Dossier spécial. Regards croisés sur les zones humides nord-américaines et européennesNote liminaire

Regards croisés sur les zones humides nord-américaines et européennes[Record]

  • Magalie Franchomme and
  • Bertrand Sajaloli

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  • Magalie Franchomme
    Université de Lille, TVES – Territoires villes environnement et Société, EA 4477, Lille, France
    Groupe d’histoire des zones humides
    Magalie.Franchomme@univ-lille1.fr

  • Bertrand Sajaloli
    Université d’Orléans, CEDETE – Centre d’études sur le développement des territoires et l’environnement, EA 1210
    Groupe d’histoire des zones humides
    Bertrand.Sajaloli@univ-orleans.fr

Le dossier spécial des Cahiers de géographie du Québec présente trois articles scientifiques sélectionnés parmi les communications du colloque Regards croisés sur les zones humides nord-américaines et européennes, qui a eu lieu à l’Université Laval en août 2013. Cette rencontre, organisée par le Groupe d’histoire des zones humides  et les Universités canadiennes Laval et Dalhousie, a rassemblé une trentaine de chercheurs des deux continents, démontrant ainsi l’intérêt toujours plus important pour cet objet d’étude et sur lequel nous avons souhaité revenir dans cette introduction. Face à face, et pourtant jamais confrontées, les zones humides proches des rivages nord-américains et européens ont une géohistoire commune ou, du moins, de multiples relations en partage. Les premiers, mis en valeur par les colons dès l’époque moderne, ont été incontestablement marqués par les conceptions socioculturelles et les bagages techniques de l’Europe. Par-delà les différences hydrogéographiques, bon nombre de lieux d’eau du Nouveau Monde ont ainsi pris des allures de marais de la vieille Europe. C’est le cas des marais littoraux du Saint Laurent évoqués par Donald Cayer (Hatvany et al., 2015) et par Pierre Dulude, Bernard Filion et André Michaud de Canards Illimités Canada  : globalement considérés comme « perdus », insalubres, nuisibles, jusqu’à la fin du XXe siècle, ils ont fait l’objet de multiples interventions visant à les drainer, les combler ou les endiguer, et à leur conférer des usages afférents aux terres plus sèches – agriculture, industrie, urbanisation, infrastructures de transport. Le paradigme hygiénique très puissant en Europe traverse ainsi l’Atlantique Nord. De même, Rod Gibblett relie l’importante régression des zones humides canadiennes à cette perception négative : l’extrême pauvreté de ses occupants reflète celle des marais qui les abritent, leur détresse morale rejoint le marasme géographique prêté aux lieux d’eau (Gibblett, 2014). Largement guidée par les visions chrétiennes de la nature, l’eau courante du baptême est opposée à la boue et au péché (Sajaloli et Grésillon, 2013 ; Grésillon et Sajaloli, 2015) : fleuves, chutes d’eau, vertes prairies et lacs sont valorisés et forment les paradigmes paysagers du Canada ; marais, tourbières, vasières, couvrant pourtant de plus vastes espaces, sont ignorés et vilipendés. La littérature canadienne évoquant les terres humides a été dénigrée et non reconnue à sa juste valeur quand elle révélait la beauté et la fécondité de ces milieux, alors que celle qui les dénigrait constitue aujourd’hui les canons littéraires du Canada.  Notons qu’une même remarque avait été formulée par le GHZH lors des journées d’études consacrées à ce sujet en 2013 (Sajaloli, 2013). Ainsi, comme en Europe occidentale, plus de 50 % des milieux humides du couloir du Saint Laurent ont été détruits depuis le XIXe siècle, la proportion atteignant des valeurs de plus de 80 % dans les secteurs les plus urbanisés ou intensément mis en valeur par l’agriculture. Inversement, le regain d’intérêt que les marais européens connaissent depuis les années 1990, notamment leur intégration dans les projets urbains et dans les mises en valeur patrimoniale des territoires, puisent leurs racines en Amérique du Nord où a débuté, dès les années 1960, le mouvement en faveur des zones humides (Fustec et Lefeuvre, 2000). Dès lors, la modernité ayant changé de rive, beaucoup de nos milieux en eau se sont mis à la mode nord-américaine. Le Plan nord-américain de gestion de la sauvagine, par exemple, a débuté en 1976 au Québec, soit près de 20 ans avant le Plan national d’actions en faveur des zones humides, lancé par le ministère français de l’Environnement, dans les années 1990. De même, l’approche postmoderne soulignant les services écosystémiques rendus par les milieux humides (Constanza, 1997 ; ESEA, …

Appendices