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L’ouvrage de Paul Lando apporte à l’étude du fait religieux une approche originale sur le rapport entre l’Humain et son espace de vie. Dans ce premier ouvrage, réalisé à la suite d’une thèse en géoarchitecture (Aménagement et urbanisme) soutenue en 2013, l’auteur poursuit une réflexion dont l’ambition est de mesurer l’importance des faits religieux dans l’aménagement de l’espace et la structure des sociétés. Il s’intéresse principalement au vodoun dans l’aire culturelle d’Adja-Tado, au Bénin. Le vodoun est une culture qu’on trouve en Afrique de l’Ouest, qui honore les esprits et les éléments naturels, et que Paul Lando définit comme une religion à part entière. L’analyse présentée dans Territoire du vodoun en milieu urbain porte sur la gouvernance locale à travers les conflits « mondes modernes » contre « mondes traditionnels » et l’imbrication des institutions qui participent à la gestion d’une société et de son espace. L’étude s’applique essentiellement à l’échelle de la commune de Ouidah, qui se situe au coeur de l’aire d’Adja-Tado. Étant natif de Ouidah, l’auteur peut se permettre de présenter une analyse approfondie du territoire, tant dans ses dimensions sociales que spatiales.

D’après Paul Claval, ce n’est que depuis très récemment qu’on observe un regain d’intérêt chez les géographes pour le fait religieux. Ceux-ci se penchent sur les diverses interactions observables entre la religion et l’espace. On peut notamment citer Lily Kong (1990) et Chris C. Park (1994) qui établissent un bilan de toutes les contributions des géographes à l’étude du fait religieux. En 2002, le Festival international de géographie (FIG) a promu le renouvellement conceptuel de la géographie française dans son approche des phénomènes religieux. Dans la perspective d’une étude des faits religieux traditionnels, l’ouvrage s’inscrit dans la mouvance de la géographie culturelle et porte une attention particulière à un héritage propre à l’Afrique de l’Ouest.

La structure de l’ouvrage se construit autour de quatre parties logiquement organisées attribuant à la culture vodoun ses marqueurs sociaux et spatiaux. L’histoire et l’idéologie vodoun sont exposées dans une première partie. Les peuples du sud du Bénin sont profondément croyants, tant et si bien que le champ religieux est présent dans tous les domaines (social, économique et politique) (p. 62). Par son caractère animiste, le vodoun établit un rapport particulier entre l’Humain et la Nature et octroie à la religion une dimension spatiale incontestable.

Dans la deuxième et la troisième partie de l’ouvrage, l’auteur consacre son analyse à l’influence du système vodoun sur un espace organisé. D’abord, la commune de Ouidah, particulièrement concernée par cette culture traditionnelle, se trouve marquée en ses quartiers par des espaces sacrés tels que les forêts, les temples et les concessions. La cohabitation des religions traditionnelles et « modernes » n’échappe pas à l’analyse experte de l’auteur, apportant à l’ouvrage une approche novatrice de l’étude du fait religieux. Ensuite, Paul Lando s’intéresse à l’incidence du vodoun sur la structure des concessions familiales présentes dans la commune. Ces concessions sont des collectivités familiales rattachées à leur terre par une autorisation divine à travers l’action symbolique d’offrandes et de sacrifices. Elles sont le foyer de la culture vodoun en perpétuant les normes et les valeurs relatives à cette culture et constituent le principal processus de territorialisation de cette religion. Les concessions familiales ne sont pas uniquement des marqueurs spatiaux ; elles influencent également l’organisation sociale. Elles « tiennent compte des différentes classes sociales et / ou religieuses » (p. 165) et structurent l’espace de vie. Les photographies, les cartes schématiques ainsi que les croquis intégrés dans le récit permettent au lecteur d’appréhender la dimension spatiale de cette culture traditionnelle sur un territoire organisé.

Mais il ne s’agit pas simplement de rendre compte de la place du vodoun dans un système urbain. En effet, l’ouvrage consacre sa quatrième et dernière partie à la dynamique et aux effets de la mondialisation sur le territoire béninois et ses héritages culturels. Les territoires et les sociétés du vodoun ont dû s’adapter tant bien que mal aux mutations subies par les sociétés du sud du Bénin à partir des années 1980. Paul Lando présente progressivement les différents modes d’adaptation qui conduisent parfois à une situation conflictuelle. Le rapport à la terre et au territoire est particulièrement complexe. Complexité que l’on doit à une gestion parallèle entre l’autorité étatique officielle et l’autorité traditionnelle, marquée par un vide juridique. La modernisation des villes, notamment sur le littoral béninois, conduit la jeune population à migrer et abandonner les concessions familiales. Le réaménagement de ces concessions est compliqué du fait de la dimension sacrée et non corruptible de cet espace. L’ouverture du pays aux échanges internationaux contribue à l’attraction touristique de certains secteurs. Tiraillée entre les instances publiques et privées, la gestion du territoire, telle que la patrimonialisation, mène à la touristification de la religion vodoun. Cette observation amène l’auteur à poser certaines questions : la patrimonialisation de certains espaces suffit-elle à garder l’authenticité de la culture vodoun ? Une telle gestion ne va-t-elle pas tout simplement démystifier la religion, au risque de faire disparaître une identité propre à l’aire culturelle d’Adja-Tado ?

Sans y répondre directement, Paul Lando laisse au lecteur le choix de la réflexion. Si l’acculturation est possible, l’auteur reste persuadé du rôle encore fondamental et persistant de cette identité au sein de la société béninoise et de celle de Ouidah. Bien qu’il s’agisse d’une étude de cas spécifique, l’ouvrage embrasse divers domaines de compétence, et peut intéresser un large public. Les spécificités du territoire et de son contexte historique amènent une méthodologie et une analyse uniques, ce qui rend difficile la comparaison avec d’autres territoires. Cependant, l’auteur réussit à toucher une problématique beaucoup plus large que celle de la place du vodoun dans une société en mouvement : quel est le devenir des religions traditionnelles face aux effets de la mondialisation ? Un tel ouvrage mérite l’attention des spécialistes.