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Marie Redon et son équipe nous proposent, avec Ressources mondialisées, un vrai recueil de géographie, une belle géographie pratiquée selon les règles de l’art. Une géographie très empirique qui nous amène examiner des études de cas surtout en Afrique et en Amérique latine, auxquelles s’ajoutent deux chapitres portant respectivement sur la Russie et l’Union européenne. Issu des travaux de l’unité mixte de recherche Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (UMR PRODIG), UMR associée à trois universités parisiennes et à trois établissements (AgroParisTech, École Pratique des Hautes Études [EPHE] et Institut de recherche pour le développement [IRD]) et qui comptait plus de 150 membres et doctorants en 2014, le livre s’organise en 12 chapitres autour de 3 parties répondant à 3 entrées : formes, disponibilité et régulations (p. 13).

Les formes, ce sont celles que prennent les ressources dans l’espace, en particulier celles de leur contrôle (Chauvin au Tchad ; Gautreau en Uruguay et au Brésil ; Hou en Russie ; Palle en Union européenne). La disponibilité ouvre une fenêtre sur les enjeux territoriaux autour de la présence ou de l’absence, « de la pénurie à la surabondance » (p. 119), réelle ou construite, des ressources (Redon en Guadeloupe ; Lavie et al. sur la question de l’eau ; Magrin au Lac Tchad ; Faliès et Marshall au Chili et au Pérou ; Planel en Éthiopie). Les régulations traduisent les enjeux d’acteurs, en particulier étatiques, autour de l’extraction des ressources (Perrier Bruslé en Bolivie ; Bos au Pérou ; Diallo et Magrin au Sénégal).

Ces chapitres, puisant tous dans une bibliographie très riche et diversifiée – vent de fraîcheur dans l’édition scientifique française ! – sont précédés par une introduction générale écrite par l’équipe d’éditeurs autour de Gérard Magrin, et qui discute la question conceptuelle des ressources (« socialement construite », p. 6), de leur insertion multiscalaire dans les économies locales et dans le système mondial, ainsi que des différentes approches géographiques permettant d’aborder cette question. Comme les auteurs le précisent en introduction et le démontrent dans les 12 chapitres, une approche territoriale multiscalaire est cruciale, non seulement pour définir « la valeur des ressources » (p. 11), mais aussi pour faire émerger, à partir d’éléments de contextes similaires (matérialité de la ressource, contraintes économiques, processus d’exploitation, etc.), des relations différentes selon les échelles d’analyse, où l’imaginaire des acteurs permet de construire des espaces de légitimation différents (Magrin et al., p. 11), bref, des territoires en conflit selon une approche raffestinienne.

Annoncés comme des essais de géographie politique, les chapitres abordent l’État, dans ses différents rôles et dans ses contradictions au coeur de relations de pouvoir asymétriques, au centre des démarches résolument empiriques qui construisent ce recueil. « Le pouvoir économique de l’entreprise s’impose sur le pouvoir politique de l’État censé assurer la régulation. Il en résulte des jeux de relations à l’échelle locale entre différents acteurs aux intérêts divergents : la transnationale, l’administration locale (…), les populations riveraines, les autorités locales décentralisées et la société civile » (Diallo et Magrin, p. 322). Indéniablement, la mondialisation n’annonçait pas la fin de l’État, ni celle des territoires, d’ailleurs. Elle reste d’abord et avant tout un processus spatial : « (…) la dimension spatiale est au coeur de toute géopolitique de la régulation des ressources. Or cette géopolitique, telle qu’elle se joue aujourd’hui en Bolivie, est riche d’enseignement sur la spatialité de la mondialisation » (Perrier Bruslé, p. 271).

Au total, c’est un très bel exemple où la recherche marie efficacement une base conceptuelle bien ancrée à une recherche empirique de première main. Avec la profondeur et la qualité de la discussion, on aurait souhaité encore plus, peut-être, un ancrage conceptuel et théorique construisant davantage à partir de Claude Raffestin (travail, espace, pouvoir, territoires – aussi avec Mercedes Bresso, 1979) et de Roger Brunet avec sa notion d’antimonde (Brunet, 1990), fort utile pour comprendre l’exploitation et le commerce illégaux des ressources. De même, les auteurs ont perdu une belle occasion de démontrer – en fait, ils le démontrent sans le dire – que l’écologie politique (political ecology), au fond, n’est simplement qu’un morceau de la géographie, une géographie plus complète dans son approche spatiale, sociale, systémique et multiscalaire, et qui tient compte des relations politiques dans la manière dont les sociétés organisent leur relation à leur territoire et à leur environnement.