2012 titrée « Aménager autrement. Le foncier et les enjeux de la diversité. Le projet urbain de Solaize ».
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[8]
La question de la qualité architecturale, qui serait déterminée par des critères esthétiques trop relatifs, n’est pas considérée par la littérature professionnelle comme un indicateur de la qualité de la trame bâtie.
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[9]
Localisation générée par des logiques de mise à distance du bâti le long des limites de parcelles (Mangin, 2004).
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[10]
Il est d’ailleurs intéressant de noter que le réaménagement de cette voie, séparant en deux le lotissement, a été réalisé non pas par Foncier Conseil, mais pas les services de la voirie du Grand Lyon.
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[11]
En réalité, d’un point de vue administratif, l’opération a été divisée en deux permis de lotir, à cause de la rue du Repos, qui découpe le terrain du lotissement en deux tènements fonciers distincts.
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[12]
Il réalise notamment deux études : « Solaize. Identité des quartiers », en 1991, et « Solaize. Analyse critique ».
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[13]
Entre autres, signées par Jean-Yves Quay, architecte-conseil de Solaize : « Solaize. Les Éparviers et l’Église – Projet urbain » (1993), « Centre de Solaize. Proposition de lotissement au centre du village. Cahiers des charges » (1994), mais aussi par d’autres comme l’architecte-paysagiste Christophe Miguet, qui réalise un plan de composition urbaine sur la zone des Éparviers en 1996.
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[14]
Courrier du 21 juillet 2000 de Quevreux (Délégation générale au Développement urbain. Urbanisme territorial Secteur sud) au maire de Solaize.
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[15]
Alors qu’entre 2006 et 2008, le prix moyen du terrain en secteur aménagé dans les communes périurbaines est de 86 / m2 (CERTU, 2012), le prix de vente moyen du foncier en lot libre sur l’opération est de 168 / m2.
-
[16]
Le terme est employé tel quel dans un courrier par le chef de l’urbanisme territorial du Grand Lyon, en juillet 2000.
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