Comptes rendus bibliographiques

GINTRAC, Cécile et GIROUD, Matthieu (2014) Villes contestées. Pour une géographie critique de l’urbain. Paris, Éditions Les Prairies ordinaires, 416 p. (ISBN 978-2-35096-083-8)[Record]

  • Grégory Busquet

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  • Grégory Busquet
    Université Paris Ouest Nanterre-La Défense, UMR CNRS LAVUE

Cet ouvrage rassemble des traductions, souvent inédites, de textes marquants de la géographie urbaine critique, ou « radicale », selon les acceptions. Il comble ainsi un vide pour les lecteurs francophones, en offrant un panorama international et contemporain de cette géographie qui s’attache à analyser les aspects spatiaux des dominations sous toutes leurs formes. Les textes de différentes natures sont précédés d’introductions utiles réalisées par des spécialistes français des questions traitées, qui en livrent un condensé, en décryptent les enjeux, tout en les resituant dans la production intellectuelle de l’auteur et du champ dans lequel celui-ci s’inscrit. Les approches vont de la géographie postcoloniale à l’écologie politique urbaine, en passant par la géographie du genre, et des thématiques de la ville-entrepreneuriale à la justice spatiale, en passant par la gentrification, l’espace public et sa sécurisation. Le fil conducteur qui parcourt ce livre réside dans la contribution de l’analyse géographique à la dénonciation des inégalités inhérentes au capitalisme néolibéral, et dans la visée émancipatrice de la discipline. La somme ainsi constituée présente également l’immense avantage de ne pas s’arrêter aux théories critiques de la ville néolibérale émanant du « Nord ». On pourrait bien sûr, comme toujours avec ce type d’ouvrage, remettre en question le choix des thèmes, des textes et des auteurs rassemblés, ainsi que l’ordre d’exposition, en constatant toutefois, qu’outre la critique des dominations et la figure centrale du sociologue Henri Lefebvre perpétuellement invoquée, des ponts sont visibles d’un texte à l’autre : le développement inégal des villes (Harvey, Smith), la théorie de la régulation, la critique du culturalisme (Mitchell, Mekdjian), ou encore la conception de l’espace public (Mitchell, Belina). Il sera plus intéressant de reprendre des pistes de débats qu’ouvre le livre, notamment ce choix de ne présenter que « des textes de géographie (et non de géographes) ». En quoi les textes réunis ici relèvent-ils exclusivement de la géographie, et non pas de l’économie politique, des sciences politiques, de l’anthropologie ou de la sociologie ? Parfois, la frontière semble bien mince. L’un des objectifs de ces géographies engagées est de refonder le rôle de la géographie dans la société et la manière de faire de la géographie. Ne s’agit-il pas également de la refonder par rapport aux autres disciplines des études urbaines ? Et de poser les bases théoriques de cette géographie urbaine radicale qui émerge en France ? L’ouvrage pose également le débat du déterminisme spatial, débat jamais clos au sein, tout comme à l’extérieur, de la discipline géographique – qu’elle soit engagée ou pas. Il met ainsi en examen le rôle de l’espace dans les dominations et dans leur dépassement, et ce n’est pas le moindre de ses mérites. Quoi qu’il en soit, cette traduction des théories critiques et émancipatrices de l’urbain arrive à point nommé : contester le « prêt-à-penser urbain » et ébaucher des solutions de rechange, critiquer le rôle de l’urbain dans la « survie du capitalisme », dans le néolibéralisme, dénoncer les rapports de domination et rappeler l’essence inégalitaire du capitalisme ou son rôle dans la destruction de la nature seront toujours des actions salvatrices. Gageons que cet ouvrage sera un outil essentiel pour tous les étudiants francophones intéressés par le fait urbain, mais aussi pour les enseignants et les chercheurs, en vue du renouvellement des théories francophones. Quant à l’impact souhaité, dans l’introduction, au sein de la société civile, des ONG et chez les habitants, nous ne pouvons que l’espérer.