Comptes rendus bibliographiques

LEFEBVRE, Jean-Pierre (2016) À la recherche de l’utopie perdue. Paris, L’Harmattan, 328 p. (ISBN  78-2-343-10006-7)[Record]

  • André JOYAL

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  • André JOYAL
    Centre de recherche en développement territorial, Trois-Rivières (Canada)

Le mot utopie m’est apparu une première fois lorsque j’étais étudiant à l’Université Laval, au tout début des années 1960. Certains lecteurs de journaux l’utilisaient en s’en prenant au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), dont Pierre Bourgeault venait de prendre la direction. On évoquait l’utopie de l’indépendance du Québec. Le mot référait à un rêve irréalisable ou à une réalité inaccessible, comme l’étoile de Brel à la même époque. Je n’ai pas tardé à apprendre que le mot tire son origine de Utopia, nom donné à une île imaginée par St-Thomas Moore où l’auteur fait régner une égalité parfaite entre les hommes. C’est pourquoi Marx qualifiera de « socialistes utopistes » les Fourier, Owen et autres Saint-Simon qui rêvaient à leur tour d’un monde dégagé des affres de la révolution industrielle en cours. Pour l’auteur de Das Kapital, l’allusion à un socialisme utopique s’expliquait par l’absence d’appui d’une théorie (matérialisme dialectique) permettant d’entrevoir l’avènement d’un socialisme qu’il qualifiait de scientifique. Alors, qu’en est-il de cette utopie à laquelle Jean-Pierre Lefebvre, au soir de sa vie (il est né en 1934), consacre son dernier ouvrage ? Cet ancien militant du Parti communiste français (PCF) qui, comme beaucoup d’autres, a rompu en 1968 ses liens avec le parti qui fut déjà, de par son électorat, la première force politique de France, souhaite l’avènement d’un système économique basé sur l’autogestion. En pastichant le plus célèbre titre de Proust, l’auteur semble vouloir retrouver l’idéal véhiculé par ceux que Marx a vilipendés. Déjà auteur de plus d’une dizaine d’essais, de six romans et de trois recueils de poésie, celui qui, de 1974 à 1994, fut affecté à l’urbanisme opérationnel de la Seine Saint-Denis en tant que dirigeant d’une société d’aménagement a surtout publié (à compte d’auteur ?) chez l’Harmattan. Il a divisé son ouvrage en deux parties très distinctes. L’auteur ayant baigné dans l’urbanisme, la première partie s’intitule simplement Urbanisme. Comme pour l’ensemble de l’ouvrage, cette partie se compose de courts textes dûment datés allant de 2015 à 2016. Les premiers, peu intéressants, sont des lettres ouvertes destinées à des élus locaux à qui l’auteur s’en prend pour éviter des démolitions d’édifices qui auraient une certaine valeur. L’intérêt ne tarde pas à venir quand il offre une confrontation entre deux des trois architectes qui ont grandement marqué le XXe siècle : Frank Llyord Wright et Le Corbusier. Oscar Niemeyer – avec qui l’auteur a pourtant beaucoup d’affinités idéologiques – ne se mérite qu’une brève mention. On savait que Le Corbusier voulait faire disparaître le Marais, mais on apprend que ses idées de « grandeur » allaient encore beaucoup plus loin. Si j’ai pu visiter et admirer à deux reprises l’église de Ronchamp, je me réjouis que ses sympathies envers le régime de Vichy n’aient pas donné lieu à de sinistres et regrettables destructions tout au long de la rive droite. Faut-il se surprendre alors de lire (p. 76) : « Aucune, aucune hésitation ! Jeunes architectes, étudiez surtout le libertaire Frank Lloyd plus que le pétainiste et démolisseur Le Corbusier : Broadacre City et Taliesin plus que les Cités radieuses… ». L’auteur ne cache pas son admiration pour les maisons horizontales d’Oak Park,  tout comme pour cet hôtel impérial de Tokyo ou pour la Miniatura en parpaing de Los Angeles. À ses yeux, avec Wright, on est loin de l’obsession de Le Corbusier à l’égard de… l’ordre et qui corsète la nature dans la Cité radieuse en la réduisant à la zone des distractions obligatoires. Faut-il s’étonner que l’éditeur ait laissé Lefebvre citer une deuxième fois le milliardaire Warren Buffet …

Appendices