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Introduction

L’inclusion du public dans la prise de décision en matière d’aménagement et de développement du territoire est devenue un impératif de l’action publique qui a donné lieu au déploiement d’une multitude de mécanismes d’information, de consultation et de concertation. Ces dispositifs participatifs sont aujourd’hui au coeur du renouvellement des pratiques d’aménagement et d’urbanisme (Gauthier et al., 2008). À preuve, de plus en plus de villes et de municipalités québécoises vont maintenant bien au-delà des dispositions minimales exigées par l’encadrement réglementaire et déploient des efforts considérables pour encourager une plus grande concertation entre les acteurs dans la prise de décision en aménagement, et ce, en amont du processus. Des mécanismes originaux tels que les conseils de quartier à Québec et l’Office de consultation publique à Montréal, la multiplication des politiques de consultation publique ou des cadres de référence en matière de participation dans les villes de toute taille, ainsi que la diversité des exercices d’urbanisme participatif (sous forme de charrettes ou autres dispositifs de concertation publique) témoignent des efforts déployés pour encourager une participation plus active et plus large des citoyens aux affaires urbaines (Gauthier et al., 2008 ; Fischler, 2013 ; Gariépy, 2013). [1]

Les modes de planification ont également évolué sous l’influence du développement durable et des nouvelles approches urbanistiques qui en découlent, comme le nouvel urbanisme et la croissance intelligente. Ainsi que le rappelle Gauthier (2005 : 50), l’émergence du concept de développement durable a eu des incidences multiples sur les choix d’aménagement des décideurs publics, désormais appelés, par exemple, à réduire l’usage de l’automobile, à améliorer la qualité de l’air et à rehausser la qualité de vie des citadins. D’un point de vue substantiel, on cherchera donc à mesurer l’incidence du développement durable sur la forme urbaine, sur sa capacité à produire une « ville durable » qui répond à des impératifs de compacité, de performance des transports collectifs, etc. (Combe et al., 2012). Or, l’idéal type de la « ville durable » n’arrive toujours pas à supplanter le modèle dominant de planification urbaine, hérité de la période d’après-guerre et qui produit des villes étalées, fortement dépendantes de l’automobile.

Bien que le concept peine à produire les effets escomptés sur la forme urbaine, il ouvre néanmoins à des innovations dans les modes de faire et les mécanismes d’interaction entre les acteurs (Gauthier, 2005 ; Gariépy et Gauthier, 2009 ; Combe et al., 2012). La planification collaborative, en particulier, en offrant les conditions propices au développement d’un climat de confiance entre les parties, à une meilleure communication et à une même compréhension des enjeux entre les acteurs, génère un processus d’apprentissage collectif jugé prometteur pour l’avancement du développement urbain durable (DUD) (Combe et al., 2012).

Dans la recherche à l’origine de cet article, réalisée entre 2012 et 2014, nous cherchions à vérifier l’influence de la participation publique sur l’évolution des pratiques planificatrices, à partir de la démarche de planification collaborative expérimentée par la Ville de Gatineau pour réviser son schéma d’aménagement et de développement (SAD) (Gagnon, 2015). Ce projet a nécessité un travail de terrain assidu échelonné sur plus de deux ans et le croisement de données recueillies par de multiples observations participantes et entretiens semi-dirigés. Nous partions de l’hypothèse que la planification collaborative, en tant qu’approche reposant sur la mise en place de mécanismes décisionnels transparents et inclusifs, fondés sur le dialogue et la recherche d’une vision commune et d’objectifs partagés entre individus et groupes ayant des valeurs et des intérêts divergents, pouvait paver la voie au renouvellement des pratiques planificatrices dans le sens du développement urbain durable. Dans cet article, nous revenons sur l’expérience de la Ville de Gatineau en nous attardant plus particulièrement aux effets substantiels de cette approche collaborative et aux enjeux de la mise en oeuvre. Notre démarche consiste, dans un premier temps, à définir notre cadre théorique puis à présenter le contexte dans lequel s’inscrit notre recherche. Dans la section suivante, nous décrivons sommairement la démarche utilisée par la Ville de Gatineau pour réviser son SAD, ainsi que les principaux constats découlant de nos recherches. La mise en lumière des retombées du processus sur le contenu du schéma et des difficultés de mise en oeuvre nous permet enfin de tirer certaines conclusions quant à la portée de cette démarche sur le renouvellement des pratiques planificatrices à Gatineau.

Pour une approche pragmatique de la planification collaborative en tant qu’instrument de développement urbain durable

Largement associée aux travaux de Patsy Healey (2006 ; 2012), la planification collaborative a émergé dans les années 1990 en réaction aux défaillances du modèle traditionnel de planification fondé sur le contrôle, l’ordre et la primauté de l’expertise technique (Bacqué et Gauthier, 2011), sous l’influence des travaux fondateurs de John Friedmann (1987) et de John Forester (1989). S’inscrivant dans la continuité des travaux de Jürgen Habermas sur l’agir communicationnel, la planification collaborative repose sur l’idée que la planification est un exercice éminemment politique consistant à faire le lien entre connaissances et actions par un processus d’apprentissage continu qui prend appui sur le dialogue et la mobilisation sociale des acteurs (Friedmann, 1987), et sur une vision renouvelée du rôle des planificateurs en tant que communicateurs et facilitateurs (Forester, 1989). Fondée sur une reconnaissance du pluralisme croissant de la société, cette approche propose une nouvelle méthode de planification axée sur l’interaction et l’échange d’information dans le but de construire des consensus établis sur des valeurs communes (Bacqué et Gauthier, 2011). Pour Healey (2006), la planification collaborative permet de dépasser la logique habituelle de résolution des conflits pour favoriser l’évolution des mentalités et des pratiques en fournissant les conditions propices au développement d’un lien de confiance entre les parties prenantes à la discussion. L’exercice de la planification consiste alors à générer un engagement des diverses parties à poursuivre des objectifs communs, ce que Margerum (2011) voit comme un motif de renforcement de la volonté de mise en oeuvre, elle-même par ailleurs fortement tributaire d’une planification en amont des modalités de la mise en oeuvre.

En matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire, plusieurs voient dans la planification collaborative une avenue prometteuse pour le renouvellement des pratiques planificatrices et l’avancement des principes d’urbanisme durable (Gauthier et al., 2008 ; Combe et al., 2012). Les travaux des chercheurs qui se sont penchés sur la portée et les limites de la participation publique comme instrument de transformation de l’action publique tendent toutefois à démontrer que les retombées de la participation publique en aménagement et urbanisme sont davantage procédurales que substantielles, c’est-à-dire que les effets sur les façons de faire et les mécanismes d’interaction entre les acteurs sont plus manifestes que les effets sur le contenu des politiques et les choix d’aménagement (Gauthier, 2005 ; Gariépy et Gauthier, 2009 ; Béal et al., 2011 ; Frère, 2011 ; Combe et al., 2012). Dans ce contexte, la notion d’urbanisme durable ne renvoie pas tant à une nouvelle forme de ville idéale qu’à un processus idéal pour construire cette ville durable, processus qui fait appel à « une association accrue des citoyens à la prise de décision » (Combe et Scherrer, 2011 : 191).

D’autres chercheurs penchent davantage vers une lecture très critique de la planification collaborative. Susan Fainstein (2000), notamment, met en garde contre l’écart important entre la discussion et la mise en action ainsi que le risque de démotivation, voire de désillusion, des participants face à des résultats décevants ou qui se font attendre. La difficulté de mise en oeuvre contribuerait, selon elle, à entretenir la domination des groupes les plus puissants, une critique largement partagée (Wheeler, 2004 ; Faure et al., 2010 ; Healey, 2012). Dans une étude visant à « confronter à l’épreuve du terrain la mise en oeuvre du développement urbain durable » découlant de deux démarches participatives d’envergure déployées par l’agglomération lilloise, en France, dans le but d’élaborer des outils de planification, Séverine Frère (2011) porte aussi un regard très critique sur le potentiel de renouvellement des pratiques planificatrices offert par la démocratie participative. [2] Si elle reconnaît qu’un tel processus peut avoir un effet mobilisateur sur le public et induire un phénomène d’apprentissage collectif, elle y voit néanmoins une procédure « préformatée » visant davantage à désamorcer le conflit et à rallier l’adhésion du plus grand nombre qu’à remettre véritablement en question le mode de décision. Pour Nabatchi et Leighninger (2015), la clé réside non pas dans la multiplication des exercices participatifs, mais dans la volonté de tirer profit du plein potentiel de la participation publique en faisant de la participation à la prise de décision un processus naturel et continu. Or, selon ces chercheurs, les démarches participatives se limitent la plupart du temps à des processus ponctuels sans véritable impact, qui tendent à accroître le sentiment d’inefficacité et d’impuissance des citoyens, contribuent à leur désintérêt de la politique, alimentent leur méfiance à l’endroit des autorités publiques et nuisent à la crédibilité du gouvernement.

La question de l’articulation entre le processus participatif et ses effets, qui se situe au coeur de notre questionnement, sera abordée ici selon une posture pragmatique qui consiste à prendre au sérieux les motivations de l’administration municipale instigatrice de la démarche, ainsi que le déploiement de l’armature participative et le travail des experts qui oeuvrent en arrière-scène, mais tout en conservant un regard critique. C’est dire que nous abordons la question du potentiel de l’offre participative pour améliorer la gouvernabilité « sans naïveté ni sarcasme », pour reprendre les mots de Gourgues et al. (2013), et partageons le point de vue de Bobbio et Floridia (2016), qui militent pour une approche de la recherche sur l’ingénierie participative sans a priori, sortant des caricatures et traitant le processus et les acteurs avec sérieux et respect. Notre approche concorde aussi avec l’analyse proposée par Blondiaux et Fourniau (2011 : 22) selon laquelle « [l]’invalidation des effets supposés et attendus de la participation constitue en elle-même un résultat scientifique non négligeable [et que] l’important est moins de conclure à l’efficacité ou à l’inefficacité des dispositifs que d’analyser les raisons susceptibles d’expliquer de tels résultats ».

L’enjeu de la gouvernance participative face aux défis posés par le développement urbain durable à Gatineau

Quatrième ville en importance du Québec sur le plan démographique avec ses 276 000 habitants (Statistique Canada, 2017), l’actuelle ville de Gatineau est le résultat de la fusion forcée en 2002 des villes de Hull, Aylmer, Gatineau, Masson-Angers et Buckingham, et est découpée en cinq secteurs de planification correspondant aux limites des anciennes villes. Principal centre urbain de la région administrative de l’Outaouais, Gatineau a aussi la particularité de faire partie de la région de la capitale nationale (RCN) d’Ottawa-Gatineau, une région métropolitaine atypique de 1 324 000 habitants (Ibid.) qui chevauche deux provinces, l’Ontario et le Québec (figure 1).

Figure 1

Gatineau dans la région métropolitaine de recensement (RMR) d’Ottawa-Gatineau

Gatineau dans la région métropolitaine de recensement (RMR) d’Ottawa-Gatineau
Source : Ville de Gatineau, 2011

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Le modèle de planification urbaine ayant contribué à façonner le visage de la ville de Gatineau est donc fortement influencé par sa proximité avec Ottawa. On se rappellera le Plan Gréber destiné à embellir la capitale et qui a notamment eu pour effet, dans les années 1970, de chasser une partie importante de la population du centre-ville de Hull pour y construire des édifices du gouvernement fédéral (Andrew, 1994 ; Gordon, 2001). Gatineau n’a pas échappé non plus aux effets de la suburbanisation et est confrontée, à l’instar de la plupart des villes nord-américaines, à une problématique d’étalement urbain que certains facteurs ont pu accentuer, comme sa trame urbaine très linéaire, la vaste étendue du territoire, l’absence d’un système de transport en commun assez performant pour décourager la dépendance à l’automobile et le manque d’attrait du centre-ville comme milieu de vie. Ce portrait global met en lumière certains des grands enjeux au coeur du processus de révision du SAD dans lequel la Ville de Gatineau s’est engagée en 2011, conformément aux obligations prévues par la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU).

Par ailleurs, Gatineau est reconnue comme une ville qui prend au sérieux l’impératif participatif et fait une place importante à ses citoyens dans le processus décisionnel (Chiasson et al., 2011 ; Chiasson et al., 2014). Cet engagement remonte au processus de construction de la nouvelle ville qui, à l’issue d’un vaste exercice de planification stratégique ayant mobilisé l’expertise des citoyens, débouchera sur quatre grandes priorités, dont celle d’instaurer une « gouvernance participative » (Andrew et Chiasson, 2005 ; Chiasson, 2006 ; Chiasson et al., 2011). Après l’adoption d’un plan stratégique et d’une démarche de gouvernance participative, la Ville s’est dotée en 2005 d’un Cadre de référence en matière de participation des citoyens aux affaires municipales en réponse à l’expression d’une « volonté collective de mettre en place un mode de gouvernance qui s’appuie sur l’ouverture aux citoyens et partenaires » (Ville de Gatineau, 2004 : 3). Avec ce cadre de référence, la Ville s’engageait à faciliter la participation des citoyens, à solliciter leur apport le plus tôt possible dans le processus et à développer une culture de la participation propre à Gatineau. Or, même si l’administration municipale consulte très régulièrement le public pour l’élaboration de ses politiques publiques et la réalisation de projets d’aménagement et d’urbanisme, les défaillances du mode de consultation publique – telles que le manque de suivi et de résultats concrets et le sentiment que « tout est décidé d’avance » – ont fini par nuire à la crédibilité des exercices de participation publique et entraîné une rupture du lien de confiance entre les citoyens et la Ville. Le feu vert donné par la Ville à des projets de développement très controversés, ces dernières années, ajoute à la méfiance du public, qui y voit une emprise des promoteurs sur le développement résidentiel à Gatineau. En 2014, le rapport d’une commission d’étude créée par le Bureau de l’ombudsman de la Ville pour se pencher sur l’enjeu de la participation citoyenne a d’ailleurs mis en lumière plusieurs lacunes importantes de la gouvernance participative à Gatineau (Bureau de l’ombudsman, 2014).

En 2011, la Ville décidait d’entreprendre un vaste processus de consultation publique en quatre étapes pour la révision de son SAD. Cette démarche participative, qui s’est échelonnée sur trois ans, a mobilisé une variété de dispositifs pour permettre aux citoyens de se prononcer tout au long de l’avancement du projet. Fait intéressant, la mise en oeuvre et le suivi du nouveau schéma révisé, adopté à l’automne 2013, incomberont au conseil nouvellement élu à l’issue du scrutin de novembre 2013 et qui a porté au pouvoir le chef du tout premier parti politique municipal dans cette ville, Action Gatineau. Or, cette tâche est compliquée par le statut minoritaire d’Action Gatineau au conseil et par la dynamique de confrontation qui persiste avec les conseillers indépendants sur de nombreux enjeux d’aménagement.

Démarche méthodologique

Notre démarche méthodologique s’articule autour d’une enquête de terrain prenant la forme d’une étude de cas (Gagnon, 2015). Réalisée entre 2012 et 2014, cette enquête, essentiellement qualitative, a mobilisé trois méthodes distinctes de collecte de données, soit une étude documentaire, des observations directes et des entretiens semi-dirigés. L’étude documentaire a porté sur toute la documentation relative au processus de révision du SAD, incluant les documents d’information produits par la Ville, les communiqués, les mémoires, les rapports de consultation, ainsi qu’une revue de presse. Une douzaine d’activités participatives liées au processus et échelonnées sur une période de 2 ans ont fait l’objet d’observations directes, tandis qu’un échantillon représentatif de 12 acteurs touchés de près par l’objet de recherche (2 élus, 3 professionnels en aménagement du territoire et environnement, 2 experts en participation publique, 4 citoyens issus de 3 secteurs distincts de la ville et 1 représentant du secteur de la construction immobilière) ont été rencontrés en entrevue. Un journal de terrain a été utilisé tout au long de l’enquête en tant qu’outil pour rendre compte de la démarche itérative et comme aide-mémoire (Beaud et Weber, 2010).

Deux grilles d’analyse prenant appui sur le cadre théorique ont été développées dans le but d’articuler les dimensions procédurales et substantielles de la thématique de recherche. Une première grille sur les dimensions de la participation publique, inspirée des travaux de Blondiaux (2008) et de Bacqué et al. (2005), a été établie préalablement à la collecte des données de terrain dans le but de poser les balises du travail d’observation de la démarche participative (tableau 1). Les données recueillies à l’étape des entretiens ont ensuite servi de base à la construction d’une deuxième grille d’analyse plus formelle s’articulant autour de dimensions rattachées aux concepts de planification et de développement durable dans le but d’évaluer les retombées du processus sur le comportement des acteurs, sur le développement de leur capacité réflexive (Fischler, 2012) et, en bout de ligne, sur le renouvellement des pratiques d’aménagement (tableau 2). Les indicateurs retenus s’inspirent en grande partie des travaux sur la planification collaborative.

Tableau 1

Limites et potentialités de la démocratie participative : grille d’évaluation des dispositifs de participation

Limites et potentialités de la démocratie participative : grille d’évaluation des dispositifs de participation
Conception : Gagnon et Gauthier, 2018. Source  : Adaptation de Bacqué et al., 2005 ; Blondiaux, 2008

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Tableau 2

Renouvellement des pratiques planificatrices dans le sens du DUD : dimensions et indicateurs

Renouvellement des pratiques planificatrices dans le sens du DUD : dimensions et indicateurs
Conception : Gagnon et Gauthier, 2018. Source : Gauthier, 2005; Healey, 2006;  Combe et al., 2012

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Le processus de révision du SAD de Gatineau : une démarche originale de planification collaborative

Le processus de révision du SAD, résumé dans la figure 2, s’est articulé autour d’un vaste processus de consultation publique en quatre étapes, sous le thème « Aménageons le futur ! » et pour lequel une variété de dispositifs participatifs a été mobilisée pour permettre aux citoyens de se prononcer tout au long de l’avancement du projet.

Figure 2

Les étapes du processus de révision du SAD

Les étapes du processus de révision du SAD
Source : Paré, 2014 : 7

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En impliquant le public de près dans la révision du SAD, la Ville cherchait à construire pour Gatineau une vision d’avenir qui puisse à la fois recueillir l’adhésion des cinq secteurs de la ville et rejoindre les préoccupations et aspirations exprimées par une pluralité d’acteurs aux intérêts et points de vue parfois divergents.

Axée autour de cafés urbains et d’un colloque d’une journée, la première étape du processus de participation publique se voulait avant tout une démarche d’écoute des citoyens. À partir d’un portrait du territoire et d’un diagnostic des enjeux de développement élaborés en amont, les résidents de tous les secteurs ont été conviés à imaginer Gatineau dans 40 ans, dans le cadre d’activités participatives où ils étaient encouragés à exprimer leurs valeurs, leurs préoccupations et leurs attentes quant à l’évolution à long terme de leur cadre de vie. Selon nos observations et les commentaires recueillis auprès des acteurs interviewés, cette première phase du processus a permis d’en asseoir la crédibilité et a manifestement inspiré confiance aux participants.

À la deuxième étape, au printemps 2012, quatre scénarios potentiels d’aménagement élaborés à partir des orientations établies par le conseil municipal et des enjeux définis à l’étape précédente ont été soumis à la population dans le cadre de rencontres de discussion dans chacun des secteurs. Ces scénarios sont résumés dans le tableau 3. Bien que cette étape ait mis en lumière des divergences très nettes entre les secteurs de la ville, il en est ressorti une adhésion très claire de l’ensemble des citoyens aux propositions présentées dans les scénarios 2 et 3 clairement inspirés des principes d’urbanisme durable, une position diamétralement opposée à celle des promoteurs immobiliers qui favorisaient le scénario d’étalement (scénario 4). La présence des acteurs de la construction résidentielle à chacune des rencontres en tant que participants au même titre que les citoyens, et non comme promoteurs venus chercher l’acceptabilité sociale d’un projet, ajoutait une dimension relativement nouvelle au processus de consultation, en ouvrant un espace de dialogue entre des groupes d’acteurs peu habitués à s’asseoir à la même table.

Tableau 3

Aperçu des quatre scénarios d’aménagement

Aperçu des quatre scénarios d’aménagement
Conception : Gagnon et Gauthier, 2018. Source : Ville de Gatineau, 2012

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Un premier projet de schéma révisé, élaboré à partir des préférences exprimées à l’étape précédente pour la préservation des atouts naturels dans un territoire consolidé et remodelé autour de zones axées sur le transport en commun (ZATC), a ensuite été adopté par le conseil municipal avant de faire l’objet d’une nouvelle consultation. Pour cette étape, la Ville a opté pour une formule nouvelle et favorablement accueillie par les participants, soit une audience publique en deux temps sur le modèle du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Des commentaires formulés et des mémoires présentés lors de cette troisième étape, un message très clair est ressorti : la Ville s’est arrêtée « à mi-chemin » dans son élan en présentant un projet de schéma trop timide en matière de densification et de mobilité durable. Cette étape a aussi été l’occasion pour de nombreux participants d’exprimer leur inquiétude face à la mise en oeuvre du SAD, certains d’entre eux ayant gardé un goût amer d’expériences participatives antérieures qui n’avaient pas débouché sur les résultats attendus. Cette préoccupation, qui est ressortie nettement de nos entretiens de recherche, est d’ailleurs relayée dans le rapport de consultation de cette étape du processus participatif, où il est fait mention de l’importance exprimée par plusieurs groupes « de voir à créer un mécanisme de suivi de la mise en oeuvre du SAD », qui pourrait prendre la forme « d’une équipe composée de citoyens engagés et d’experts externes bénévoles, de politiciens et d’employés de la Ville, d’entrepreneurs et de groupes communautaires afin d’assurer qu’il existe des plans d’action, des processus et des objectifs pour chaque orientation du schéma » (Golder Associés, 2013 : 24).

La dernière étape, celle de l’assemblée publique de consultation obligatoire en vertu de la LAU, était précédée d’une rencontre de type portes ouvertes pour permettre aux gens de prendre connaissance des panneaux d’information sur le contenu du schéma et de poser des questions aux différents fonctionnaires et élus de la Ville sur place. L’assemblée publique avait pour but de présenter un résumé du deuxième projet de schéma et fournissait une dernière occasion aux citoyens d’exprimer leur opinion ou de poser des questions.

Le nouveau schéma, adopté par le conseil municipal le 1er octobre 2013, prend appui sur quatre principes directeurs, dont celui de « concrétiser les principes du développement durable », et se décline en cinq grandes orientations assorties d’objectifs pour guider les actions de la Ville au cours des décennies à venir. Ces orientations s’énoncent comme suit : 1) gérer la croissance urbaine de façon à accroître l’efficience économique et la compétitivité de Gatineau ; 2) prioriser la mobilité durable ; 3) valoriser le patrimoine naturel et culturel ; 4) créer des milieux de vie complets et écoresponsables ; et 5) protéger les personnes et les biens (Ville de Gatineau, 2015). Il faut noter, cependant, que le schéma révisé de la Ville de Gatineau n’est entré en vigueur qu’en décembre 2015 en raison des délais engendrés par le processus de conformité aux orientations gouvernementales. Le schéma est en effet assujetti à l’approbation du ministère des Affaires municipales et de l’Occupation du territoire (MAMOT), qui a demandé trois fois des modifications au document sur des aspects plutôt techniques – comme les normes de construction en zone inondable et le niveau de bruit en bordure d’une artère relevant du ministère des Transports du Québec (MTQ). Or, chaque ronde de révision s’étire sur une période d’au moins 240 jours, d’où l’important délai d’entrée en vigueur.

Les retombées du processus sur le comportement des acteurs et leur capacité réflexive

La démarche participative a eu des retombées intéressantes en termes d’apprentissage collectif. D’un point de vue procédural, cet apprentissage se mesure aux changements d’attitude qu’il induit chez les acteurs, à l’ouverture au changement qui en découle et aux nouveaux modes de faire qui en émergent (Combe et al., 2012). Comme l’indique le tableau 4, le processus de révision du SAD a mobilisé une large participation citoyenne. Les étapes 1 et 2, en particulier, ont attiré une majorité de « citoyens ordinaires » provenant de tous les secteurs de la ville, dont beaucoup de néophytes et représentants de groupes généralement absents des consultations.

Tableau 4

Résumé de la démarche participative

Résumé de la démarche participative
Source : Paré, 2014. Conception : Gagnon et Gauthier, 2018

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Selon nos observations, les modalités de participation des étapes subséquentes, qui avaient pour objectif de bonifier le projet de schéma, favorisaient quant à elles les catégories d’acteurs possédant un certain niveau de connaissances et de compétences, tels que les « habitués » des consultations publiques, les porte-parole d’associations et de groupes organisés de la société civile, ainsi que les citoyens plus scolarisés et plus à l’aise de s’exprimer en public. En élargissant la participation à des non-habitués, la variété des dispositifs utilisés a aussi contribué à valoriser l’expertise citoyenne (Blondiaux, 2008 ; Nez, 2011). En ce sens, l’étape de discussion des scénarios apparaît comme un moment charnière du processus de révision au cours duquel les « citoyens ordinaires » ont pu jouer un rôle-clé dans l’orientation à donner au nouveau schéma. On a pu observer, également, que la réaction initiale de méfiance de certains participants s’estompait au fur et à mesure de l’avancement des étapes pour faire place à des échanges plus constructifs, et que des alliances s’étaient formées entre groupes de la société civile désireux de travailler ensemble à la poursuite d’objectifs communs. La période étendue du processus participatif et la multiplication des dispositifs ont donc eu des vertus pédagogiques en permettant de rejoindre un public élargi, puis de développer et d’entretenir l’intérêt des citoyens à l’égard des questions d’aménagement et d’urbanisme.

Le processus a par ailleurs mis en évidence la difficulté de rallier les différents acteurs autour d’une conception partagée du développement urbain durable, l’élasticité et le flou entourant cette notion permettant à chacun de se l’approprier en fonction de ses valeurs et de ses intérêts. Le concept était par contre rarement évoqué directement. En fait, mis à part les organismes à vocation écologique dont c’est la mission première de promouvoir les principes de développement durable et de ville durable, ce sont les promoteurs qui ont invoqué le plus souvent et le plus directement le concept pour justifier le bien-fondé de leur point de vue.

En martelant, à chaque occasion possible, un discours prônant la poursuite de l’étalement urbain « au nom du développement durable », les promoteurs immobiliers cherchaient manifestement à légitimer une position extrêmement contestée et à influencer la prise de décision. Selon la conception défendue par les acteurs de la construction résidentielle, le « vrai développement durable » consiste à ouvrir les aires d’aménagement différées et à miser sur une densité « modérée » pour freiner l’exode vers les communautés voisines et les pertes économiques que cela entraîne. Dans un mémoire soumis dans le cadre de la révision du SAD, la section locale de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) réclamait donc l’élargissement du périmètre urbain et l’ouverture complète des aires différées pour contrer l’étalement urbain, qu’elle définissait comme « celui qui s’étend au-delà des zones agricoles, dans les municipalités rurales des Collines-de-l’Outaouais ». Cette position illustrait par ailleurs le défi de rallier autour d’un projet commun des acteurs ayant des visions parfois diamétralement opposées sur le parti d’aménagement à la base même du schéma en cours d’élaboration. En ce sens, le débat a fait émerger des divergences de vues qui témoignent de l’utilité d’engager un dialogue avec une pluralité d’acteurs « pour établir des référentiels communs » (Gauthier, 2005). De la diversité des interprétations du concept mises de l’avant pendant le processus se dégageait tout de même une ligne de force pointant vers la nécessité de « faire les choses autrement », ce qui nous ramène à la dimension essentiellement procédurale du concept.

Sur le plan substantiel, l’apprentissage collectif se mesure plus particulièrement à l’acquisition de connaissances nouvelles découlant du débat public (Combe et al., 2012). À cet égard, la participation du public au processus de révision du SAD a contribué à la mise en tension des dimensions du développement durable en élargissant la réflexion à des enjeux négligés, tels que les enjeux sociaux, la mise en valeur du patrimoine sous toutes ses formes et l’enjeu de la cohérence interterritoriale en contexte métropolitain. En particulier, la participation du public au processus de révision du SAD a démontré que l’évolution des pratiques urbanistiques dans le sens du développement durable ne va pas de soi et donne lieu, au contraire, à nombre d’incohérences. Des doutes importants ont été soulevés en particulier quant à l’adéquation entre les propositions du SAD en matière de transport collectif et les objectifs de renforcement de la mobilité durable et de création de milieux de vie complets et écoresponsables. L’emplacement des futurs corridors de transport en commun et l’utilisation du foncier autour des stations du Rapibus (le corridor de transport rapide par bus de Gatineau) ont notamment été l’objet de plusieurs critiques en ce sens. Le processus a donc permis de « donner du sens et du contenu au concept de développement durable » (Gariépy et Gauthier, 2011 : 171).

Ces incohérences dans la mise en application des principes de développement urbain durable ont mis en lumière certaines contradictions dans l’action publique municipale qui sèment le doute quant à la mise en oeuvre du schéma révisé. C’est d’ailleurs une des retombées importantes du processus que d’avoir donné l’occasion aux participants de faire valoir leurs inquiétudes quant à la concrétisation effective des nouvelles orientations du schéma et au suivi des progrès réalisés, une inquiétude alimentée par l’absence apparente de mécanismes de suivi et de reddition de comptes.

Les limites du processus participatif comme source d’apprentissage collectif

Si le processus a mis en évidence bon nombre de préoccupations et d’aspirations communes parmi les citoyens, il a également révélé certaines divergences de vue très nettes entre les secteurs de résidence et entre différents groupes de la société civile. Or, en dépit de l’ampleur des moyens mis en oeuvre, le processus participatif n’offrait pas d’espaces de dialogue proprement dit pour amener une pluralité d’acteurs aux points de vue différents à échanger et à confronter leurs vues dans la recherche de consensus fondés sur des valeurs communes (Bacqué et Gauthier, 2011).

S’ajoutait à cela la capacité limitée du processus à générer un apprentissage pour les élus, qui sont restés à l’écart des activités participatives, privilégiant les espaces de concertation organisés en amont avec des acteurs influents de la société civile et en marge de la démarche citoyenne. Cette réticence des élus à se prêter « au jeu du débat et de l’échange contradictoire et persuasif [car ils] ne peuvent s’envisager comme des acteurs parmi d’autres » (Lefebvre, 2007) soulève une limite importante du processus participatif qui, en ne créant pas d’occasions d’échange et de débat entre citoyens et élus, ne permet pas aux détenteurs ultimes du pouvoir décisionnel d’apprendre du processus. Autrement dit, en faisant en sorte de déconnecter l’espace de discussion de celui de la décision, le processus ne permet pas de faire évoluer les positions, quitte à mener à des résultats décevants fondés sur le principe du plus petit dénominateur commun pour rallier l’adhésion de la majorité (Fainstein, 2000 ; Wheeler, 2004). Ironiquement, le conseil municipal constitue selon plusieurs acteurs interviewés le principal frein à l’évolution des pratiques urbanistiques à Gatineau, avec l’appareil municipal.

Les effets tangibles du processus sur le renouvellement des pratiques planificatrices

Le processus de révision du SAD a eu pour effet de mettre au jour des préoccupations et des aspirations très distinctives selon les secteurs de résidence, tout en révélant une opinion publique largement favorable, quoiqu’à des degrés divers, à une évolution des pratiques d’aménagement dans le sens d’un développement urbain plus durable. En parallèle, notre enquête a mis en lumière des « poches de résistance » au renouvellement des pratiques planificatrices, en particulier parmi les acteurs ayant traditionnellement le plus d’influence sur la décision, tels que les promoteurs et les élus. L’étape de discussion des scénarios, en particulier, apparaît comme un moment charnière du processus au cours duquel les « citoyens ordinaires » ont pu jouer un rôle-clé dans l’orientation à donner au nouveau schéma en appuyant massivement l’un ou l’autre des deux scénarios axés sur des principes d’aménagement durable, par opposition au statu quo (le scénario de référence) et au scénario d’étalement urbain prôné par les promoteurs. Cet appui sans équivoque en faveur de pratiques planificatrices inspirées du développement durable a d’ailleurs donné au Service de l’urbanisme et du développement durable (SUDD) de la Ville les munitions dont il avait besoin pour contrer l’influence des promoteurs auprès du conseil municipal.

L’ouverture du processus aux groupes de la société civile et aux citoyens a donc permis de faire contrepoids à l’influence exercée par les promoteurs sur les décisions de la Ville en matière d’aménagement, notamment sur la question du resserrement du périmètre d’urbanisation et du contrôle de l’étalement urbain, où la position des promoteurs était le plus souvent diamétralement opposée à celle défendue par les citoyens et les autres acteurs associatifs. En conviant les citoyens et acteurs de la société civile à prendre part à l’exercice en tant que parties prenantes, le SUDD a d’ailleurs peut-être remis en question, pour la première fois, le rôle prédominant des promoteurs immobiliers dans les choix d’aménagement de la ville de Gatineau. Rappelons qu’il existe au sein du public une perception bien ancrée voulant que les acteurs du milieu de la construction exercent une influence indue, derrière des portes closes, sur les décisions de l’administration municipale en matière d’aménagement.

Selon l’information recueillie auprès des urbanistes rencontrés en entrevue, avant le déclenchement du processus de révision du SAD, le conseil municipal se montrait « plutôt favorable » de prime abord aux demandes des promoteurs d’ouvrir le périmètre d’urbanisation. Dans le dessein de surmonter une certaine résistance au changement des élus, le SUDD a fait valoir au conseil municipal l’importance de consulter le public en amont et, en ce sens, a donc joué un rôle de premier plan en tant qu’instigateur de cette expérience de planification collaborative. En réussissant à convaincre le conseil, le Service de l’urbanisme allait en quelque sorte se chercher des alliés pour contrer les arguments des promoteurs devant le conseil et sortir des sentiers battus pour l’élaboration du nouveau schéma. La participation du public à la révision du schéma, en servant de révélateur du fossé important entre le discours des promoteurs et les aspirations des citoyens, a donc renforcé les propositions défendues par le Service de l’urbanisme en opposition au statu quo prôné par les promoteurs et constructeurs d’habitation.

Les suites du processus ou les soubresauts de la mise en oeuvre

La démarche de planification collaborative empruntée par Gatineau pour la révision de son SAD signale une rupture importante avec les pratiques planificatrices conventionnelles, et ce, non seulement dans le mode d’établissement des orientations et des principes, mais également dans la façon d’assurer leur mise en oeuvre. En se dotant d’un processus participatif aussi étendu, la Ville de Gatineau cherchait manifestement à restaurer la confiance du public, mise à mal par le passé en raison d’exercices de participation sans suite ou de consultations de façade. Comme le souligne Blondiaux (2008 : 31), la méfiance du public à l’égard des autorités publiques est alimentée par « l’indifférence » sinon « la surdité » souvent manifestées par elles à l’égard du résultat produit par les instances participatives. La réaction très favorable des participants au processus de révision du schéma laisse d’ailleurs entendre que ce processus a largement comblé, voire surpassé, les attentes des citoyens et qu’un pas important a été fait pour reconstruire le lien de confiance. En retour, l’adhésion du public aux choix d’aménagement inscrits dans le nouveau SAD et l’appropriation collective de la démarche ont créé des attentes élevées face à la mise en oeuvre du schéma. Le changement de culture que nécessite cette transition vers l’adoption de pratiques urbanistiques durables semble toutefois rencontrer beaucoup de résistance au sein de l’administration municipale, et plus particulièrement parmi les élus.

De prime abord, subsiste au sein de la population un doute important quant à la volonté ou au leadership requis de la part de la Ville pour concrétiser la vision du schéma sur le terrain. Or, rappelons qu’il s’est écoulé plus de deux ans entre l’adoption du schéma révisé par le conseil municipal, en octobre 2013, et son approbation officielle par le gouvernement du Québec, qui a opposé trois refus successifs à la demande d’approbation du document par la Ville de Gatineau. Ce décalage entre l’adoption du SAD révisé et sa mise en oeuvre effective, laquelle est conditionnelle au processus de concordance du plan et des règlements d’urbanisme qui s’étendra vraisemblablement lui aussi sur près de deux ans, ne peut que raviver la méfiance et le cynisme du public. Car, en attendant l’entrée en vigueur des règlements de concordance, les projets de développement urbain ne font pas relâche pour autant, et les pratiques planificatrices conventionnelles continuent de tenir le haut du pavé. En effet, quelques mois à peine après l’entrée en vigueur du schéma, le conseil municipal, à l’issue d’un débat houleux au Comité consultatif d’urbanisme et d’un vote serré opposant les élus indépendants aux élus d’Action Gatineau davantage favorables aux principes énoncés dans le SAD, donnait son aval à un projet d’hôtel de 125 chambres – un investissement de près de 20 millions de dollars – pour lequel il acceptait de déroger au règlement actuel afin de permettre au promoteur d’aménager un stationnement en surface deux fois plus grand que l’usage permis. Fait important à noter, ce grand stationnement en surface sera érigé dans un secteur névralgique doté d’une station du Rapibus et défini dans le schéma comme un des deux pôles mixtes dont la Ville souhaite faire « des modèles de développement axé sur le transport collectif » (Ville de Gatineau, 2015 : 3-34).

Le SAD révisé de Gatineau, rappelons-le, repose largement sur la création de zones axées sur le transport en commun comme moyen privilégié d’intervention sur la forme urbaine pour consolider le tissu urbain, encourager la mobilité durable et créer des milieux de vie complets et écoresponsables. Majoritaires au conseil, les conseillers indépendants ont tous voté en faveur du projet, acceptant ainsi de faire un compromis sur les principes de densité dès le tout premier projet de développement aux abords du Rapibus, en échange d’un investissement à court terme. À la première occasion, la Ville de Gatineau a donc fait fi des principes enchâssés dans son nouveau SAD, tout juste entré en vigueur, pour accéder aux demandes d’un promoteur qui faisait miroiter un investissement de plusieurs millions de dollars.

Cette difficulté à traduire les principes établis dans les documents de planification en actions concrètes sur le terrain est un enjeu soulevé par nombre de chercheurs (Alexander, 1997 ; Gauthier et al., 2008 ; Roy-Baillargeon et Gauthier, 2013). Ce que Roy-Baillargeon et Gauthier (2013) qualifient de fossé entre « bonnes intentions » et « interventions », et qui renvoie au concept de l’implementation gap, en anglais, illustre bien la complexité de l’exercice d’arrimage entre le processus de planification urbaine, ses résultats d’un point de vue substantiel et la mise en oeuvre, dans un souci de cohérence, de l’action publique en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire.

Conclusion

Les résultats de notre enquête ont permis d’établir que la révision du SAD avec une large participation citoyenne était surtout motivée par le souci de l’administration municipale d’obtenir l’adhésion du public, « l’acceptabilité sociale » à l’égard des choix d’aménagement inscrits dans le nouveau schéma, et cet objectif a été rempli, à en juger par le fort degré de satisfaction des participants à l’égard du processus. Cette adhésion du public a cependant créé des attentes élevées face à la mise en oeuvre du schéma et fait ressortir le sentiment de méfiance envers la capacité ou la volonté de la Ville de concrétiser la vision du schéma sur le terrain. Pour restaurer la confiance des citoyens, la Ville de Gatineau devait mettre en place un processus participatif inattaquable et limiter l’influence du milieu des affaires, plus particulièrement des promoteurs immobiliers, sur la prise de décision. Si la qualité du processus a permis de faire un pas important en ce sens, c’est à l’aune des efforts de mise en oeuvre et de suivi déployés par la Ville qu’on devrait pouvoir mesurer véritablement la portée du processus et la volonté de l’administration municipale de mettre en place des pratiques urbanistiques durables conformes à la vision portée par le nouveau SAD révisé.

Le décalage important entre l’adoption du SAD révisé par le conseil municipal et son entrée en vigueur soulève aussi des questions sur l’effet du cadre réglementaire qui, en retardant indûment la mise en oeuvre du nouveau schéma, pourrait bien saper la crédibilité de ce processus censé jeter les bases d’une approche plus collaborative en matière de planification urbaine.