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Roman social, historique et engagé aux thèmes contemporains, voire universels, Le rêve d’un Groenlandais m’a interpellé, tant par l’exotisme du lieu que l’imaginaire suggérés. Qu’est-ce donc qu’un roman, dont le narrateur est un jeune Autochtone d’une dizaine d’années, vivant en 1917 et rêvant pour 2105 d’un monde meilleur pour son pays, venait faire dans les Cahiers de géographie du Québec ? Comment pourrais-je rendre compte de ce livre, au genre littéraire inhabituel, publié aux Presses de l’Université du Québec (PUQ) dans la collection Imaginaire|Nord ? D’autant que l’excellente introduction de Karen Laggård, professeure et docteure en philosophie, procure une mise en contexte culturelle et politique groenlandaise, situe l’auteur et le pasteur, Mathias Storch, dans la première vague de la littérature au Groenland (1721-1914). En outre, elle présente la réception controversée de ce premier roman groenlandais, dans le pays et au Danemark, ainsi que sa pertinence contemporaine. Cette philosophe nous apprend que le roman peut devenir, et je pense particulièrement pour le chercheur, notamment en géographie humaine et culturelle, « une source exceptionnelle pour comprendre de l’intérieur, à travers les yeux de ses habitants, ce qu’est le Groenland », ce qu’il était et ce qu’il souhaitait devenir. Cette introduction consistante remplit une trentaine de pages, soit presque le quart du livre, sans compter la chronologie culturelle du Groenland.

Ce qui a particulièrement retenu mon attention et mon intérêt, ce sont la « contemporanéité » et l’universalité de ce roman. Au-delà du thème intrinsèque du roman, soit l’amour et son intrigue, des questions universelles et d’actualité y sont soulevées : l’identité d’un peuple, l’affranchissement de la colonisation (ici danoise) et de l’évangélisation, le rapport à la nature et à l’exploitation des ressources, le rôle des anciens et du savoir vernaculaire versus celui des compétences, c’est-à-dire de la formation et de l’alphabétisation dans la gouvernance et la maîtrise du territoire, le rapport conflictuel entre l’authenticité culturelle et l’influence du monde extérieur, le devenir ethniconational autochtone, le processus d’appropriation, voire de renforcement des capacités dont la place de l’individu (agency) et des médias. Bref, le comment habiter, voire fabriquer, son territoire ? Comment débattre et effectuer un changement à l’échelle d’une nation par la formation et l’affirmation culturelle ? Les Groenlandais et Groenlandaises ne se sont pas contentés d’une révolution tranquille à la québécoise : ils se sont tous investis et ont dit oui au référendum à 75 % sur l’autogouvernance (2008).

Un roman certes ! Mais l’écrit, situé dans le temps et l’espace, d’un témoin et acteur de l’histoire groenlandaise, dont la portée sociale de l’ensemble de son oeuvre a été significative. Aujourd’hui, le roman et l’homme derrière le roman demeurent une source d’inspiration, car ils figurent au programme scolaire du Groenland. Quelle que soit l’appartenance nationale, le roman de Mathias Storch rappelle qu’il est aussi essentiel de rêver son avenir et de le partager avec ses compatriotes que de vivre le présent.