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Introduction

La Ville de Montréal est divisée en 19 arrondissements qui disposent chacun d’un conseil élu et d’un budget relativement autonome de dépenses. Cette décentralisation inframunicipale apparaît souvent comme singulière aux yeux des experts et des décideurs politiques locaux, mais l’est-elle vraiment ? Même s’il existe une littérature sur le sujet en Europe centrale, en Europe du Nord (Bäck et al., 2005 ; Van Assche et Derickx, 2007 ; Van Ostaaijen et al., 2012) et dans les pays de l’Europe de l’Est (Lõhmus, 2008 ; Hacek et Grabner, 2013 ; Swianiewicz, 2013), le thème de la décentralisation inframunicipale est presque totalement absent de la littérature scientifique traitant des grandes villes d’Amérique. Cette forme de décentralisation, bien que moins présente sur le continent américain, y a tout de même été implantée dans plusieurs villes au cours des dernières décennies. L’objectif de cet article est de faire ressortir quelques cas et d’établir des comparaisons sur la présence de décentralisation et le degré d’autonomie des unités inframunicipales. Cette perspective comparée, ciblant particulièrement des villes des Amériques, vient non seulement combler un vide dans la littérature scientifique, mais permet également d’établir des bases de recherche au sein des Amériques sur la question.

Cette recherche est d’abord exploratoire et descriptive. Elle ne vise pas à expliquer la décentralisation inframunicipale, ni à la justifier. Le processus de décentralisation à l’échelle des villes s’appuie sur plusieurs arguments théoriques. Ces arguments prennent racine dans les théories du choix public inspirées de Tiebout (1956) et les principes du fédéralisme financier élaborés par Oates (1972). Ils s’alimentent également des travaux sur la démocratie locale de Dahl et Tufte (1973). Ils sont repris par Park et Oakerson (2000) pour étudier les économies publiques locales et Lowndes et Sullivan (2008) et Pratchett (2004) pour définir le localisme. L’argument principal justifiant la décentralisation repose sur la vitalité de la démocratie locale. Selon la théorie, un rapprochement entre le gouvernement et ses citoyens permettrait un meilleur arrimage entre les services et les préférences. La compétition plus grande entre les juridictions décentralisées favoriserait également l’efficacité de production des services. Les économies d’échelle et les effets externes présentent toutefois des arguments contraires. En leur présence, la décentralisation pourrait être néfaste. Le choix de décentraliser découle donc d’un arbitrage entre plusieurs facteurs. C’est d’ailleurs ce que défend Oates (1972) avec son théorème de la décentralisation.

Malgré ces apports théoriques, les contributions empiriques sur la décentralisation inframunicipale demeurent limitées. Les recherches existantes prennent surtout la forme d’études de cas (Fimreite et Aars, 2007 ; Kuhlmann, 2007 ; Van Assche et Derickx, 2007 ; Tomàs, 2012 ; Hacek et Grabner, 2013 ; Swianiewicz, 2013). Les travaux de Röber et Schröter (2007) ainsi que ceux de Van Ostaaijen et al. (2012) offrent des comparaisons internationales sur trois villes [1], alors que Bäck et al. (2005) étudient six modèles issus des pays scandinaves. La seule étude qui porte sur un ensemble plus vaste de villes est celle de Lõhmus (2008) : elle englobe une vingtaine de villes capitales en Europe de l’Est, en Europe centrale et en Europe du Nord. Ces études sont essentiellement descriptives. Elles tendent à montrer que les modèles sont variés et qu’ils sont définis par leur contexte historique et politique. Très peu s’aventurent à déterminer la présence ou non d’optimum politique ou économique, ou à statuer sur les déterminants de la décentralisation. Comme l’ont montré les travaux de Slack (2010) et Shah (2012) pour les structures métropolitaines, il est impossible de déterminer un modèle unique. Différentes configurations, plus ou moins fragmentées ou décentralisées, permettent d’atteindre des objectifs similaires. On peut supposer que les mêmes conclusions peuvent s’appliquer à la décentralisation inframunicipale.

Dans ces circonstances, cet article ne vise pas à définir un modèle optimal, ni même à établir les conditions propices à la décentralisation. Il pose plutôt la question de savoir si le cas de Montréal et de ses arrondissements apparaît comme un cas d’exception. Dans quelle mesure le cas de Montréal se démarque-t-il des autres modèles ? Cette question renvoie à la capacité de mesurer les niveaux de décentralisation des villes et de les comparer. Le travail de Lõhmus (2008) est particulièrement intéressant à cet égard. Il s’agit de la seule étude offrant une mesure de la décentralisation à l’échelle inframunicipale pour un ensemble de villes appartenant à des contextes institutionnels différents. La mesure proposée est fondée sur une appréciation qualitative du niveau d’autonomie des unités inframunicipales suivant trois aspects institutionnels : constitution légale, autonomie politique et autonomie budgétaire. Elle néglige cependant un aspect important, celui de la décentralisation financière (plus quantitatif).

Au regard des travaux de Lõhmus (2008), on peut déjà conclure que Montréal se classe parmi les villes les plus décentralisées par rapport aux villes européennes. Son modèle de décentralisation offre une autonomie très grande aux unités inframunicipales (les arrondissements). Cette autonomie est similaire à celle des unités inframunicipales qu’on trouve dans des villes comme Varsovie, Bucarest, Prague, Bratislava et Budapest, ainsi que dans des villes-États comme Berlin et Vienne. Le travail de Lõhmus (2008) permet de situer Montréal parmi ces capitales européennes, mais ne permet pas de comparer leurs responsabilités, ni leur niveau de décentralisation financière. La comparaison demeure donc partielle et nécessite un approfondissement.

Suivant le travail de Lõhmus (2008), cet article propose une grille d’analyse qui permet de comparer le niveau de décentralisation de la Ville de Montréal à celui de sept autres villes d’Amérique, soit Toronto, New York, Los Angeles, Mexico, Bogotá, São Paulo et Buenos Aires. Le choix d’étudier ces villes repose en partie sur le contexte dans lequel a été effectuée cette recherche, mais aussi sur le fait qu’il s’agit d’un territoire où la démocratie et les institutions locales ont connu des développements intéressants. Parmi ces développements, on peut mentionner les fusions municipales au Canada, le mouvement sécessionniste à Los Angeles, la démocratisation des villes et l’émergence de la pratique de la démocratie participative en Amérique du Sud. Les villes européennes ayant été l’objet de la plupart des recherches antérieures sur la question de la décentralisation inframunicipale, il apparaissait également important de porter le regard sur d’autres territoires.

Le caractère exploratoire de cette recherche découle du fait qu’il n’est pas évident, au départ, de trouver des villes en Amérique ayant des structures institutionnelles décentralisées. Pour trouver ces villes, il a fallu élaborer une première grille d’analyse, inspirée du travail de Bäck et al. (2005), afin de déterminer la présence d’unités inframunicipales dans les villes (donc de décentralisation inframunicipale). Les données collectées ont permis, dans un premier temps, de sélectionner les villes à l’étude et, dans un deuxième temps, de qualifier et de quantifier leur processus de décentralisation inframunicipale.

La suite de cet article se divise en quatre sections. La première présente une définition du concept de décentralisation inframunicipale. La seconde fournit des détails sur la méthodologie utilisée pour sélectionner les villes à l’étude et pour mesurer leur niveau de décentralisation (ou d’autonomie inframunicipale). Une brève analyse des cas étudiés apparaît dans la troisième partie, alors que la quatrième offre une synthèse des résultats. Cette synthèse permet de situer le niveau de décentralisation des villes les unes par rapport aux autres et de faire ressortir les aspects sur lesquels le cas de Montréal diffère des autres grandes villes d’Amérique.

Le concept de décentralisation inframunicipale

La définition de la décentralisation inframunicipale en gouvernance urbaine n’est l’objet d’aucun consensus. Les termes « entités inframunicipales » ou « unités inframunicipales » employés ici ne sont d’ailleurs pas des expressions consacrées dans la littérature. Certains auteurs emploient les termes « quartiers », « districts », « arrondissements », « divisions inframunicipales » ou « gouvernements inframunicipaux » pour aborder la même réalité. Le travail de Bäck et al. (2005) fixe des critères pour identifier ces unités. Selon ces auteurs, une unité inframunicipale doit avoir un territoire d’action, des tâches multiples (ce qui exclut notamment les comités locaux d’urbanisme ou de développement économique), un conseil décisionnel, des responsabilités dans la production des services publics locaux (sans nécessairement les produire elles-mêmes) et demeurer sous l’autorité ou l’influence d’un gouvernement municipal de palier supérieur.

Les formes institutionnelles de la décentralisation inframunicipale varient considérablement d’un pays à l’autre et même d’une ville à l’autre (Röber et Schröter, 2007 ; Lõhmus, 2008 ; Lefèvre, 2010 ; Van Ostaaijen et al., 2012). De manière générale, les entités inframunicipales sont responsables de services tels que l’entretien des parcs locaux, la collecte des matières résiduelles, l’animation des activités de sport, de loisir et de culture, ainsi que de l’entretien des rues locales. Dans certains pays scandinaves, ces entités sont même impliquées dans la production de services sociaux (Hamel, 2009).

Différentes formes de décentralisation s’appliquent aux entités inframunicipales. La forme la plus complète est celle de la dévolution. Dans ce cas, le transfert des responsabilités vers les entités inframunicipales inclut la pleine autonomie décisionnelle, notamment budgétaire, et le pouvoir de prélever des impôts ou d’appliquer des tarifs – voir notamment Bird (2001) et Litvak et al. (1998) pour la définition des divers processus de décentralisation gouvernementale. Cette forme de décentralisation est aussi nommée « décentralisation politique ». Elle implique que les entités inframunicipales soient dotées d’une structure décisionnelle légitime et autonome. Un autre processus de décentralisation est celui de la délégation. Ce processus est caractérisé par un transfert de responsabilités relatif à la provision de services, mais généralement encadré par des normes strictes. L’autonomie des entités inframunicipales sur ces dépenses est plus faible. La forme la moins prononcée de décentralisation est la déconcentration. Il s’agit d’un transfert de responsabilité vers des bureaux locaux qui demeurent sous l’autorité de l’administration centrale. La délégation et la déconcentration représentent des formes de « décentralisation administrative ». La première peut se faire vers des entités inframunicipales plus ou moins autonomes, alors que la seconde n’implique généralement pas l’existence de ces entités. Au final, on retient que les différentes formes de décentralisation impliquent différents degrés d’autonomie pour les unités inframunicipales. C’est d’ailleurs à partir de cette notion d’autonomie qu’il est possible, suivant Lõhmus (2008), de qualifier le niveau de décentralisation des villes.

Mesurer la décentralisation inframunicipale

Toutes les villes ne disposent pas d’unités inframunicipales vers lesquelles décentraliser des responsabilités. On trouve plus souvent ces unités dans les grandes villes ou les grandes capitales (Lefèvre, 2010), mais il est également possible d’en trouver dans des villes de plus petite taille (Bäck et al., 2005 ; Swianiewicz, 2013). La première étape de cette recherche consiste à repérer des villes en Amérique qui comportent des unités décentralisées. Dans un premier temps, une trentaine de villes ont été sélectionnées (voir l’annexe 1). Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive ni représentative. L’objectif est surtout ici de faire ressortir des cas relativement diversifiés. L’attention a été portée d’abord sur des régions métropolitaines de plus grande taille (en termes de population), puisque ces régions sont plus susceptibles de comporter des villes décentralisées.

Cette recherche s’appuie sur le contenu des textes de loi, des sites Internet institutionnels et des documents budgétaires des municipalités (les sources sont présentées dans l’annexe 1). À partir de ces informations, il a été possible de repérer les villes décentralisées et d’en mesurer le niveau de décentralisation suivant les critères présentés ici.

Critères de qualification

Une première grille de lecture fondée sur les critères établis par Bäck et al. (2005) a permis de déterminer, parmi l’ensemble des villes sélectionnées, celles qui comportaient des unités décentralisées. Cette grille comprend cinq critères :

  • Territorialité : les unités inframunicipales interviennent sur un territoire défini, cerné par des frontières et qui représente une fraction du territoire de la municipalité.

  • Multifonctionnalité : les unités inframunicipales remplissent plusieurs fonctions dans la fourniture de services publics locaux. Elles ont plusieurs responsabilités (ce qui exclut les comités d’urbanisme, les districts scolaires ou les districts de police).

  • Processus décisionnel : les unités inframunicipales sont dotées d’un organe de décision politique.

  • Provision de services : les unités inframunicipales doivent avoir la responsabilité d’offrir des services à leur population. Elles ne doivent pas être limitées à un rôle consultatif.

  • Subordination politique : les unités inframunicipales agissent sous l’autorité d’une ville. À ce titre, leur existence légale n’est pas indépendante de celle de la ville dont elles font partie. Le pouvoir de prélever de l’impôt, même s’il peut être partagé, demeure un pouvoir de la ville-centre.

Si les trois premiers critères sont relativement clairs et faciles à interpréter, les deux derniers exigent d’être précisés. D’abord, la frontière entre les unités consultatives et les unités qui contribuent à la provision de services n’est pas toujours claire. Nous avons considéré ici les instances prenant des décisions en matière de réglementation locale, notamment pour des questions d’urbanisme, comme étant des instances qui produisent un service à la population. Ce service, qui ne requiert pas nécessairement de dépenses inframunicipales, représente, selon nos critères, une action dépassant la simple consultation. Ce choix pourrait toutefois être débattu.

La subordination politique génère également de la confusion, notamment pour les cas de municipalités subordonnées à un gouvernement métropolitain (comme le sont les municipalités de l’île de Montréal par rapport à l’agglomération de Montréal). L’habilitation à lever un impôt est évoquée ici comme un critère servant à distinguer le statut de municipalités par rapport à celui d’unités inframunicipales. Les unités capables de prélever leurs propres impôts sont donc considérées ici comme des municipalités et non des unités inframunicipales. Cela va généralement de pair avec leur constitution légale. Le cadre institutionnel peut toutefois varier d’un pays à l’autre et l’interprétation qui en est faite dans cet article pourrait être discutée.

Le niveau d’autonomie

Au-delà de la simple identification des villes décentralisées, notre objectif est de mesurer le niveau de décentralisation des villes. Pour ce faire, nous utilisons une grille d’évaluation inspirée de Lõhmus (2008). Cette grille repose sur trois indicateurs, soit l’existence légale, le pouvoir politique et l’autonomie budgétaire. Le tableau 1 présente les critères de gradation de la décentralisation inframunicipale pour ces trois indicateurs. Suivant Lõhmus (2008), on suppose que le degré de décentralisation dépend en fait du niveau d’autonomie des unités inframunicipales. Il s’agit donc d’une mesure indirecte de la décentralisation.

Tableau 1

Critères d’évaluation de la décentralisation inframunicipale

Critères d’évaluation de la décentralisation inframunicipale
Source : tableau inspiré de Lõhmus (2008)

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S’ajoute à cette grille d’évaluation une mesure de décentralisation financière. Le critère de décentralisation financière est, à première vue, plus simple à interpréter que les critères d’autonomie. Il s’agit d’un indicateur quantitatif que l’on calcule à partir du budget des unités inframunicipales et de celui de la municipalité. Ce ratio de dépenses des unités inframunicipales sur les dépenses totales représente une mesure classique de décentralisation financière [2]. Parce que toutes les municipalités n’ont pas les mêmes responsabilités, cette mesure doit toutefois être interprétée avec discernement.

Les villes décentralisées d’Amérique

En appliquant les critères de Bäck et al. (2005) sur l’ensemble des villes sélectionnées (annexe 1), huit villes ont été retenues comme exemples de villes décentralisées, soit Montréal, Toronto, New York, Los Angeles, Mexico, Bogotá, São Paulo et Buenos Aires. Aux États-Unis et au Canada, les villes de Montréal et de New York affichent clairement des structures décentralisées. Les cas de Toronto et Los Angeles sont cependant moins clairs. Leurs structures inframunicipales y sont à première vue consultatives, mais on y prend également des décisions de façon autonome sur certains règlements, ce qui nous a incités à qualifier ces villes de décentralisées. Pour toutes les autres villes des États-Unis dont les données ont été explorées, aucune ne présente de structure municipale décentralisée qui puisse respecter les critères de Bäck et al. (2005). On peut en conclure que la décentralisation inframunicipale demeure un phénomène marginal, aux États-Unis.

En Amérique latine, l’attention a surtout porté sur les grandes villes capitales. Le cas du Brésil est particulier puisque la capitale du pays n’est pas la principale ville, en termes de population. Nous y avons donc exploré plusieurs villes, dont la capitale Brasilia, les villes de Rio de Janeiro et São Paulo, ainsi que Porto Alegre, reconnue pour ses budgets participatifs. Bien que les critères de Bäck et al. (2005) permettent de déceler des unités inframunicipales dans toutes ces villes, le cas de São Paulo demeure celui où la décentralisation est la plus prononcée. Pour cette raison, et par souci de simplicité, nous avons choisi de ne conserver que cette ville parmi les villes brésiliennes pour la suite de notre analyse. Pour les autres grandes capitales d’Amérique latine, les villes de Lima (Pérou), Caracas (Venezuela) et Santiago (Chili) ont été identifiées comme des municipalités au sein de gouvernements métropolitains fragmentés. Elles ne possèdent pas d’unités inframunicipales respectant les critères de Bäck et al. (2005). En revanche, Mexico, Bogotá et Buenos Aires sont des villes décentralisées dont les unités inframunicipales respectent les critères établis.

Le tableau 2 présente une synthèse des informations sur la population, les dépenses municipales et la présence d’entités inframunicipales pour les huit villes à l’étude. La dernière colonne à droite du tableau présente le ratio des dépenses inframunicipales sur les dépenses totales, ce qui correspond à notre mesure de décentralisation financière. D’entrée de jeu, on voit que Montréal se détache des autres villes par la part plus importante que ses entités inframunicipales représentent dans le total de ses dépenses, soit 21,3 %. L’écart qui la sépare du district fédéral de Mexico semble toutefois raisonnable (les entités inframunicipales y occupent une part de 17,4 % des dépenses). Les villes anglophones d’Amérique du Nord se situent quant à elles à l’autre bout du spectre, avec des budgets presque nuls pour leurs entités inframunicipales. Entre ces deux extrêmes, se trouvent les villes de Bogotá, São Paulo et Buenos Aires où les entités locales occupent de 1 % à 4 % du budget municipal, environ.

Tableau 2

Population, budget et part budgétaire des divisions inframunicipales

Population, budget et part budgétaire des divisions inframunicipales
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Les données sur la population sont celles de 2010 pour New York, Los Angeles, Mexico et Buenos Aires, 2011 pour Toronto et Montréal, 2012 pour Bogotá et 2013 pour São Paulo.

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Tous les montants proviennent du budget de la ville pour l’année 2012. Ils apparaissent en dollars canadiens suivant le taux de change moyen en vigueur pour cette année.

Sources : sites Internet des villes et agences nationales de statistiques

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La section qui suit présente de façon succincte les différents modèles de décentralisation des villes étudiées. On y présente d’abord le cas de référence de Montréal. Il y a ensuite le modèle des villes anglophones d’Amérique du Nord où la décentralisation inframunicipale est d’abord utilisée comme un outil consultatif. On présente ensuite le modèle des grandes villes d’Amérique latine, où la décentralisation fait partie des politiques de démocratisation des villes, avec une volonté affirmée de faire, des unités inframunicipales, des entités de démocratie participative.

Le cas de Montréal

Le caractère décentralisé de la Ville de Montréal est le résultat d’un ensemble de réformes liées aux fusions municipales de 2002 (Collin et Robertson, 2005). Il s’explique surtout par les divisions linguistiques qui existaient sur le territoire au moment des fusions. Plusieurs municipalités à majorité anglophone voulaient conserver leur identité locale lorsque fusionnées à une municipalité à majorité francophone (Tomàs, 2012). La menace de défusions à partir de 2003 et leur concrétisation en 2006 n’ont fait que renforcer le processus.

La Ville de Montréal compte 19 arrondissements. Ces arrondissements, ainsi que leurs responsabilités, sont inscrits dans la loi constitutive de la Ville (la Charte de la Ville de Montréal), adoptée par le gouvernement du Québec. Chaque arrondissement a un maire et un conseil d’arrondissement qui sont élus directement par la population. Parmi les 103 élus qui siègent à l’ensemble des 19 conseils d’arrondissement, 65 siègent également au conseil de ville. Le maire de Montréal est de facto maire de l’arrondissement Ville-Marie où se situe le centre-ville. Les arrondissements jouissent donc d’une existence légale et d’un pouvoir politique relativement forts.

Les responsabilités dévolues aux arrondissements sont l’entretien de la voirie locale, le déneigement, les parcs locaux et les infrastructures, l’urbanisme, l’entretien et l’animation des lieux de sport, de loisir et de la culture, incluant les bibliothèques, ainsi que la collecte des matières résiduelles. La Ville assume, quant à elle, les responsabilités liées à l’entretien des infrastructures d’eau, l’élimination des matières résiduelles, le développement économique, les grands événements, la coordination des activités et services interarrondissements, la gestion des ressources humaines, le prélèvement des impôts et le stationnement. La Ville contribue également au gouvernement métropolitain d’agglomération. Les responsabilités allouées à cet échelon sont l’évaluation foncière, la sécurité publique, le transport en commun, les infrastructures majeures, la voirie supérieure, les infrastructures d’eau et la cour municipale. Les quotes-parts versées à l’agglomération de Montréal comptent pour près de 50 % des recettes totales de la Ville.

Ensemble, les arrondissements de Montréal disposent d’un budget de 950 millions $ pour assumer leurs responsabilités (budget de 2012). Ce budget est financé à 90 % par des transferts provenant de la Ville. Les arrondissements disposent également de revenus provenant d’une partie de l’impôt foncier prélevé sur leur territoire [3]. Ils disposent aussi de revenus provenant de l’émission de permis et de la tarification de certains services. En tout, leurs dépenses représentent 21,3 % des dépenses totales de la Ville de Montréal. Ce poids dans les dépenses est considérable. Les arrondissements disposent en plus d’une capacité décisionnelle quant à leurs revenus, ce qui témoigne d’un niveau élevé d’autonomie budgétaire.

Le modèle anglo-américain de la décentralisation consultative (Toronto, New York et Los Angeles)

La Ville de Toronto est, elle aussi, le résultat d’une fusion relativement récente (datant de 1998). Elle regroupe l’ancienne Ville de Toronto et les banlieues d’East York, Scarborough, North York, York et Etobicoke. La loi constituante de la Ville (le Toronto City Act) adoptée par le gouvernement de l’Ontario en 1997 comprend la création de six unités inframunicipales appelées community councils. Les représentants siégeant à ces conseils sont les élus des districts électoraux (wards) compris dans les limites territoriales associées à leur unité inframunicipale. Ces élus choisissent entre eux le président (chair) et le vice-président du conseil. En 1999, la loi sur la réduction du nombre d’élus municipaux du gouvernement de l’Ontario (le Fewer Municipal Politicians Act) a entraîné un redécoupage des districts électoraux et la dissolution des community councils tels que définis par le Toronto City Act de 1997. La loi permet alors à la Ville de Toronto de recréer des conseils sur la base des nouveaux districts. Des consultations publiques ont lieu à partir de l’année 2000 pour permettre à la Ville de recréer des community councils. Ces nouveaux conseils, au nombre de quatre, sont créés en 2003 sur la base d’un règlement municipal. Ainsi, malgré une représentation politique relativement forte à ces conseils, leur existence légale est affaiblie : elle dépend maintenant de la Ville de Toronto plutôt que d’une loi provinciale.

Les community councils sont considérés comme des sous-comités du conseil municipal. Ils s’occupent des affaires de nature locale au nom de la Ville. Ils représentent un forum pour les communautés locales qui alimente le processus décisionnel du conseil municipal. Les responsabilités attribuées à ces conseils sont d’émettre des recommandations en matière d’urbanisme et de développement économique local. Les conseils sont aussi appelés à se prononcer sur des questions liées aux plans de circulation, à la réglementation en matière de stationnement et aux exemptions accordées aux règlements municipaux. Bien qu’ils se rapportent généralement au conseil de ville, ils jouissent d’une certaine autonomie décisionnelle en regard des exemptions réglementaires, notamment pour les permis de clôture, l’affichage et l’émondage. Ils ont également le pouvoir de nommer les représentants de leur communauté à divers comités locaux. La marge de manoeuvre budgétaire des conseils est cependant inexistante (tableau 2). L’ensemble des conseils dispose d’un budget total annuel de 25 000 $ pour tenir des rencontres. Toutes les autres dépenses sont assumées directement par la Ville. Les community councils ne prennent en fait aucune décision d’ordre budgétaire.

La Ville de New York a été l’objet d’une vague de fusions beaucoup plus tôt dans son histoire, soit en 1898, lorsque les counties de Richmond (plus tard Staten Island), de Brooklyn, du Bronx et de Queens ont été fusionnés à la Ville de New York (Manhattan). Ces counties représentent aujourd’hui les cinq unités inframunicipales de la Ville de New York, appelées boroughs. L’existence de ces boroughs est garantie par la loi constitutive de la Ville de New York (la New York City Charter). On y trouve une description des responsabilités des boroughs. Les conseils de ces entités sont constitués d’un président et des membres du conseil de ville dont les districts électoraux sont compris dans leurs frontières. S’ajoutent à cela les représentants des conseils communautaires (community boards) compris sur le territoire. Les conseils communautaires sont des entités plus petites que les boroughs. Ils sont au nombre de 59 et couvrent l’ensemble du territoire de la ville. Les représentants de ces conseils sont nommés par le président du borough. Celui-ci est élu par les citoyens sur la base d’un mandat d’une durée équivalente à celui du maire. L’existence légale et la représentation démocratique de ces boroughs sont donc relativement fortes.

Les boroughs doivent tenir des assemblées publiques et faire rapport au conseil de ville et à sa commission d’urbanisme. Ils doivent notamment émettre des propositions quant aux projets d’investissement. Ils ont également le pouvoir d’adopter des règlements locaux. Ils participent à la coordination et à la planification des services de la Ville sur leur territoire. Pour ce faire, ils emploient du personnel technique et politique. Les conseils communautaires sont, quant à eux, encadrés par un directeur de district qui engage du personnel. Bien que leur principale fonction soit de traiter les plaintes des citoyens et d’émettre des avis en matière d’urbanisme, ils assument également des responsabilités pour l’émission de permis ainsi que pour la production de services spéciaux, notamment en matière d’animation culturelle ou de propreté des lieux.

Les boroughs disposent d’un transfert budgétaire total de la Ville de l’ordre de 23 millions $ pour assumer leurs responsabilités (budget de 2012). S’ajoute à cela un transfert de 15 millions $ pour financer les activités des conseils communautaires. Les unités inframunicipales de la Ville de New York disposent donc d’un budget total de l’ordre de 38 millions $. Dans l’ensemble des dépenses de la Ville de New York, cela représente une proportion de 0,1 %. Cette proportion est certes plus importante qu’à Toronto ou Los Angeles, mais cela demeure tout de même infime. Les efforts de décentralisation de la Ville de New York ont d’ailleurs toujours été timides (Pecorella, 1989).

Contrairement aux villes de Toronto et de New York où les divisions inframunicipales représentent un legs historique des fusions passées, la décentralisation de Los Angeles a surtout été mise en place en réponse à un mouvement sécessionniste (Box et Musso, 2004 ; Oakerson et Svorny, 2005). En 1999, la Ville de Los Angeles a adopté une nouvelle charte municipale comprenant plusieurs réformes, dont la création de conseils de quartier (neighborhood councils) et de comités d’urbanisme. Les conseils de quartier sont des groupes locaux reconnus par la Ville et qui sont composés de résidants ou travailleurs localisés dans les limites du quartier. Les membres de ces conseils sont généralement élus, mais peuvent également être nommés suivant des règles établies par les acteurs locaux eux-mêmes. Le nombre et la forme de ces conseils ne sont pas clairement définis dans la charte de la Ville. Seuls les principes y apparaissent. Le nombre de conseils de quartier s’élève aujourd’hui à environ 90.

Les conseils de quartiers sont des unités inframunicipales relativement faibles. Leur participation à la production des services publics locaux est plutôt marginale. Ils disposent d’un budget de fonctionnement annuel de l’ordre de 45 000 $ chacun, ce qui fait un total de 4 millions $ de dépenses pour l’ensemble. Reporté sur un budget total de 7,3 milliards $, cela représente une part minime des dépenses municipales. Les conseils peuvent se servir de ces budgets pour créer et animer des activités en lien avec les besoins de la communauté locale.

Démocratisation et décentralisation en Amérique latine (Mexico, Bogotá, São Paulo et Buenos Aires)

Les villes d’Amérique latine affichent des similitudes dans leurs processus de décentralisation. Exemptes de démocratie au milieu des années 1980, elles se sont démocratisées durant les années 1990 et 2000. Dans la plupart des cas, cette démocratisation a été marquée par une volonté de doter la ville d’institutions permettant une plus grande participation des citoyens à la vie démocratique et une plus grande décentralisation des services.

Dans le cas du District fédéral de Mexico, l’accession à la démocratie locale s’est faite en 1997 avec l’arrivée au pouvoir du premier chef de gouvernement élu dans la capitale [4]. Avant cette date, celui-ci était plutôt nommé par le gouvernement national du Mexique. En 2000, la démocratisation atteint également le palier inframunicipal : celui des delegaciones. Le District fédéral de Mexico est divisé en 16 delegaciones. Leur existence est définie par la loi constituante du District fédéral (la Ley Orgánica de la Administración Pública del Distrito Federal). Les chefs des delegaciones ne sont entourés d’aucun conseil élu et leurs fonctions sont essentiellement exécutives. Ils ne prennent aucune décision quant aux grandes orientations de la delegacion. Ils ne font qu’assurer la production des services publics locaux sur le territoire, suivant les priorités et les orientations votées par les élus du District fédéral. Une tentative de lier les delegaciones à des comités de quartier (comités vecinales) a été entreprise en 2000, mais ces comités n’ont jamais été dotés de structures leur permettant d’exercer leurs fonctions (Alvarado et Davis, 2003). Considérées comme un échec (Harbers, 2007), ces structures participatives locales ont été remplacées en 2010 par des comités de citoyens élus. Leurs activités sont toutefois aujourd’hui complètement déconnectées de celles des delegaciones. Ainsi, malgré une existence juridique relativement forte pour les delegaciones, leur autonomie ou leur légitimité politique demeure faible.

Les budgets transférés aux delegaciones sont pourtant importants. Ils sont de l’ordre de 2 milliards $, soit plus de 17 % de toutes les dépenses du District fédéral (budget de 2012). Certaines delegaciones gèrent même des budgets de plus de 200 millions $. Les chefs des delecaciones sont chargés d’embaucher les équipes de direction qui ont la responsabilité de produire les services locaux sur leur territoire et sont responsables de la livraison des services. Parmi les principales fonctions des delegaciones, on trouve notamment l’aménagement et l’urbanisme, qui comptent pour plus de 20 % des budgets. Les autres fonctions importantes sont celles de l’administration publique, des services sociaux et des loisirs et du sport. Le District fédéral, lui, assume surtout les responsabilités liées aux travaux publics, à la sécurité publique et à la santé. En tant que ville-État, il remplit des missions qui relèvent ailleurs de la responsabilité des États mexicains. Même si les dépenses locales sont relativement décentralisées, les budgets des delegaciones, comme ceux du District fédéral, demeurent largement sous le contrôle du gouvernement fédéral.

La Ville de Bogotá est similaire à celle de Mexico sur le fait qu’elle a un statut de Distrito Capital. La ville a été plusieurs années sous le contrôle du gouvernement national de Colombie. Le maire de Bogotá n’est élu par la population que depuis 1988. La nouvelle constitution de la Ville (1991) lui confère l’autonomie de se diviser en unités inframunicipales. C’est par décret de loi qu’elle se constitue alors en 20 localidades. Les responsabilités de la ville et des localidades sont établies par la loi. Chaque localidad a un maire local (un alcalde local) qui est nommé par le maire de la Ville à partir d’une liste fournie par la junta de administradora local, et qui agit sous son autorité. La responsabilité de ce maire local est de faire l’administration de l’action du pouvoir de la mairie de Bogota dans sa localité. La junta de administradora local agit comme entité législative locale. Ses représentants sont élus directement par la population pour une période de quatre ans. Ainsi, malgré la nomination du maire local, on retrouve la présence d’un conseil élu qui coadministre avec le maire local et qui renforce la légitimité politique des entités inframunicipales. Les membres de la junta peuvent prendre des décisions en regard des attributions budgétaires dans les limites des transferts accordés par la Ville (Skinner, 2004).

Les localidades sont financées par des paiements de transferts. Le budget qui leur est transféré est de l’ordre de 300 millions $ pour l’ensemble des 20 localidades, ce qui correspond à 4 % du budget total de la Ville (budget de 2012). Les fonctions des localidades sont essentiellement liées à la planification et à l’aménagement local (40 % des budgets) et à l’évaluation des services locaux, mais ces entités ont également la possibilité d’établir des priorités locales et d’intervenir directement dans la production des services locaux. Il existe cependant des disparités importantes entre les localidades quant aux fonctions qui leur sont dévolues ou déléguées. Leur marge de manoeuvre budgétaire demeure somme toute relativement faible. La ville-centre assume, quant à elle, surtout des responsabilités liées à la santé et à l’éducation (près de 50 % du budget total de la Ville).

Dans les grandes villes brésiliennes, la décentralisation est également assimilée au retour de la démocratie dans le pays durant les années 1980 (Grin, 2011). Dans la Ville de São Paulo, cette décentralisation se fait vers des entités inframunicipales nommées subprefeituras. Bien que leur existence relève de la loi organique municipale de 1990 (LOM SP, avril 1990), leur nombre, leurs territoires et leurs compétences n’ont été précisés qu’en 2002 par une loi municipale. La municipalité de São Paulo compte aujourd’hui 32 subprefeituras. Les sous-préfets (subprefeitos) sont nommés par le préfet de la Ville. Des conseils élus à l’échelle des subprefeituras (conselho participativo municipal) ont été mis en place récemment, en 2013. L’approbation de ces conseils est requise pour les questions de planification municipale et les priorités budgétaires relatives aux services, travaux et activités qui devraient être réalisés sur leur territoire. La démocratie à l’échelle des subprefeituras demeure toutefois très jeune et le pouvoir politique y est contraint par celui de la Ville, qui nomme les sous-préfets.

Les subprefeituras disposent de dotations budgétaires propres, provenant de transferts de la ville. Elles peuvent effectuer des dépenses opérationnelles et administratives, et réaliser des investissements, avec autonomie. Elles participent à l’élaboration des budgets. Elles sont en charge de la territorialisation des politiques publiques municipales et des services. Elles interviennent cependant toujours en accord avec les orientations de l’administration centrale, ce qui limite leur autonomie de dépenses. La part des subprefeituras dans le budget total de São Paulo en 2012 était de 2,9 %. Il s’agit d’un pourcentage similaire à celui observé à Bogotá. Une part importante des dépenses de la Ville de São Paulo relève de responsabilités telles que la santé et l’éducation (40 %).

La Ville de Buenos Aires s’inscrit dans le même cheminement de démocratisation des institutions locales. Des premières élections libres sont organisées à l’échelle de la ville en 1994. La constitution de 1996 marque la volonté de favoriser l’émergence de la démocratie participative (Sans et al. 2007). Il faut cependant attendre 2005 pour que soient constituées les entités inframunicipales, appelées comunas. Leurs frontières et leurs responsabilités sont établies par une loi adoptée par la Ville de Buenos Aires. Les comunas sont dirigées par un conseil appelé junta comunal. Le président de ce conseil est élu par suffrage populaire. Il est celui qui a obtenu le plus de votes à l’élection, parmi tous les candidats désirant siéger à la comuna. Les six autres candidats ayant reçu le plus de votes sont également élus pour y siéger. Les premières élections à l’échelle des comunas ont été organisées en 2011. Ainsi, la structure politique des comunas est relativement forte, alors que leur existence légale n’est assurée que par une loi adoptée par la Ville.

Le rôle des comunas dans la production des services à la population est restreint. La Ville transfère à ces entités une somme totale de 65 millions $ pour qu’elles assument leurs responsabilités locales (budget de 2012). Chacune reçoit un montant équivalent d’environ 2,7 millions $ pour les services de maintien et la gestion communale, en plus d’une somme de 18 millions $ investie dans les activités communales suivant les priorités de la ville-centre. Les dépenses de l’ensemble des comunas correspondaient en 2012 à moins de 1 % du total des dépenses de la Ville de Buenos Aires. Notons que celle-ci est responsable de la santé et l’éducation sur son territoire, ce qui représente une part importante de son budget total (60 %).

Synthèse et conclusions

Les observations effectuées sur les huit cas présentés dans la section précédente permettent de mesurer qualitativement les indicateurs de décentralisation proposés dans la méthodologie. La synthèse des résultats apparaît dans le tableau 3. Pour les indicateurs d’existence légale, de pouvoir politique et d’autonomie budgétaire, les mentions attribuées correspondent à la grille d’analyse présentée dans le tableau 1. Un indicateur de décentralisation financière apparaît également dans le tableau 3. Il s’agit d’un regroupement en trois classes de la mesure de décentralisation financière apparaissant au tableau 2. La mention « forte » est attribuée à Montréal et Mexico, dont les parts de dépenses inframunicipales sont supérieures à 17 % du budget municipal. La note « moyenne » est attribuée aux trois autres villes d’Amérique latine (à l’exception de Mexico), qui affichent des parts avoisinant 1 % à 4 %, alors que la note « faible » est attribuée aux trois villes anglophones d’Amérique du Nord, dont la mesure de décentralisation financière est de 0,1 % ou inférieure. Cette classification permet de simplifier la lecture de l’indicateur de décentralisation financière, dont le résultat numérique ne tient pas nécessairement compte des disparités importantes dans les responsabilités assumées par les municipalités.

À la lecture du tableau 3, on constate que les entités inframunicipales sont, pour la plupart, définies par des lois constitutives (chartes, lois organiques, etc.). Elles ont donc une existence légale forte. Pour les villes de Toronto, Buenos Aires et São Paulo, ce sont plutôt des lois ou des règlements municipaux qui définissent ces entités. Leur existence légale est alors plus faible. Dans le cas de Los Angeles, bien que le principe de création des entités inframunicipales soit enchâssé dans la charte de la Ville, la responsabilité de leur création a été laissée à l’initiative des communautés locales. Leur existence légale est donc faible.

Le pouvoir politique, quant à lui, est réputé fort dans la moitié des villes étudiées. Dans ces villes, les conseils inframunicipaux sont entièrement composés de personnes élues par la population. À Mexico, bien que le chef de l’unité inframunicipale soit élu directement par la population, il ne dispose d’aucune instance locale pour prendre des décisions. À Bogotá et à São Paulo, les maires locaux sont nommés par le maire de la Ville, mais doivent composer avec des conseils locaux élus par la population. À Los Angeles, certains conseils ont des représentants élus, alors que d’autres n’en ont pas.

Tableau 3

Synthèse sur les indicateurs de décentralisation inframunicipale

Synthèse sur les indicateurs de décentralisation inframunicipale

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Le critère de l’autonomie budgétaire des unités inframunicipales est celui qui fait le plus défaut. Il est d’ailleurs relativement cohérent avec celui de la décentralisation financière. Parmi toutes les villes étudiées, seule Montréal jouit d’une autonomie budgétaire forte sur des budgets inframunicipaux élevés. Toutes les autres villes restreignent de façon importante la capacité de leurs unités inframunicipales à décider de leurs dépenses ou restreignent les budgets qui leur sont accordés. À Toronto et Los Angeles, les unités inframunicipales sont essentiellement réduites à des fonctions consultatives ou réglementaires. Elles ne prennent aucune décision budgétaire. À New York et Buenos Aires, la marge de manoeuvre est surtout limitée par l’espace budgétaire transféré aux entités inframunicipales. Pour Bogotá et São Paulo, c’est l’autonomie politique qui restreint surtout l’autonomie locale, ce qui se répercute ensuite sur l’autonomie budgétaire. Les budgets décentralisés y sont moins limités, mais demeurent très encadrés. Dans le cas de Mexico, les entités inframunicipales ont des budgets importants, mais l’absence de structures décisionnelles pour choisir des orientations restreint leur capacité budgétaire.

Cela dit, on comprend qu’il est plus facile de créer des entités inframunicipales dans des textes de loi que de donner à ces entités les moyens de jouer un rôle significatif dans la production des services publics locaux. Si certaines entités inframunicipales arrivent à jouer un rôle politique d’influence, très rares sont celles qui disposent d’une marge de manoeuvre budgétaire importante. On constate que Montréal demeure un cas particulier à cet égard. Il s’agit de toute évidence d’une ville dont le degré de décentralisation est plus important que les autres villes explorées.

Reste à savoir comment ces processus vont évoluer dans les prochaines années. Les décisions de décentraliser des pouvoirs politiques dans les grandes villes d’Amérique latine demeurent assez récentes. La mise en place de conseils de quartier à Los Angeles est aussi un processus relativement jeune. Il faudra voir comment ces institutions vont évoluer. Les citoyens des villes vont-ils réclamer plus de pouvoirs pour leurs quartiers ? La Ville de Montréal se centralisera-t-elle davantage ? Les réussites et les échecs des modèles actuels seront cruciaux pour la suite des choses et la recherche universitaire sur ces outils de gouvernance demeure essentielle.